mercredi 15 décembre 2021

Serdinya - 66 - Original et sans nom...Canal de Marinyans

 Depuis quelques temps j'arpente les canaux de Serdinya. J'y ai fait de belles découvertes que je n'ai pas contées de crainte d'ennuyer. Par contre, je répertorie mes trouvailles dans un petit livret, afin de laisser une trace pour une éventuelle postérité. Car ils se perdent, ces ouvrages du passé. Les chasseurs les empruntent, par chance, cela leur garde aspect humain. Mais j'ai parfois le sécateur en mains !


Le décor face à tous ces canaux

Ce livret est étayé de plans, cartes, photos, un vrai plaisir de le rédiger.

Ainsi, à Serdinya, le canal perdu de Pomerjana n'a plus de secrets pour moi, le Rec Nou devenu del Solà m'a raconté ses tours, ses détours, ses origines avant le 13 eme siècle puis au 14 eme, m'a montré ses coins cachés, inusités en ce 21 eme siècle, et un autre canal sans nom m'a conduite dans ses entrailles pour aller chercher son eau en une "rasclose" encore bien préservée. Ils me racontent ce qu'ils arrosaient et ce qu'il faut imaginer, ils me racontent les souffrances des ans passés, parfois je dois même ramper pour  passer. Ou me contorsionner. Bien sûr ils sont déserts, paumés, cachés, mais souriants et accueillants: pensez donc, quelqu'un qui les interroge ? 

Quelques images des trois canaux pré cités

Au pied de la route, le Rec de Pomerjana

Cascade du Bonàs : ancienne "rasclose"
ou prise d'eau du Solà ou Rec Nou














Citerne de stockage sur le "Rec d' Amunt"

Comment je les trouve dans ce fouillis de montagnes et de cultures abandonnées ? Cela peut partir d'un hasard, d'un petit tronçon, d'une évidence sur le terrain, d'une intuition, ou du cadastre, mon meilleur allié.

Sur le cadastre, l'emprise d'un canal est marquée de deux fines lignes parallèles en courbe de niveau. Ensuite, mon instinct, ma lecture du terrain et des cartes, ou l'altimètre font le reste. Mes racines paysannes sont un appréciable complément. Evidemment, je jongle entre cadastre et carte IGN, voire photo aérienne, le tout sur Géoportail ou mapy.cz


Exemple de document sur lequel je travaille où se trouve le baptisé "Rec d' Amunt"
Flèches bleues : canal en courbe de niveau
Pointillés rouges : ancien sentier

Quand ils n'ont pas de nom, je les baptise. Quand ils en ont plusieurs, c'est embêtant. Ainsi le Rec Nou  se nommait canal de Jando et se nomme Canal du Solà. Celui de Pomerjana m'a posé un sacré problème avant d'en saisir l'évidence. Les deux d'hier, je les ai baptisés. Rec d'Amunt, ou de Dalt ou de la Pedra Blanca pour le premier, Rec de Marinyans pour le second. Le nom a évidemment une cohérence...Celui que je nomme Rec d' Amunt se trouve au-dessus (60 m) du Rec Nou et prenait son eau au Ravin de Peyró ou Comall de Riell, venu de vers Jujols, un beau torrent de caractère.

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Du Rec de Marinyans je n'ai rien su : pas de tracé sur une carte, pas d'emprise cadastrale, pas...pas...mais...un tronçon de 2 m aperçu au hasard d'une rando. 

Vestiges

Ce n'est pas tombé dans l'oubli. J'ai décidé de revenir pour voir et surtout trouver ! Et j'ai trouvé. Avec pour tout viatique la cohérence d'une courbe de niveau que j'ai évaluée sur le terrain car j'avais omis de repérer l'altitude.

Me voici déjà usée, par les explorations du matin sur deux canaux, sur le Cami dels Horts. Je croise le Rec Nou et je poursuis jusqu'à la ruine de Marinyans. (Ou de la Guardia).


Le mas ruiné entre La Guardia et Marinyans


Je remonte un peu le sentier puis j'observe le terrain, j'évalue, il ne peut être qu'au pied d'un mur; mieux il est à mes pieds mais si petit, si étroit, que je doute.

Un élément marquant

Le tracé du canal




 









Soudain devant ce premier élément je ne peux plus douter ! Il y a un grand bassin désaffecté, étayé de beaux murs et, à ce bassin, arrive une canalisation en ciment, semi enterrée, d'un diamètre assez réduit. Je n'ai plus qu'à suivre. Le parcours se cale entre des terrasses et va se loger en courbe de niveau, entre 660 et 650 m, sur près de 1 km.

Le bassin 

Arrivée du canal au niveau du bassin et dérivations du canal

Arrivée du canal vers le bassin

Le canal est entièrement busé

Mais son parcours est bien marqué


D'abord il passe à flanc d'une pente aménagée en terrasses, encore assez libres d'arbres, envahies de broussaille, puis entre dans la forêt. La géologie est du schiste donc qui se délite facilement, et la végétation typique du sol schisteux méditerranéen fait oublier les 650 m d'altitude !

Le canal va (allait) chercher l'eau dans le Torrent de Bonàs, et pour ce faire, il va lui falloir près de 1 km. 1 km fascinant. La pente de la montagne est abrupte mais ce n'est pas un scoop. Elle est boisée, ce n'en est pas un autre, ni le fait qu'on y lise d'anciennes terrasses entre les arbres. Le torrent est loin, j'entrevois sa profonde vallée, j'entrevois la rive abrupte et boisée en face, j'entrevois son cours qui descend des montagnes enneigées.  C'est tout aussi banal pour le Rec d' Amunt ou le Rec Nou. 

La vallée du Bonàs


Non, l'originalité c'est l'étroitesse de l'assise et son cours escarpé, des falaises ont été découpées en corniches : impressionnant. On ne peut en certains endroits passer, il faut contourner le passage pour éviter d'être précipité dans le vide. Deux sites nécessitent l'évitement.



Taillé dans le roc





Un passage en corniche ( il s'évite par le haut à droite)

Un passage en corniche (il s'évite par le bas)



Un passage sous roche

Direction la vallée du Bonàs


J'essaie d'interroger ce canal dont la morphologie est différente des autres et je crois comprendre que ce fut un canal privé au seul usage du hameau, voire d'un seul propriétaire qui l'avait taillé pour son usage personnel dans ses terres. D'où l'étroitesse et l'absence sur le cadastre.

Ce canal n'a sans doute pas été au départ, busé de ciment mais au vu du terrain fragile et surtout du peu de débit afférent à l'étroitesse, il devait y avoir tellement de déperdition d'eau que, au bout des 700 m, les parcelles mouraient de soif. Enorme travail de busage, au vu du nombre impressionnant de coudes et d'ajustages, et de réparations aussi.

Bien sûr cela reste des hypothèses.

Et virages

                                                                                                    

Raccordements





Passage escarpé


Je marche dans un paysage sauvage, où ne parvient plus aucun bruit de civilisation, où pas un animal ni un humain ne se trouve sur ma route. Le temps est estival, les chênes flamboient et le Canigou, entre leurs branches livre un minois hivernal fascinant de beauté. La chaleur est estivale, la lumière étincelante, je suis hors du monde, je traîne pour mieux savourer.


Dans son beau décor

Et j'imagine ;  j'ai cette faculté de recréer un paysage et de le visualiser en surimpression de l'actuel, alors je marche...il y a 100 ans en arrière. Et j'entends le chant de l'eau qui court libre. Et je vois des couleurs car dans ma vision imaginée je peux changer de saisons à souhait. Le printemps vert et fleuri me va, ici, sur fond de Canigou enneigé ...c'est grandiose. je peux aussi imaginer la vie, les hommes, les femmes, les mulets, les travaux, c'est merveilleux de retricoter la montagne à l'envi.



Par contre lorsque je m'enfonce dans la vallée, près de la prise d'eau, le froid glacé me réveille et colle à ma peau. L'ombre est omniprésente, le soleil ne pénètre pas dans ce renfoncement de terrain, je croise un énorme bassin en terre  construit par les hommes, eux aussi sont bavards, les deux bassins, ils parlent de basses eaux, et de nécessité d'engranger à cause du petit débit. Ou de certains étiages du torrent.


Le bassin


Le grand bassin à 40 m de la prise d'eau

 Et la "rasclose" ou prise d'eau est là, bien en place, presque invisible si ce n'est l'emplacement d'une vanne.

                                                                                      

La prise d'eau, enfouie sous les feuilles

La fin du canal : arrivée au ravin


Je n'ai plus qu'à revenir sur mes pas, savourer l'instant présent ou imaginer les instants passés, j'ai le choix du film.

                                                                                 

Dans les terrasses
et tout en haut

Oh il me faut quand même "monter" à Marinyans, il y a une vue à ne pas louper aujourd'hui.


La vue à ne pas louper

.

Ma maison préférée

Et pourquoi pas revenir par la piste, pour aller revoir le tronçon de canal qui m'avait interpelée ? Justement le voici, fiché dans le talus de la piste. D'où venait il ? Mais du même endroit que moi. Où allait-il ? La réponse se perd sur la piste et sur la prairie fraîchement semée. Cette prairie remplace des terrasses qui ont été arasées, aplanies, supprimées pour donner un seul terrain en pente. 


Il allait quelque part, là bas, avant que cette parcelle l'ait gommé du paysage

Je la contourne pour ne pas écraser les jeunes pousses, mais le canal s'est perdu; malgré l'altimètre, je ne trouve plus rien. Les terrasses sont muettes, peu après les accidents du terrain avaient de toute façon écrit le mot FIN au petit canal sans nom.

D'hier

Et d'aujourd'hui


D'hier ? 


Les anciennes terrasses irriguées par le canal

Et d'aujourd'hui....

Et les nouvelles, mais au moins la vie perdure encore un peu
Et puis, dans un décor pareil....

En chiffres:

Les balades du jour entre canaux et pistes : 11 km


En pointillés rouges, le trajet et les altitudes



5 commentaires:

  1. Au bout du tunnel il y a la lumière, toi tu trouves la pelouse au bout des tuyaux(canaux).
    Félicitations pour ces recherches, tu laisses une empreinte supplémentaire a cette histoire.

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    1. J'aime bien ta formule ! Je laisse mon empreinte sur papier, réel et virtuel, j'espère donner envie de découvrir à d'éventuels lecteurs pour que ces traces ne se perdent pas. Je ne perds pas non plus espoir au hasard d'une autre sortie, de rencontrer encore un de ces petits canaux sans nom et sans tracé sur les cartes.

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  2. Un jeu de piste qui t’a permis de faire de belles découvertes. Nos anciens étaient ingénieux pour construire un tel réseau de canaux dans un environnement aussi escarpé. L’eau c’est la vie, ils l’avaient bien compris. Une belle histoire d’eau et de jolies ruines, l’IGN va t’embaucher… bises neigeuses.

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    1. C'est vrai et surtout pour bien maîtriser la courbe de niveau ou la faible pente sans laquelle le canal ne pourrait peut être pas s'écouler. C'est ce travail là qui me fascine , même à petite échelle comme ces minuscules canaux de montagne qui ont permis aux cultures de coloniser tant de sites ingrats.

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