mercredi 27 février 2019

Un couloir nommé Vermicelle : bizarre ? Non, montagne







Un couloir d'alpinisme c'est ça. Une saignée en roche, remplie de neige, frôlant la verticale au regard mais un peu moins inclinée que cela en a l'air, quoique...très inclinée quand même. Quand on y est dedans, le haut semble vertical..et le bas aussi. Bon ce Vermicelle là est classé PD + ce qui veut dire Petite difficulté et un peu plus si...enfin, les conditions météo...
J'ai gravi ce vermicelle-là il y a juste 4 ans, en 2015 et quand Ludo me propose de réitérer (et de réfléchir pour ma réponse), c'est oui sans réfléchir. C'est tout réfléchi ; malgré mes 4 ans de plus et mes 68 ans 1/2 !! Je compte sur cette pêche d'enfer que je n'avais pas en 2015.









Je pars la veille, soit vendredi, le coeur en fête. Je couche au parking de la station de ski d'Eyne, au départ de la piste, dans mon camion, ainsi je partirai en crampons directement.
Je dors porte ouverte sur la petite musique de nuit de la forêt attenante à ma chambre. Soit un grand silence et un ciel empli d'étoiles. Je dors mal, je ne suis pas anxieuse pour le couloir, mais juste pour l'approche..sotte pour ne pas changer.


Départ sous la lune 7 h 03








Matin : je démarre à 7 h 03, soit une heure prévue avant mes coéquipiers, bien plus jeunes, bien plus rapides. Puisque l'approche me stresse, j'ai trouvé cette solution judicieuse. La nuit s'éclaire, la frontale est inutile et dans l'aube je marche , écoutant juste le silence ponctué du crissement des crampons sur le gel...que c'est beau...Un écureuil noir croise ma route, un animal m'appelle dans la forêt, je le cherche en vain. Un chien plus tard me saluera , comme son maître: ils vont aussi au Vermicelle.







le Carlit s'éveille, 7 h 40

Et les Péric aussi


J'ai choisi de ne pas prendre les raquettes, imaginant la neige damée et elle le sera sauf...mais je me fie à la couleur et aux traces et cela ira si bien qu'un espagnol m'emboîte le pas.

Dans mon dos

Devant moi
A 9 h 03 je suis arrivée (alt 2330 m), j'ai pulvérisé mes temps : en 2 h le tarif normal. Je suis dans la chambre du Cambre, plein nord, pleine ombre, il fait froid; j'écris un peu, je mange, je bouge et voilà très vite mes partenaires. C'est Ludo, 22 ans de moins que moi, son frère Yannick, de 24 ans mon cadet et Louis, son fils dont 54 ans me séparent !! Record battu !
Je suis la seule "fille" et le resterai dans le couloir.
Yannick et Louis, 14 ans

Les garçons s'équipent


Pour moi c'est fait
Grand déballage, les garçons s'équipent, ils sont montés en 1 h 30 et enfin on démarre pour le cône: un drôle d'"embut" très pentu. Ludo fait la trace et on suit en un tout droit rapide et efficace


On aborde le cône de déjection du couloir

Il est pentu !


Mes piolets traction
Le couloir commence, à 2440 m, dans sa tranchée rocheuse.

La plupart rasent les murs, nous on restera au milieu




Vers l'aval

Vers l'amont, la pente est soutenue

En haut les espagnols




 Yannick a encordé (assuré) son fils , Ludo ouvre la route et je ferme la marche car je suis le photographe attitré. Me faut les mains libres. Ah les mains ! J'ai ôté les gants et je grimpe à mains nues, sans veste, allégée, efficace. A l'aise.  Faisant fi du vide. J'ai juste assuré mon appareil photo. La trace est faite le long de la paroi, nous on trace au milieu. Parfois le couloir est large de moins de 2 m.






 Parfois, prise de zèle, je sors de la trace et file comme une flèche à la force des bras sur les piolets traction, ou alors je flâne loin du groupe, je m'amuse, je prends des photos. Avec 20 ans de moins je monterais comme un singe mais la fatigue inhérente à mon âge me calme. Aucun vertige, aucune crainte , comme un poisson dans l'eau.









 Soudain dans le groupe de tête, les espagnols, peu prudents font partir une boule de neige qui grossit et fonce droit sur moi à toute vitesse - c'est le principal danger - alors au dernier moment, d'un jeté de buste j'esquive le boulet qui m'eut frappée ou déséquilibrée pouvant me jeter dans le vide. Le danger c'est cela ou alors, pire, quelqu'un qui dévisse et emporte tout le monde sur son passage.






J'ai froid aux mains et je pose (une folie) tout le matériel sur une terrasse que je creuse au piolet, pour récupérer mes gants. Délestée de sac, piolets, je ne suis plus assurée. Mais j'assure, avec précaution! On grimpe, vite, on ne mettra que 1 h 27 pour cette montée. J'admire les garçons. Ludo, attentif à tous, Yannick professionnel, Louis, du haut de ses 14 ans, confiant, heureux et maître de lui. Je ne m'admire pas, je m'éclate !

Nous voilà arrivés au croisement : deux branches pour la sortie je choisis la droite et je découvre...une arche. Petite fenêtre de roche.


La sortie : gardiens de pierre je vais
passer à droite

Fenêtre sur neige

50° de pente



La pente, ici, est de 50 °, la corniche est raide et Ludo est en haut. Je sors sans problème. Et le panorama devient sublime. Altitude 2692 m. J'admire Louis, 14 ans , un futur grand sportif.




Louis

Je vous salue !


Quelques chiffres : 
Le cône : 100 m de dénivelé à  40°
Le couloir: 252 m de dénivelé entre 40 ° et 50°




Brochette au sommet: 2700m
Curieux on va regarder la sortie des couloirs voisins, Eclair, Bougnagas et le difficile et périlleux Gigolo. Mais on a FAIM !

Un couloir voisin : ça me tente déjà

Sortie verticale de couloir

Sortie acrobatique du Gigolo avec assurage, en mixte
(roche et neige) : ça me glace !
Au restaurant, terrasse plein ouest, grand soleil et air frais, on dévore doublement. Le paysage et nos repas. Plein d'énergie car on veut aller au sommet, 2750 m et puis IL FAUT descendre.

La famille au complet

Tour d' Eyne

Vallée d'Eyne et Puigmal 2910 m

Les sorties de couloirs et au loin, le massif du Carlit

Le Massif du Canigou 2784 m

Vallée de Planès et Malaza


Le sommet est une formalité, on garde les crampons par flemme, et on a du mal à se frayer une place dans cette foule d'espagnols et catalans bruyants. Com' d'hab' les français sont absents.


Pic du Cambre d'Ase 2750 m
où j'étais le 1er janvier

Enfin on a un moment crucial pour nous !
Au point de croix: 2750 m









La descente, du coup, on la choisit ailleurs que dans le grand couloir, ce sera un couloir inconnu. On y accède par un peu de désescalade d'arête en mixte (roche et neige, en crampons).
C'est beau, plaisant et pas difficile.


Puis on aborde la descente. Que j'ai proposée. Et choisie par Ludo. Mon point faible, la descente,  qui sera encore plus faible.
D'abord un grand passage en dévers (j'ai peur) que j'absorbe avec aisance vers la fin seulement.
En dévers

En plongée
. Et là grand virage à gauche toute pour attraper le tout droit. mais que se passe t'il ?


 Je me sens séchée de pieds en cap, la bouche sèche et la peur au ventre. Enfin ce n'est qu'une pente à 35 °! Je rêve presque de l'hélicoptère qui viendrait me chercher. D'ailleurs le voici qui arrive mais pas pour moi. Je m'accroche, je transpire, et je supplie presque Ludo de ne pas me quitter. Et lui qui dévale ça à grandes foulées, m'attend, me creuse la trace, alors que Louis descend "en luge" et Yannick à ses trousses!
Style luge
Moi : peur !! J'avance, je me secoue mentalement, je suis plus que prudente physiquement alors que JE SAIS que c'est facile et dans mes possibilités. MAIS J'AI PEUR ! Qu'aurais-je fait seule ? Ni mieux ni pire...
Je me rassure à la fin et je prends une décision : j'irai en montagne travailler cela !

Enfin, c'était pas la mer à boire !!

Et il est beau !!





Malgré la couleur, je suis..
verte de peur !
On retrouve le plancher de la chambre du Cambre, les affaires déposées au matin et on prend le chemin du retour. Je propose aux garçons de descendre à leur rythme et finalement c'est ensemble (agrémentés d'un chien, celui du matin) qu'on arrive au parking où ce sera champagne !! J'ai prévu d'arroser l'exploit de Louis, mon bonheur et notre amitié. Et une belle journée d'été !

Le tout se mélangeant  dans de belles bulles rosées.


Descente : 1 heure

Finalement je repasserai une nuit à l'orée de la forêt, porte ouverte sur la petite musique de nuit de la forêt sous un ciel piqueté d'étoiles.  Une bonne nuit de sommeil celle-ci..

(Ecrit en écoutant ceci, très inspirant : Silence de Beethoven)

En chiffres
(empruntés à Ludo)

Temps de marche (pour moi) : 6 h 11 
Distance : 10 .5  km
Dénivelé positif : 953 m
Ascension du couloir : 1 h 27

La même sortie sur le blog de Ludo en un clic


Le trajet
En jaune : la montée
En vert : la descente normale
En rouge,: notre descente





4 commentaires:

  1. Que c’est beau ! De belles images de montagne au lever du jour, un couloir magnifique que je ne connais que de loin, il me terrorise lorsque je le regarde depuis la crête, il me semblait que je te suivais, j’étais à moitié rassurée... mais je me suis régalée. Je te lisais en regardant le Cambre d’Aze depuis Les Angles, je voyais le Vermicelle qui me paraissait inaccessible, bravo Amédine pour cette ascension hors du commun. Le champagne était bien mérité à l’arrivée, très beau reportage, je ne regarderai plus le Vermicelle de la même façon. Bises, câlins à tes félins. Quelle pêche, une forme olympique !

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    1. Merci Josy pour ton enthousiasme qui vaut bien le mien. J'ai essayé de faire profiter mes lecteurs; c'est un vrai moment de bonheur de grimper ces trucs mais attention, celui ci reste un facile et j'ai bien envie de goûter à d'autres même si leurs noms sont moins appétissants ! Bises à vous deux

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  2. Quel superbe reportage ! Je suis vraiment heureux d'en avoir fait parti.

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    1. En avoir fait partie ? Mais tu en es l'instigateur, c'est moi qui suis heureuse d'avoir fait partie du groupe, d'autant que tu prends de gros risques en amenant le 3 me âge sur ces pentes. A cet EHPAD là tu as bien assuré...hihi...en descente

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