Je pars avec un projet de montagne : j'aurai tout faux, sauf la fenêtre météo que je respecte à la lettre. C'est un enchaînement d'erreurs, par flemme de compléter mon réservoir de carburant. Ainsi j'atterris, après avoir payé le prix fort (proportionnel à l'altitude sauf en proche Andorre, l'exception), aux Bouillouses surpeuplées. Où je n'avais surtout pas prévu d'aller. Je vais me loger à l'extrême opposé des parkings et je me prépare pour une nuit de 9 h, je meurs de sommeil. Bizarre, dans la nuit, ça se peuple. Des voitures arrivent et personne n'en descend. La nuit est étoilée et noire, la lune mince comme un fil s'est couchée comme les poules. Avant l'aube, c'est une avalanche qui surgit, avalanche humaine de Catalans bruyants (un pléonasme). J'en saurai vite davantage, mon camion manque d'être englobé sous un chapiteau, je le pousse un peu, c'est une manifestation montagno/politique, en faveur des prisonniers politiques : 18 sommets sont choisis dont le Carlit. 200 inscrits, 500 participants, faut espérer qu'ils ne seront pas tous en haut en même temps sinon notre toit s'effondre !
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8 h : Les Bouillouses privées des Pérics noyés dans la brume |
La brume rampe, je file dans le jour gris et mouillé vers la vallée de la Grave, avec l'espoir d'entendre bramer le cerf.
La vallée de la Grave, faisant suite au contournement du
lac des Bouillouses est une longue vallée glaciaire, toujours déserte, plate et sans dénivelé, 6 km pour 100 m de D+.
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La brume se déchire, cela devient magique, la Grave commence, 6 km m'attendent |
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Voiles de brume dans le silence total |
En marchant je me dis que ce sera la balade de mes 90 ans et plus ! Parce que c'est beau, désert et que la lumière changeante habille le relief de manière somptueuse. Le brouillard qui rampe , alors que les sommets émergent sous un soleil flamboyant, crée une magique atmosphère.
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La brume rencontre le sillage d'un avion |
C'est le brouillard qui sera la cause de mon changement de cap (j'avais prévu la Serra de l'Orri) : tout au fond, près de
la Portella de la Grave que je ne connais pas, un pic étincelant émerge de la brume comme une mariée de ses voiles. La roche est d'un blanc pur sur le bleu du ciel, c'est décidé, j'y vais : c'est
le Pic de la Grave. Il est prolongé d'une arête fine et accidentée...euh...il y a un passage difficile en désescalade...mais osons donc !
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Vallée de la Grave : les montagnes blanches où je vais |
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Pic de la Grave comme une mariée |
Chemin faisant je rencontre un isard perché sur des rocs, riche conversation : il souffle comme un autocuiseur relâchant sa vapeur, moi je siffle sur tous les tons et je parle, scène hilarante s'il en est. Mes yeux cherchent un éventuel promeneur...ouf le ridicule me sera épargné !
Au bout de la vallée, toujours enchanteresse sous la valse des voiles de brume, la pente se redresse -enfin- et commence pour moi la Terra Incognita.
De l'eau, un petit étang,
l' Estagnol, des ruisseaux surgis de nulle part (la vue aérienne révèlera des petits lacs), et ce Pic de la Grave qui n'a de pointu que le nom et qui m'attire. Quel contraste avec la roche rouge que je foule. La vallée de la Grave est un livre de géologie : des granits, puis du schiste, des roches ferriques et enfin, là haut ce seront des granits blancs mêlés à du quartz laiteux. En montagne il y a toujours quelque chose à observer. Même les yeux au sol.
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Tenue d'été |
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L'Estagnol |
A la Portella, la vue s'ouvre sur
le Lanoux, immense barrage , les pics connus, ceux à découvrir, et les premières neiges du
Carlit. L
'Ariège est devant moi, lavée de tout nuage.
C'est magnifique. A part quelques oiseaux qui tournoient, pas de vie. Je bifurque vers le Pic, 245 m plus haut ; ça grimpe sec, mon pied meurt de douleur depuis longtemps et enfin l'antécime déroule pour moi son tapis rouge de myrtilles automnales. L'altimètre m'indique que je ne suis pas au sommet, il est juste un peu plus haut, une arête m'y conduit. Le vent est froid, la tenue d'été s'enrichit un peu, mon estomac aussi.
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Tapis rouge pour un sommet |
J'ai besoin de forces pour
l'arête : c'est décidé depuis "en bas": j'y vais. L'arête mesure près de 1 km de long est est quasi horizontale, donc elle se parcourt grandement "sans mains". C'est un enchevêtrement de gros blocs de granit qui ont la particularité d'être branlants. Aussi gros soient-ils ils tremblent sous les pieds donnant l'impression d'être en barque sur un océan de vide. Il en faut plus pour m'impressionner, ça m'amuse même : du piquant à l'horizontale. Les mains m'aident pour une ou autre désescalade et mes gants sont griffés par les lichens parasites. Côté Ariège c'est un grand vide, un à pic de 300 m et plus, vertical, sur un univers pâle, minéral, parsemé de lacs bleus ou verts.
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Pic de la Grave 2671 m |
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Derrière moi, chemin parcouru |
Austérité parfaite cernée de pics et arêtes. Grandiose et rébarbatif. Côté 66, la longue vallée de la Grave s'étale, bouchée par un verrou de brume dense d'où émerge
le bleu Canigou.
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Côté Ariège, purement minéral |
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Côté Pyrénées Orientales : vallée de la Grave que j'ai parcourue |
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Le Lanoux (2200 m) depuis le sommet à 2671 m |
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Lacs en roche |
C'est tellement différent que je ne pourrais dire qui m'attire le plus. En guise d'attraction, je reste au plus près du fil de l'arête bien qu'il y ait du contournement et je savoure quasi chaque pas, je vole parfois, rapide mais je me réfrène, seule ici, faut pas de faux pas !
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Balade en arête, dans le vent froid |
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Images de l'arête : à droite, ses jours sont comptés... |
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Mon chemin |
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Terminus, tout au bout ? |
Enfin j'arrive au bout de ce qui me paraissait infranchissable vu d'en bas et j'avance avec précaution au bout de cette proue : le vide est abrupt, vertical, je ne vois rien; j'essaie quelques pas de désescalade, mais je me ravise, je remonte et m'engouffre dans
le premier couloir venu, fort raide, mais ça ne me fait pas peur. Pourtant il sera moins facile qu'il n'y paraît et je désescalade (sans dépasser le II +) sauf que pour certaines prises, c'est végétal et que le végétal peut lâcher. Je louvoie entre les rocs, je bifurque sur le couloir voisin puis reviens un peu plus bas et me voilà au bas de la difficulté sans problème. Quelques 70 m de désescalade. J'ai hâte de voir ce qui m'a arrêtée...aucun regret...
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Tout au bout, le vide |
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Le vide c'était ça !! |
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Le couloir vu du haut |
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Et vu d'en bas |
Je continue l'arête , 400 m de vagabondage en rocs avec des vues sympathiques sur un décor lacustre.
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Décor lacustre, étang de la Grave 2315 m |
Qui invite à la baignade mais pas forcément à la descente.
Mon arête ondule, pâle et plaisante: comble de l'ironie, je ne trouve pas le moindre caillou pour caler l'appareil photo !
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L'arête , plus "douce" |
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Enfin la douceur c'est ça |
Enfin comme il faut bien se donner un terminus, car le retour sera long, au
Col de la Grave, 2478 m, je redescends. Je reviendrai un jour pour continuer vers
les Tres Piques Rojes (Rouges) . Ma descente sera un long éboulis de gros rochers blancs (pour changer) sur 273 m de D-.J'attends le bas , la vallée, l'herbe, pour changer de pneus. Sur l'arête je n'ai pas souffert mais dans la longue montée oui, d'ailleurs, depuis quelques semaines, le dos, le crural, le pied me font de plus en plus souffrir en montagne, il serait raisonnable de lever le pied, mais...la raison ne l'emporte pas.
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Mon chemin de retour (en partie) vu d'en haut |
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Là d'où je viens (photo inverse de la précédente) |
Je m'arrête pour me désaltérer et là je découvre avec horreur et fureur que j'ai perdu mes tennis, mes pneus de secours. Ayant négligé de mettre la sécurité, ils se sont volatilisés sur l'arête ou dans le couloir. Me restera à marcher pieds nus, sur les jantes donc! Ce que je ferai pendant quelques km, foulant l'herbe, les marécages, l'eau et le sentier. Ah je peux dire quelles pierres emmagasinent le plus la chaleur ! Et quels passages sont glacés aux pieds ! Mais ce sport me conduira au camion sans douleur , au terme de près de 19 km de marche, dont 3 km nu pieds.
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Lac des Bouillouses |
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Sur les T Shirts des marcheurs |
Un défilé joyeux et las descend du Carlit. Je retrouve Mathieu, ma belle rencontre du jour (26 ans) qui a réussi le défi de rallier puis contourner le Carlit par un couloir de descente avec son chien en évitant la foule au maximum.
La pluie est annoncée pour demain je reprends la route pour une descente endiablée en camion: faut croire que le roc contient des vitamines !
En résumé:
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Balade en arête |
En chiffres
Distance : 19 km
Dénivelé positif (D+) cumulé : env 750 m
Longueur arête : 1 km
Temps de marche : env 7 h 30
Très minéral ce pic de la grave contrairement à sa vallée verdoyante, un beau contraste. L’arête ne demandait qu’a être explorée et tu l’as magnifiquement fait. La vue sur les cimes environnantes est sublime et
RépondreSupprimerles lacs sont des joyaux dans ce paysage de haute montagne. Très beau reportage avec une rencontre animale et humaine sympathique. Les Espagnols ont dû faire une super animation aux Bouillouses.., Merci pour ces belles photos, apoulit aux pieds....bises.
Merci Josy pour ton passage en arête par récit interposé. Tu te serais régalée je pense. Enfin je ne sais pas si tu aimes ce type de sol "carrelé", mais c'est toujours de beaux points de vue originaux que ça offre et pas donnés à tout un chacun. Je vais continuer vers les Piques Rojes et leur couleur différente. Ce que je trouverai , je ne sais pas ...difficile ou non, il me manque juste ce morceau , la comète, j'y suis allée. Bises
SupprimerOui, je me serais régalée car J’aime ce type de sol chaotique, nous avons pas mal randonné dans cette vallée qui mène à des sommets sublimes. Un jour nous avons fait une boucle depuis les Bouillouses en partant par la vallée de la Llose et retour par la vallée de La Grave en passant par le pic de la Porteille gran, c’etait Magnifique. Les piques Rojes doivent être très belles mais peut-etre difficiles pour nous... toi tu as des ailes.... pour le moment nous avons des occupations moins réjouissantes....
SupprimerJe prévois la suite...si ça vous dit ...parcours plus aérien mais faisable...on peut partir des angles sans problème ça ne rallonge pas ou peu
SupprimerAvec plaisir si on peut se libérer....
SupprimerL'arête s'en ira pas et ce sera quand ça vous ira mais en 19 je pense; j'irai faire un tour à celle plus proche du pic de Camporells ça peut se faire encore je pense
SupprimerExtraordinaire !!! Tu es de plus en plus à ton aise sur ce terrain aérien. Attention toute fois aux Tres Piques Roges, car sur l'une d'elle il n'y a aucun échappatoire, ce sera réussir ou renoncer. Mais j'imagine que le rendez-vous est déjà pris pour 2019 ;-)
RépondreSupprimerOui Ludo, j'ai des soutiens ! ton blog bien détaillé et Ana, son topo en catalan et son enthousiasme et qui me dit "mes chiens l'ont fait, tu peux ! " hihi...oui RDV en 19
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