samedi 13 mars 2021

Maury : une "douce" dorsale



 Dans cette montagne calcaire, au nord de l'axe routier Maury / St Paul, nommée Serre de Maury se trouve un gros îlot rocheux tourmenté et escarpé, la Serre del Clot de Servat. J'ai repéré, un jour de janvier, dans ce fatras géologique, une arête fine et élancée, voire élégante, qui m'a donné envie d'aller la parcourir.

Serre du Clot de Servat





Elle m'a conquise, elle m'a évoqué, avec la lumière du jour et ses couleurs un peu fauves, un drapé de la Pietà de Michel Ange. Bon toutes proportions gardées mais l'essentiel est le regard que nous portons.


Un soir de janvier

Une première fois j'y allai et retrouvai le sentier depuis longtemps abandonné, ce fut un vrai parcours du combattant en jungle agressive.

Un peu plus tard, alors qu'il avait neigé la veille, en ces basses altitudes (aux environs de 600 m), je suis allée essayer de me mesurer au départ de l'arête et ce départ fut assez difficile, plus que prévu, je m'arrêtai assez vite, au premier vrai obstacle, il y avait trop de vent. Qui dit arête dit vide!

Ce jour de 11 mars, me voilà partie car enfin une convenable fenêtre météo est au menu. Pour aller sur ce type de site en un lieu qui ne voit aucun humain sauf un rare chasseur, mais qui est bardé de buissons épineux, j'enfile toujours la tenue la plus déglinguée possible : vieux sac écharpé et blessé, empli de corde, leggins en fin de vie, et mes pauvres souliers qui n'ont presque de souliers que le nom, mais ils sont efficaces, ce n'est pas le moment de tester mes souliers neufs ! La clocharde des montagnes...

Vu de la piste, ça grimpe bien !

Première surprise, la piste a été barrée, condamnée, mais je connais le coin et j'ai un plan B. ça roule....


Limite schiste calcaire dans les dernières vignes au pied de la Serre de Maury

10 h 10, 279 m, je quitte la piste pour le sentier, ancien chemin d'exploitation assez large  qui finit en sentier, la partie la plus douloureuse du trajet, jusqu'au cône d'éboulis, 411 m. Je remonte le cône, c'est sportif, souvent il faut monter à quatre pattes non pour la déclivité mais pour la portance. 453 m ouf, la roche me tend ses bras pour que j'y colle mes mains. Et c'est parti! J'ai parcouru 860 m, il fait très chaud , ça promet. Minute contemplation, les montagnes au loin, les vignes, les taillis épais que je viens de quitter et que je surplombe, les bruits lointains de la route, le Canigou étincelant, une fumée qui monte droit et moi au milieu de tout cela, au pied des parois, petit point perdu dans un milieu hostile que je vais devoir apprivoiser...



Cela se nomme sentier !














Le cône et sa pente; Canigou au loin

Le départ

Dans mon dos.













Je suis sereine, pas inquiète mais je sais qu'une extrême attention m'attend.



Dans ce style d'arête, quand c'est un lieu pas du tout fréquenté, les pièges sont multiples. Dans un site fréquenté,  les marcheurs "nettoient" le site, enlevant par le passage répété les cailloux ou rocs instables, les végétaux morts, la terre qui fait glisser. Là c'est brut de décoffrage et mon but n'est pas de nettoyer, juste de me faufiler sans danger.

Le départ que j'ai testé en février est assez sportif, mais je retrouve mon passage, je gagne du temps. C'est beau parce que cela devient vertical et que le paysage en sort grandi. 

Grimper est un régal!

Je parviens au petit col qui fut mon terminus et là, première vraie difficulté, ça ne passe plus. Je vais donc chercher sur ma gauche, car, à droite, c'est la haute paroi lisse sur un vide immense. Je me faufile entre arbustes et buissons, me glisse sur des roches trop lisses, là il faut étirer tout ce qu'on peut, cela se joue sur une prise et c'est passé.


Mystère au pied de ma falaise

Au petit col, la falaise  se dessine
Je ne le reverrai pas, depuis son arête














A présent le parcours devient facile : aérien, paysage ouvert, soleil brûlant, grimpe aisée avec pieds et mains, prises multiples, juste le ménage qui n'a pas été fait, faut se méfier des grosses "poussières" qui traînent.



Entre les deux , le petit col


A ma gauche




A ma droite : le grand vide


J'imaginais une arête lisse, sans aspérités, en pente douce, blonde et belle, régulière, étroite, bref l'arête parfaite : c'est tout le contraire, elle est fracturée, accidentée, pleine de rebonds et chutes, en dent de scie, striée, encombrée d'arbustes bonzaïs agressifs, qui donc ose les déranger ?? Elle n'est pas compliquée mais hostile quand même, alors je la caresse des doigts, je lui parle, je la congratule, elle semble apprécier j'ai mon laissez passer. A ma droite il y a le vide, c'est si vertical que ne je vois pas la  falaise. A ma gauche, une vingtaine de mètres de vide, rassurant mais indescendable, même à la corde. Derrière moi, la faculté de redescendre au cas où...je ne l'envisage même pas !!






La Serre de Maury et une autre jolie draperie...à voir....





Prises sans surprise



Et dire que tout ce maquis fut cultivé ....
Mon parking est la petite tache grise au milieu





La crête réserve de beaux points de vue mais aussi des curiosités naturelles : des petits jardins de plantes grasses ou de polypodes, de délicates jonquilles, véritables petits soleils au ras du nez, des genévriers suspendus sur le vide, ancrés dans la roche au prix de tronc tourmenté et de racines noueuses dont on aimerait, par transparence de la roche, voir l'invraisemblable parcours. C'est aussi cela qui me retient sur ce genre d'arête, cette vie extraordinaire loin des humains, fragile et redoutable à la fois. Voici une petite araignée qui grimpe une dalle verticale si vite que la photo ne prend pas, pour elle c'est la montée de la face nord de l'Eiger, une danseuse étoile, pourtant.


Plantes grasses

Rayon de soleil



L'arche mystérieuse

Du soleil
Genévrier penché sur le vide


C'est cette force de vie qui me captive sur ces crêtes...

Je cherche des prises souvent plus haut que ma tête et je frémis, me demandant si la vipère grise ne va pas s'éveiller sous ce chaud soleil, dans un de ces trous où je glisse mes doigts à l'aveugle.

Un surplomb, petit mais efficace, barre mon chemin. Pas question de franchir à droite, c'est de la falaise lisse et périlleuse. A gauche ce sera du sport, je vais me glisser dans une sorte de cheminée, ce qu'on nomme un dièdre, style livre ouvert : alors le sport reprend le dessus, grand écart ou jambe levée le plus haut possible, montée en opposition. Si mes articulations doivent grincer, et me doigts craquer, ce sera plus tard, au repos dans ma maison. Ici tout est bien huilé. 

Le petit surplomb
Le dièdre difficile

Un autre passage périlleux m'a été offert, bien collée à la paroi, essayant de me caler sur de toutes petites prises, les doigts bien ancrés avant tout, il aura été un des trois passages compliqués. Le reste est du jeu. Et même un éclat de rire mâtiné de colère; un arbuste de rien du tout, échevelé comme une pieuvre me retient prisonnière : coincée par mon sac, je ne peux m'en dépêtrer qu'en ôtant le sac en ridicules contorsions. Bordée de jurons...

Le petit col au bout de mon doigt





Un petit col m'invite à pouvoir redescendre : que nenni! Je continue.

                                 

                 




J'aimerais descendre par là mais faut pas rêver aujourd'hui, on verra plus tard
Peut être il faudra d'abord monter par cette draperie, elle ne fait que 360 m

Soudain, je m'arrête, un roc vient de dévaler quelque part. Et  c'est une pure merveille, outre le décor qui ne pouvait pas mieux être. Dans les replis rocheux je suis à la trace des fusées qui se fondent au décor et font dévaler des pierres. J'imagine des chevreuils, ce sont des mouflonnes nommées brebis. Curieuses et élégantes, elles m'ont vue et dans une immobilité parfaite, nous faisons connaissance à distance. C'est un instant de grâce....de plus, c'est à l'endroit le plus beau du voyage. Car c'en est un , de voyage. Voyage dans un décor sauvage où ne va jamais l'humain, qui n'appartient qu'aux animaux, voyage à l'intérieur de soi. J'en ai rêvé, je le fais et je prends un temps fou à me poser, je ne reviendrai jamais. Ne fut ce que pour garder intact cet instant. Et le souvenir qu'il deviendra .

Un très bel endroit









Je ne connais pas son nom
Je crois qu'il est rare

Me voici à l'instant du choix, l'arête est finie, altitude 630 m : continuer sur le grand mur qui semble abordable mais qu'il faudra redescendre parce que en dehors de lui rien n'est carrossable, ou bien emprunter le couloir qui part du petit col juste là en bas? Vacarme dans les fourrés, des brebis démarrent et traversent la combe à la vitesse de l'éclair pour aller m'observer sur un roc, bien en face. On va se scruter près de 10 minutes.

ça ? a quoi bon? Allez, 
je bifurque à gauche
ça c'est fait !



Tête à tête animal


Mon compagnon de balade

Puis je descends au col, et emprunte le chemin des mouflons, sous le couvert, ce sera mon sentier de retour, jusqu'en bas, sur près de 300 m. Le sol est bouleversé, la terre labourée m'offre un bon parcours. Pour cette descente je vais m'aider de la corde pour éviter les glissades, descente en marche arrière, rapide et efficace. Sûre, de surcroit. 

Mon couloir de descente


Même chose

Chemin de mouflons






















Mais que vois je ? Une jolie fenêtre dans la falaise sur laquelle je suis passée sans la voir: heureusement elle était solide !! Des animaux s'enfuient dans les fourrés, je ne les vois pas. 

Quelle fenêtre !! Quelle surprise...



Je continue ma descente, la corde est précieuse dans les éboulis et plus encore dans un raide mur de roche  lissée comme marbre, (ce qui reste un mystère), haut de plus de 8 m, la corde entière y est absorbée, en double. 


Le mur lisse de 8 m




   

Dans les éboulis















Un beau marbre poli


Ainsi j'arrive aisément au bien aimé pierrier qui n'aime pas davantage l'humain à la descente et n'a qu'une idée, l'expédier au tapis ! Si on le monte à quatre pattes, la descente ne tolère que les deux pattes !


Pour peaufiner l'ensemble, le sentier me régale de ses multiples piqûres végétales, faudra t'il que je m'arme des sécateurs électriques la prochaine fois ? et, au bout du voyage, je retrouve le chemin bordé de fleurs, joli moment de douceur bien méritée. 




Bien mérité aussi le pique nique, j'ai oublié de me nourrir, comme bien souvent. 



En chiffres...

En jaune l'aller: arête
En rouge le retour : couloir

Distance  2.79 km
Dénivelé : 369 m
Temps de marche: 1 h 43
La route 113 km AR


4 commentaires:

  1. Superbe, j'aime beaucoup ces montagnes rocheuses mais je ne m'y hasarde pas, Soit prudente,,,B B

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    1. J'ai découvert vraiment les paysages calcaires à 19 ans dans la banlieue de Montpellier et ce fut une révélation. A présent je les visite de l'intérieur. Oui je suis TRES prudente car je ne voudrais pas être obligée de m'en priver. Bises

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  2. J’adore ces roches calcaires façonnées par le vent et la pluie, c’est un beau parcours qui nous tient en haleine, mais l’éventualité de rencontrer une vipère, me terroriserait tout de même... Tu fais corps avec la roche ! Elle est belle cette serre de Maury cependant elle se mérite. De belle fleurs, des mouflonnes, un paysage magnifique, un cocktail bien sympathique qui récompense l’effort. Merci pour ce récit intéressant qui me rappelle les bons moments que nous avons passés à parcourir cette serre.

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    1. Et bien c'est presque l'envers du décor que je découvre et j'espère agrandir ma connaissance; toutefois c'est difficile, j'y vais à pas de loup...même si parfois j'ai l'air d'une chèvre. Oui elle est séduisante, en haut comme sur ses flancs cette Serre

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