samedi 7 décembre 2019

Rando aérienne pour le Cinglegros (Lozère)

Ou "vol au dessous des nids de vautours"...
Dans cette belle vallée du Tarn, où la rivière coule entre d'étroites et hautes murailles calcaires, il y a un certain nombre de randonnées "aériennes" qui donnent lieu à de belles découvertes géographiques ou géologiques ainsi qu'à quelques acrobaties . Cette rivière de 380 km, née au Mont Lozère et affluent de la Garonne, doit son nom à des racines latines ou ligures signifiant falaises, ce qui n'est pas une usurpation ici !
J'affectionne particulièrement ce site lozérien où le Tarn coule dans des gorges. C'est vers la fin de ces dernières que je vais. La rivière entre dans une longue ligne droite mais cela n'ôte rien à la hauteur des parois : plus de 400 m.

Vallée du Tarn : à gauche, les falaises ensoleillées (photo prise l'après midi), mon lieu de rando
Rive gauche du Tarn

Il y a de la glace dans les flaques, il fait moins 3 quand je quitte le hameau (La Bourgarie alt 860 m), où j'ai dormi bien au chaud dans mon camion (moins 1°).
Le hameau dort : de toute façon il est presque vide d'habitants.
Un sentier commence par descendre et s'enfonce sous les roches sommitales, dans une forêt quasi verticale qui s'étage jusqu'à la rivière, 440 m plus bas.

Départ matinal, le sentier Martel et mes visiteurs
Je pars en sachant quelques éléments essentiels :je vais évoluer dans un paysage constamment boisé qui va me frustrer du paysage, je serai tout le temps dans l'ombre, donc dans le froid, l'humidité, voire le gel. Et enfin, conséquences à bien prendre en compte, ce sera glissant ; rochers, racines et feuilles mortes, autant d'éléments de patinoire. Comme il a beaucoup plu, faudra t'il y ajouter la boue ?
Je me dois d'être prudente, j'ai une lampe et une corde, au cas où. La lampe pour une éventuelle grotte!









Le relief est fait de plusieurs étages de falaises calcaires pâles ou ocres, de style dolomies, falaises lisses aux formes arrondies, creusées d'orifices où nichent les vautours; elles  sont parfois striées de noir, ce sont des chemins d'eau; après ces pluies, on la voit ruisseler.














J'évolue face à l'ouest donc dans l'ombre et immédiatement un vol de vautours vient contempler l'intruse colorée de rose. Ils sont en zone protégée et ne craignent pas l'humain, tout au long de ma rando je les aurai pour uniques compagnons, ce qui me vaudra de belles séances contemplation et faussera le temps de marche affiché au départ, mais je suis là pour ça : marcher et contempler.





En soi la balade peut paraître monotone et répétitive, voire un peu décevante lorsqu'on a déjà fait celle de la Jonte, époustouflante. Mais il faut dépasser ce point de vue émotionnel pour se repaître du point de vue paysager, la chute des feuilles lui rend un fier service. C'est donc la falaise en face, orientée plein est qui me donne un aperçu du décor dans lequel je marche. Car je ne vois pas grand chose "chez moi": des arbres et encore des arbres, des tapis de feuilles et des jardins de mousses, buis et fougères. Je devine les rochers qui me dominent et j'entrevois la plongée verticale de falaises splendides en dessous.
L'air est froid, je suis très peu vêtue, la marche réchauffe mon corps habitué.

Les corniches de la rive droite

Le décor sur mon sentier
Donc ma rando sera une longue marche de 10 km, moitié en dessous du dernier étage de falaises, moitié au pied du 1er étage de ces falaises par les sentiers Martel (comme au Verdon) et Gaupillat Je vais de surprises en surprises toutefois car mon regard acéré fouille le terrain. Ici un arbre aux formes étranges, ici un roc surprenant, là un point de vue ébouriffant; mais...les vautours seront le spectacle majeur  Ils sont silencieux, omniprésents, c'est un ballet sans fin. Les hautes falaises leur servent de perchoir et ces messieurs dames s'y réchauffent au soleil, font leur toilette dans de riches contorsions de cou et laissent le vent retrousser leurs plumes ensoleillées. Il est hors de question de les regarder en marchant car le sol est trop glissant et ils pourraient bien se voir offrir un bon petit déjeuner à mes dépens!


Dans tous leurs états


Je repère leurs nids et les débusque au zoom.





La Sablière (hameau) en bas
Aucune route n'y va





Le sentier Martel, assez en courbe de niveau oscille autour de 800 m et n'a pas de sévères déclivités. Mais il offre des belvédères aussi rares que remarquables. Je trouve le trajet long, par rapport à la rando en montagne tout est différent et les perceptions faussées. Connaissant la vallée et la route, j'ai mes repères tout au fond. Le hameau de la Sablière coupé du monde puisque accessible uniquement par wagonnet transbordeur, le village troglodyte de St Marcellin et cette maison isolée en bord de route que des ouvriers rénovent. Tout ça je l'ai parcouru hier soir, en bas, et observé avec minutie.




Relief ruiniforme hérissé de vautours

Un temps fort est la rencontre avec une arche remarquable, Baousse  del Biel (la bosse du vieux) qui ouvre sa fenêtre sur le Tarn, ses rives, ses eaux, sa route et...me fait rêver...Ah les arches et moi...
Le Tarn affiche des couleurs inimitables, m'envoie sa musique, c'est le seul "bruit" ici. Silence parfait quand il se tait. Si je ne suis pas envoûtée par le point de vue, je suis enchantée par l'atmosphère et la solitude.
L'arche de la Baousse del Biel

Vue du Tarn dans l'arche

J'hésite un instant à l'embranchement pour le hameau de Volcégur sur le plateau mais ne mélangeons pas tout. Et je fonce parce que j'ai lu quelque chose que je ne vois point venir : est ce sur le trajet délaissé, celui du bas ?
Quand soudain....je scrute, lis le panneau, ai un pincement d'angoisse, enfourne mes bâtons dans le sac et me lance ! A Dieu va !!Selon l'expression.
Le sentier Martel est arrivé aux échelles. Soit il continue soit il crochète à droite vers le Belvédère de Cinglegros (le Grand Cirque) crochetons donc !! Il s'agit du Pas des Trois fondus, le plus dangereux passage de tout le circuit. En effet, on descend confiant sauf que certains barreaux n'ont pas le même écartement et qu'un pas de crochets est plus long que mes "pattes", aïe le déséquilibre imprévu. Et ça glisse "sec".
A droite le belvédère de Cinglegros
Pour y accéder faut descendre au col et remonter, le tout par des échelles

Détails : en jaune une des échelles en gros plan photo de droite 

La descente musclée s'effectue par quelques crochets de grandes enjambées et 52 barreaux d'échelle jusqu'à un petit col où ça repart dans l'autre sens : 150 marches d'échelle, des marches de pierre et un passage fort étroit avant que d'arriver au sommet du belvédère où je dis "waouhhh!!" sans autre voix.
Le pas des Trois Fondus 


Un peu des 150 marches
























Vers l'amont, le Tarn, son cours rectiligne et ses falaises, vers l'aval, rien de nouveau et à mes pieds, la courbe du Tarn qui évite ce promontoire. En face, d'autres falaises au pied desquelles dort le village  troglodyte abandonné de St Marcellin, un joyau!
En images, depuis le belvédère



Vers l'amont (Les Vignes)  avec l'ombre du belvédère

Vers l'aval (Le Rozier)

En face :village troglodyte de St Marcellin

Détails
Eglise, cimetière, prieuré

Le Tarn rapide et le hameau de La Sablière
Hameau de la Sablière, juste en dessous de moi (zoom)

Il fait froid, je me couvre et déjeune en regardant les curieux du coin venus renifler l'ambiance, je veux dire les vautours. Pas facile de s'arracher du site.



Pourtant je redescends de mon nid d'aigle..euh de vautours et entame la boucle prévue par un couloir boisé "raidos" d'où jaillit un "Bonjour!!!"qui m'arrache un cri. L'unique alter égo du jour, un jeune randonneur à qui je donnerai l'envie du belvédère.

Le sentier du retour me dit-il est "encombré de végétation, magnifique et au pied des falaises". Le descriptif me suffit de toute façon on ne se perd pas ici. Je longe donc les falaises immenses, vertigineuses, par ce sentier Gaupillat. De éboulis montrent que...des fois...au cas où... et une grotte semi murée n'explique rien car à quoi pouvait elle servir ? Sinon  à un ermite...

Quelques hêtres dans ces bois 

Descente en couloir

Le relief particulier des corniches


Dans la grotte aménagée

Vue imprenable sur la vallée depuis le "trottoir" de la grotte




Un instant une sourde rumeur provient du coeur de la muraille verticale mais je connais le phénomène, rencontré au Verdon : c'est l'écho amplifié du Tarn qui semble faire une cascade intra muros.


Dans mon dos, 400 m de vide
Je m'émerveille de ce ennième vautour
Et pourtant, je perdrai le sentier, mais est ce possible ?? Et oui, des marques jaunes m'expédient dans une côte hallucinante, un couloir et je me retrouve, furieuse, sur le sentier du matin. En plus j'ai su de suite que je faisais erreur mais ne retrouve pas mon bout de carte. Ma colère se transforme, un sentier en sens inverse réserve des surprises et ce sera la Baousse del Biel qui en sera l'objet. Idée saugrenue : et si je montais sur son dos ? facile...je rencontre un énorme pin aussi contrefait et vieux que la Baousse, et il m'aide à escalader l'arche, je loge un doigt dans un crochet de rappel et me hisse à la force de ce doigt sur le dos voûté de cette arche de  47 m d'envergure, 27 m largeur intérieure et 25 m de haut. Accessible uniquement en rappel, elle permet ensuite la descente, principalement en rappel et désescalade de pente d'un ravin sec jusqu'au sentier inférieur, une expé musclée !
Sur son dos je ne vois rien de l'arche mais quel paysage ! Et quel ressenti....



La Baousse del Biel  
Sur le toit de l'arche en tenue d'été (il fait 6°)



Dans l'étonnant et vaste pin rampant sur l'arche

Le coeur du pin
La vue depuis le toit de l'arche

Je désescalade sans souci et reviens tranquillement toutefois, le fait d'avoir manqué la fin du sentier et son Pas de l'Arc me contrarie encore. Malgré ma fatigue je descends les 70 m de D- et  ce Pas de l'Arc est encore un cadeau ! Mais que c'est beau....A présent je peux rentrer, un peu  d'eau fraîche à la fontaine du Bout du Monde, un goutte à goutte emplissant la citerne de roche et les voix de la Bourgarie viennent à la rencontre du sentier.


Descente au Pas de l'Arc
La fontaine du Bout du Monde

La Bourgarie, détail


14 h 47, je pose mes bâtons au camion. Et je bois un bon café à l'eau du Bout du Monde, car je vais au Bout de la France. Tout à l'heure, j'ai le temps, je veux rouler de nuit pour profiter de mon séjour.

Un peu plus loin, je prends mon repas face au décor magnifiquement ensoleillé, irai faire une visite escarpée au château de Blanquefort, 11 eme Siècle avant que de prendre la route, 275 km de route de nuit m'attendent.

Souvenir....
Une balade aérienne non loin d'ici, Pâques 2018, dans les corniches de la Jonte, en un clic

En chiffres 
Distance 10 km
Temps d'absence : 6 h
Dénivelé cumulé estimé 400 m (peut être même pas)
Route 275 km


En rouge l'aller, en bleu le retour


9 commentaires:

  1. Encore une magnifique rando pleine de découvertes et de surprises ...

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    1. Tu connais ? Ehhh il n'y a pas d'intrus à cette saison...donc tenue de combat facilement possible. Bon je ris! Fais pas chaud, ombre assurée à la journée

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  2. inutile que je te dise que j'adore, la route qui longe le Tarn est l'une de mes préférées, ton circuit est merveilleux, musclé mais merveilleux. Je ne pourrais m'empêcher de penser a toi si j'y retourne, mais je pense déjà souvent à toi. Bises mon aventurière Chris

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    1. Et si tu y retournes fais le ! Avec les échelles sinon il perd toute son originalité. Bises à toi ma courageuse travailleuse

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  3. Bonjour Lison. Toujours très intéressant et de belles photos. Je me rend compte que lors de mes vacances en France, je passais quelques jours avec Jean-Pierre et son épouse Françoise (amis d'enfance) dans son hôtel de la Muze et du Rozier... mais sans aller visiter ces endroits que tu nous présentes. Il est vrai que je ne suis pas un escaladeur et ma compagne encore moins. As-tu vu le petit hameau situé au bas d'une falaise près du bord du Tarn et nommé Castelbouc. Je l'ai en photo dans mon article "Les Gorges du Tarn"... http://www.tehoanotenunaa.com/2014/07/les-gorges-du-tarn.html
    Amitiés

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    1. Oui, je le connais aussi, enfin je n'y suis pas allée à ce hameau depuis très longtemps il est en amont de Ste Enimie est accessible par une route et a du être bien rénové depuis. Il en est un autre Hauterives lui aussi isolé comme La Sablière. St Chély a eu sa route et son pont dont les habitants ne voulaient pas, au début du 20 eme je crois. Cette vallée est captivante; Pugnadoires, du "bon côté" est intéressant, un peu troglodyte et un sentier permet de gagner le Causse de Sauveterrre, je l'ai pris en 2012 mais je ne tenais pas de blog alors, je le referai pour le blog. Cette vallée est une mine d'or à éviter l'été. Je t'embrasse, je pars me percher à nouveau mais près de chez moi cette fois !

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  4. J’ai redécouvert les gorges du Tarn, ton reportage est magnifique. Des falaises impressionnantes avec une arche que tu as osé escalader, des vautours splendides, des hameaux hors du temps, des habitations troglodytes, tout ce que j’aime. Le paysage de Saint Marcelin m’a fait penser à Brice Canyon, un vrai dépaysement. Merci pour ce récit et pour ces photos qui m’interpellent, j’adore.
    J’ai réussi à me réinscrire à ton blog.

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    1. ah j'avais oublié de répondre à ton commentaire qui me plaisait beaucoup. Vous aurez peut être le plaisir au printemps de redécouvrir ces sites avec votre van tout neuf qui va vous donner une sacré liberté !!D'ailleurs au printemps je le referai aussi, enfin un autre sentier car le printemps y est enchanteur . pensez aussi aux 4000 marches de l' Aigoual

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