Quand je quitte
Aulus, à 8 h 15 tout dort encore. Mes chats, le village sous son voile de gelée blanche, la vallée toute entière et même la rivière. Après 11 h de sommeil je suis bien réveillée !!
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Aulus sous le gel du petit matin |
Je sais mon chemin long, je sais la forêt nue et glacée, je ne me souviens plus qu'il y eut autant d'eau. Et pourtant, j'avais fait ce chemin un matin de printemps, un printemps mouillé, mais qu'est ce qui n'est pas mouillé, humide, glissant en Ariège ?
La piste forestière sur laquelle je marche ne déroge pas à la règle, des torrents la traversent et je passe à gué. Impressionnée quand même par ces chutes d'eau verticales jaillies de non moins verticales pentes. En montagnes d' Ariège, le km vertical des compétitions il est partout !
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La piste forestière encore en version automne |
J'écoute toute cette eau, celle qui traverse la piste, celle qui saute du ciel, celle qui court dans le fossé, celle qui gronde tout en bas et celle qui clapote sous mes pas. Si j'étais musicienne, quelle symphonie cela ferait, avec des violons, du piano, que sais-je, des notes qui s'envoleraient.
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Passage à gué |

Que d'eau ! Elle saute de cascade en cascade
Pour l'heure je marche d'un pas vif. Ravie de mon nouveau sac, léger, bien ancré sur mon dos. Je sais que je vais là haut, dans le pays blanc, alors les crampons, sait-on jamais, y sont logés.
Entre les arbres se devine la cascade, une blanche chevelure encore silencieuse.
Je me souviens de ce printemps riant..il y a...je ne sais plus....7 ans, déjà.
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Entre les arbres au loin, puis au zoom la cascade |
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Printemps |
Un 4x4 passe et repasse, la piste n'est autorisée qu'à peu de monde.
Une heure après mon départ, la piste s'arrête et le sentier la relaie : le côté sportif va commencer. Il ne fait pas froid, juste...humide.
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Dentelles de gel |
Je traverse la rivière au
Pont d'Artigous, 1047 m, désormais elle sera toujours à ma droite, et moi, en forêt, je vais grimper. Comme c'est bizarre, je réfléchis au phénomène de la mémoire. J'ai une mémoire d'oiseau, enfin de petit cerveau. Je ne retiens rien de ce que je dis ou j'entends, ou que je lis, je ne retiens aucun visage, dussé je le voir 10 fois, et je reconnais tous les endroits où je suis passée, tous les rochers, tous les virages je les anticipe même, j'ai une mémoire sélective au possible et combien invalidante. Ce qui irrite parfois mon entourage et me met dans des situations précaires voire grotesques.
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Des hêtres pluricentenaires |
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Au printemps |
Ce n'est pas la vallée d' Ars qui va me guérir, mais enfin je suis passée là voilà 7 ans et je sais ce que je vais trouver : sous ce rocher noyé d'eau dormait une vipère, là un arc en ciel magique irisait la cascade, là une vaste dalle de roche était incrustée de racines. Mais ce que je n'avais pas vu c'était toutes ces places charbonnières, aplanies, noircies. Normal dans ces hêtraies.
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Sculpture naturelle de hêtre |
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Place charbonnière (charbon de bois) |
Ce jour là un trail envahissait le sentier et circuler était difficile.
Aujourd'hui, pas un animal, pas un humain, pas un souffle d'air, juste je suis au Royaume de l'Eau.
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Version automne et printemps (juin 2011) |
Me voici devant sa Majesté la Cascade, elle a un peu maigri, l'ombre hivernale ne fait point danser des couleurs dans son halo de poussière d'eau et aucun baigneur n'ose la tutoyer.
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Version printemps |
Je suis seule à m'en approcher, surtout ne pas glisser. Il parait qu'elle mesure 246 m...
Me voilà en haut au terme d'une "échelle" : en Ariège on nomme échelle un sentier en courts zigzags pour une montée escarpée. L'échelle est enneigée, ça y est j'y suis. Un peu gelé, un peu poudreux, le revêtement de sol reste ferme. J'ai le pied sûr. Et plus que prudent au saut du ruisseau.
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La vallée d'où je viens |
D'en haut je regarde des petits points mobiles au bas de la cascade, des humains, eux me voient-ils, sorte de funambule rose ?
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Saut pour plus de 200m |
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Au zoom, les gens d'en bas |
Au pont de
Cap de Pich 1485 m, porte ouverte vers la longue
vallée d'Ars et les pics qui la clôturent à plus de 2500 m, je mange un peu en attendant ma prise de décision : revenir sur mes pas ou faire la boucle qui va quand même me conduire en neige sur un chemin inconnu à plus de 1600 m d'altitude?
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Vallée de l'Arse, vers le sud soit les hauts sommets |
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Cette vallée au printemps |
La curiosité teintée de crainte (ce qui va ensemble chez moi) l'emporte, je pourrai toujours revenir sur mes pas. Il y a des empreintes de pas donc j'y vais.
Je souris intérieurement au souvenir de cette passerelle où, en ce jour de trail, j'avais fait la rencontre la plus incongrue de ma vie de marcheuse, j'étais alors partie vers cette vallée d'Ars...oh je crois que je conterai cette aventure !
Pour l'instant, rencontre zéro, sauf avec la neige, l'inconnu et ce panneau avertissant du danger en neige et en gel: je vais traverser des couloirs d'avalanches. La neige est peu épaisse, je n'ai pas peur.
Et c'est parti pour l'inconnu : je suis sur le GR 10 bien balisé. Certains endroits demandent quelques contournements, je suis les traces. Il fait beau, pas froid, je marche bien, même si la neige ralentit un peu la vitesse, je terminerai avec mon 2.6 km/h de moyenne habituel. Et le plaisir des retrouvailles avec la neige.
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Terrain glissant |
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Terrain attirant |
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Couloir d'avalanches et avalanche |
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Chemin de neige |
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Une belle couche |
Le parcours est plus près des cimes, plus enneigé, plus pentu déversant, plus glissant. Les crampons sont inutiles, quelques postures acrobatiques et inélégantes ponctuées de jurons les remplacent avantageusement. Et je me régale. ça monte, ça descend, dans les arbres et dans la neige, la glace craque sous mes pas et de superbes décors pointent leur nez. Il n'y a plus d'eau, un silence monastique la remplace. Quelques petites avalanches ont encombré et noyé le parcours de boulettes blanches, récentes puisque les empreintes ont disparu, mais pas de souci.
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Autre avalanche |
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Le paysage s'ouvre : enfin ! |
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Détail aérien |
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Les voisins d'en face |
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Cabane de Guzet restaurée |
Enfin le paysage s'ouvre, plus d'arbres, des crêtes dentelées, j'aborde aux rives de la grande descente vers Aulus.
C'est à 1570 m, un lieu paisible, découvert, une pâture estivale, avec sa petite cabane et ses pics dont le beau Pic de Mont Rouge, 2379 m, pour l'heure tout blanc. Mais invisible d'ici.
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Lieu dit cabane de Guzet, 1570 m |
Il y a même une autre petite "
Pedraforca" avec sa tartera encaissée comme un toboggan attirant.
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Voilà ce que j'aime ! Une petite Pedraforca |
Je m'enfonce en forêt , la descente sera longue, très longue , mais pas vraiment monotone quoique déserte.
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C'est parti pour la forêt ! |
Silence des sous bois, craquement des tapis de feuilles qui masquent un peu le sentier, faut être attentif, mais l'erreur est peu probable. Mon pied proteste, je n'ai pas de pneus de rechange. Tant pis , ça glisse trop pour rôder en tennis. Enfin à une croisée de "chemins" je débouche sur une vaste zone rousse et molletonnée d'un épais tapis de fougères.
Que c'est beau ce contraste et le décor qui l'entoure, hérissé, dans un coin, des pylônes de
Guzet Neige. Rappel incongru de la civilisation. Une vieille grange me tend son toit de tôles aussi pentu que les pics d'ici et je vais lui rendre visite : ce sera mon point de chute, au sens propre...et pas n'importe où voyons, dans l'unique pied d'orties du jour. Imaginez la rupture du silence en quel mode elle se fit!
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Vers l'ouest |
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et vers l'est |
Enfin je reprends la longue, très longue descente en forêt, où je rencontrerai trois humains originaux : à vélo. J'ai du mal à ne pas glisser et ici pas question de prendre un raccourci: entre les feuilles et la glaise, il faudrait presque mettre les crampons.
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Une belle déclivité |
Interminable descente, un peu nu-pieds sur un sol mal commode et je retrouve mes deux apprentis voyageurs bien endormis dans la couette.
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Là en bas, sommeillent 2 chats |
En chiffres :
Dénivelé positif cumulé; 900 m
Distance 11.7 km
Temps de marche 5 h
Et puis, 5 h de route pour 236 km
Je ne sais si mon commentaire paraîtra ! J'essaye....comme s'il s'agissait d'un cèpe que l'on a remarqué au haut d'un versant entre quelques rhododendrons et que l'on souhaite cueillir !!! Ja vorem ? Sinon comme d'habitude un beau récit, détaillé et plein de petits recoins. Et bien entendu de magnifiques photos. Je ne fais pas plus long..ne sachant si mon cèpe sera "au chaud" dans mon panier. ASP
RépondreSupprimerMais oui, il est là ce commentaire et sa jolie comparaison, poétique et adaptée à ces sous bois trop froids pour le moindre champignon. J'ai bien consommé ce cèpe de commentaire; bises
SupprimerOriginale sortie, tellement loin des gens de l'Est. Vraiment très original la comparaison des débits selon les saisons. Tu es trop forte pour mettre en valeur un paysage singulier. "Paysage attirant" : si loin, tellement loi, trop loin :-(
RépondreSupprimerOui si loin, dommage mais vraiment en hiver, très inaccessible sinon dangereux. Je me souviens quand j'y allais toutes les semaines, à compter du printemps, mon émerveillement à y voir pousser les fleurs dans ces montagnes ruisselantes. Cela reste un des plus beaux cadeaux de ma vie de montagne ; seule la distance me retient à présent. A bientôt pour nos pérégrinations respectives
SupprimerDe magnifiques photos et cette cascade automne printemps superbe . en ce jour où je ne peux pas marcher encore une entorse tu m'as distraite agréablement en allant dans ce merveilleux paysage inconnu pour moi . des projets de vacances sans doute . Merci beaucoup caresses à ta tribu et bises à toi
RépondreSupprimerUne entorse ? Encore !! Je ne savais pas..remets toi et vers l'été offrez vous l' Ariège. Bisous et bon rétablissement
SupprimerQue d’eau ! Tu nous fais découvrir de magnifiques cascades que nous ne connaissions que de nom, un grand bol d’air pour moi ! Le parallèle printemps automne est intéressant tes photos et ton récit sont à la hauteur de ton talent habituel ! Merci Amédine, je t’embrasse, Calinous à tes félins.
RépondreSupprimermerci pour ce chaleureux commentaire. Chaleureuses pensées pour toi et pour vous deux
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