jeudi 20 janvier 2022

Villefranche - 66 - A la recherche des terrasses perdues de Sta Eularia


 Même lieu qu'il y a trois jours, Santa Eularia, même heure, 9 h, même température, moins 5 °, pour mon projet musclé, grimper à l'assaut des falaises où s'accrochent d'anciennes terrasses sur 300 m de hauteur et essayer de les faire parler. Départ 430 m.


Les terrasses de Santa Eularia

Mes mains gelées me rejoignent un instant d'après, fallait pas trop tarder, aujourd'hui j'en ai trop besoin, je vais les faire marcher. Je sais que je ne rencontrerai personne. Ma tenue est "miteuse", leggin presque neuf et déjà troué, il finira vite en chiffons pour allumer la cheminée, c'est la tenue de rigueur pour ce que j'ai à faire. Pour le haut, le tee shirt, sera minimaliste, la peau des bras et mains absorbera toutes les griffures et écorchures. Mon sac contient un hétéroclite matériel, corde, lampe, sécateur, burin à la mystérieuse destination, petit piochon en guise de piolet au cas où, aucune pharmacie, faut pas tenter le Diable.

Je fausse compagnie à la piste dès le 2nd lacet et je file sur une sente imaginaire, sans doute un passage animal, mais ils sont très utiles. L'ombre est là, le soleil vient à pas feutrés à ma rencontre et j'écoute les premiers mots de cette montagne abandonnée. Voilà des tessons, terre cuite ou vernissée, vestiges de la "vaisselle" modeste des paysans d'avant.

D'ombre et de lumière


Les tessons

Habitant des terrasses: le chêne vert

De beaux murs




De hauts murs

Chemins d'accès

Le sol des terrasses est couvert de végétation buissonnante et griffante, et d'arbres laissant peu de place à la terre rocailleuse et aux vestiges. Le thym froissé embaume. Les murettes s'étagent comme les gradins du Colisée dans ce vaste amphithéâtre qu'est Santa Eularia, bordé de falaises redoutables sur un côté. D'en bas montent les bruits de la gare, de la route ponctués par l'eau vive de la Têt. Le coq m'a saluée.  Silence chez les caprins.


Terrasses embroussaillées au plus près des falaises


Remonter ces terrasses est un jeu d'enfant; quoique très hauts et denses, les murs laissent place à un cheminement, celui là même des paysans d'antan; esquisse de sentiers, adoucissement de la hauteur du mur et je choisis mon chemin comme si je faisais mon marché. Quelques petits éboulis tranchant un mur sont autant d'aides, j'y vais au feeling.


Remonter de terrasse en terrasse...raide et facile. Ici 600/700 m alt


Dès que me rejoint le soleil, je quitte pull et kway, je griffonne quelques notes et surtout je prends le temps de contempler. Car ce type de terrain m'invite toujours à grimper comme une chèvre ayant la curiosité pour moteur. Je me calme, je me pose. Les vallées fument dans l'air glacé du matin et l'ombre bleue, puis fument encore aux premiers rayons du soleil. Villefranche aligne sa géométrie et Libéria entame son bain de soleil. La journée promet d'être resplendissante et je suis là pour prendre mon temps. Je voudrais les voir toutes, les grimper toutes, ces terrasses mais je me fixe une oblique pour aller tutoyer le bord de la falaise. Il fallait le faire de construire si haut !!


Vernet les Bains, glacé

Le décor : Fort Libéria se dore au soleil


Vallée du Cady

Je trouve des squelettes de fruitiers alignés, 3 ou 4 par terrasse, et puis des oliviers souffreteux mais vivants. Aucune trace de vigne ce qui peut s'expliquer. La limite de la vigne était Olette (et même plus haut), soit 800 m et là je suis à 500, 600, donc la vigne était possible. Mais en ce temps là, les vignes étaient plantées en plant direct (un sarment), c'était avant le phylloxéra.  Qui ravagea le vignoble mondial. Alors on changea de technique et on planta du pied mère (ou vigne vierge, ou plant américain) que l'on greffa. Tous les anciens vestiges de vigne sont du plant américain; la vigne plantée en direct ne laisse aucune trace après sa mort. Le pied mère, lui, ne meurt jamais.

Oliviers

Vestiges de fruitiers


Ce qui explique que je ne trouve aucun vestige. Mais leur présence m'a été confirmée.

Et je grimpe. Se frayer un passage dans cette végétation piquante agrémentée de solides chênes verts m'oblige parfois à ramper !


Se frayer un chemin là dedans est sportif 

Plus facile de mur en mur

Je vais donc, ce jour, ramper, grimper, varapper, jouer les chevrettes ou l'austère sanglier. Je suis dans mon élément; envolées fatigue, douleurs, raideurs articulaires. La pharmacie est autour de moi !!

Elle est dans le bien être, la curiosité, l'appétit de découverte. La flore est remarquablement épineuse ! celle des régions sèches calcaires. De curieuses fleurs mettent de la gaieté et le calcaire joue un peu la fantaisie en rayures, couleurs et formes.


Globulaire buissonnante
(propriétés médicinales, foie et transit)

Etonnante géologie











Par curiosité je vais vers l'arête de la falaise et je fais la rencontre d'un orri bien conservé, à l'architecture simple et efficace. Toujours un instant magique qui ouvre sur des rêves. 

Situation de l'orri. 640 m, 1. 6 km

Physionomie de l'orri qui ouvre sur Fort Libéria

Arrivée sur l'arête, 700 m alt, juste sur un passage en "salto de caballo", soit effilé, j'ai un paysage à couper le souffle : ces falaises dont je rêve depuis des années, elles sont sous mes pieds, ainsi que le paysage de carte postale que se disputent ombre, soleil et vapeurs glacées. Tout simplement subjuguant. Libéria joue les coqs de basse cour surveillant son monde, au soleil, et sans doute celui de Villefranche continue t'il à s'égosiller dans le froid glacé.


Mon camion tout seul au bord de la piste vient de rencontrer le soleil

Soudain, j'éclate de rire : silencieux et fasciné par ce drôle d'humain, un troupeau de 14 chèvres m'observe. Elles continueront à m'observer tandis que je grimpe un morceau d'arête, me rapprochant des caprins immobiles.











Je bifurque, cette fois ce sera du mur calcaire pour regagner les terrasses et nichée au sein de la paroi, une petite grotte m'envoie au visage un air aussi chaud qu'un feu de bois ! ce n'est pas un trou souffleur. Cette chaleur peut provenir de deux choses, d'abord l'écart thermique avec l'extérieur, ensuite j'ai lu sur un blog spéléo que le réseau souterrain d' En Gorner (17 km ) est chaud, et j'imagine que cette galerie doit communiquer avec lui. Elle a reçu une visite scientifique je pense. Je la laisse à ses secrets, je n'en saurai pas davantage, hélas. 

Le secteur foisonne de sources chaudes et d'établissements thermaux, la faille de Mérens sabre la géologie du massif depuis l'Ariège (il y a des sources chaudes à Mérens), serait ce la cause de cette chaleur issue des entrailles du sol ? Que de questions...

La petite grotte

Un des mystères de la grotte
Griffe "scientifique "?



Le réseau souterrain d'En Gorner : 17 km

 En haut du mur je retrouve les terrasses sagement étagées, alignées mais si étroites que seule une rangée d'arbres ou de ceps de vigne pouvaient les occuper. Escarpées comme des barreaux d'échelle, elle se terminent là .


L'étroitesse des terrasses

Même chose



Egalement

Je pars en courbe descendante pour rejoindre l'autre mystère des lieux, la forteresse de pierres.

Vite dit et impossible à faire. Les terrasses sont si encombrées que le mode sanglier qui s'impose va m'épuiser et m'obliger à grimper un terrain "pourri" (croulant) afin de rejoindre le sentier. 


Traverser cet enfer est impossible


Malgré ma bonne volonté



Alors je regagne l'autoroute! 729 m

Quelle avenue bienvenue...Petit casse croûte repos et c'est reparti. D'en haut on ne voit pas la forteresse à cause de la barrière d'arbres donc c'est au jugé que je trouverai l'unique passage qui va me mener aux étages inférieurs. J'y fais deux belles rencontres (orris) et j'atteins la forteresse qui va me livrer un peu de ses mystères. Quatre étages de murailles entre lesquelles des tas de cailloux sont entreposés: les murailles sont faites de pierres, certaines taillées, d'autres non, un empilement gigantesque effondré par places : un stockage à l'évidence. Pas trace apparente de carrière, mais je n'ai pas exploré le site, je reviendrai.

Vu de loin et vu in situ :

A 660 m





Plus tard, je penserai que c'était peut être un réservoir de matériau pour la construction de Fort Libéria (450 m de distance) et j'aurai là aussi confirmation; je chercherai un éventuel chemin d'évacuation, que les paysans ont peut être détruit pour leurs terrasses, mais au bord du sentier du Fort, une curieuse plate forme aurait pu servir de site de déchargement.

La plate forme en bord de sentier près de Fort Libéria

Deux jolis orris bien cachés m'offrent leur abri ventru au toit en coupole:


Sièges taillés sur place, sommet de la coupole et douce lumière. 680 m


Vue sur Canigou que j'ai dégagée au sécateur


Il est plus de midi, 3 h et 3 km d'errances dans ce purgatoire minéral, je regagne le sentier pour attaquer la séquence repos : 12 km sur sentiers dont une grande partie nouveaux pour moi, une belle balade qui va me conduire à flancs de montagne, en sous bois glacés, en crête, en pierriers et piste forestière sur les sentiers de Ria, aux portes de Bell Lloc, aux antennes, à St Etienne trop surpeuplé et à la recherche d'un sentier perdu dont je trouve plus ou moins le départ, (mais on verra une autre fois, car il sera une épreuve), puis un retour paisible toujours en sentiers de tout repos, dans l'exceptionnelle lumière hivernale, avant de signer la conclusion avec la grotte inaccessible pour laquelle j'ai pris un burin!

En quelques images: 

Sur le sentier de Ria, dans une pente dévastée par une
ancienne tempête


Le joli sentier de Ria


Le sentier passe aussi en forêt

Il sait y faire froid !!

Le gel, dans certains passages, étoile de ses blanches dentelles et aiguilles le sol qui craque sous mes pas dans ce silence glacé des sous bois où je suis absolument seule. Les animaux sont absents sauf ceux nés de mon imaginaire, un arbre mort, un tronc tourmenté.


Rencontre sur le sentier : animal de bois



Bell Lloc : le cimetière était devant l'église, le village à gauche et en contrebas,
les terres cultivées aussi, les pâtures vers la droite


Sentier sur les crêtes au dessus de Bell Lloc

Un magnifique sentier presque abandonné conduit à St Etienne en suivant la crête : pourquoi le vrai sentier passe t'il dans un site sans point de vue ? Car le point de vue, de la mer au Canigou est superbe. Et le sentier vraiment plaisant.

La vue depuis les crêtes

Zoom sur Força Real et la mer

De la mer à la montagne



Saint Etienne de Campilles. 1050 m


Celui que j'espère retrouver un jour m'a offert quelques indices : je l'ai localisé avec les vieilles cartes et, effectivement, sur le terrain, je retrouve une source captée désaffectée (qui alimentait sans doute St Etienne de Campilles tout proche) et les hommes et bêtes qui marchaient sur ce sentier vraiment escarpé, 150 m de dénivelé, des bornes  dont une flanquée d'une belle flèche, quelques repères de chasseurs, et je commence à descendre sur un invisible sentier que j'imagine, sauf qu'il plonge brutalement dans le vide et que je n'ai plus l'énergie nécessaire pour cet aléatoire parcours . Je reviendrai pour lui seul.

Sous terre, la source tarie

C'est par là !




Et là, ce serait droit dans la pente : cap 118°




Carte état major (1821)

Carte IGN, il n'existe pas


Le retour, je vais l'effectuer en repassant par Bell Lloc, pour raccourcir la distance. Joli retour entre ombre et soleil; l'air est vif mais je reste en tee shirt, je n'ai pas froid, je marche bien et je pourrais encore continuer longtemps tant le paysage est beau....


Sur fond de Canigou

Les terrasses

Canigou toujours

Enfin, au final : la grotte !

Je dépose mon sac à ses pieds, dans un froid glacial (0 °) et j'essaie de grimper . On dit souvent qu'il n'y a que le premier pas qui coûte, c'est vrai. Haut d'environ 4 m, le mur semble très facile mais le départ est tellement "verni", marbre rouge poli par l'eau comme un autel que je ne peux franchir ce pas. Je plante le burin dans une faille, je m'y suspends, ma "vieille" carcasse refuse de suivre et la grotte me nargue en tirant sa langue blanche revêtue de milliers de cristaux prêts à mordre comme autant de dents. Extraordinaire bouche que cette grotte, mais je n'ai pas dit mon dernier mot...une arme supplémentaire m'accompagnera et pas dans le sac, celle là.


faite de cristaux calcaires

La grotte et son étrange langue

Une belle journée où j'ai entendu battre le coeur de la montagne 
et où celui du ciel a accompagné ma route








Le trajet

En rouge, les sentiers
En jaune, le site des terrasses explorées

En chiffres:

Dénivelé : 650 m environ

Distance : 15.3 km dont 3 difficiles

Temps total de marche : 5 h 37

La route : 104 km AR




4 commentaires:

  1. Je suis tout à fait d'accord lorsque nous sommes en osmose avec la nature, nos souffrances se font oublier.
    Mais, quel circuit encore, bravo je t'admire, je ne pense pas avoir les armes pour te suivre. Mais je me régalée de te lire et de voir tes photos. J'irais bientôt dans ce secteur mais par les chemins "aseptisés" comme tu les appelles Bises

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  2. Non tu viendras avec moi, sans discuter je te le promets. C'est dans tes cordes ne te sous estime pas. On fera ça tous les 3 avec Alain. Après cette sortie si tu veux les sentiers aseptisés ru te les offres

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  3. Retrouver des sentiers figurant sur une carte vieille de 201 ans, beau challenge.

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    1. J'en ai retrouvé un à Thuès mais il était plus récent que la carte de 1821. Il m'a donné un peu de mal mais j'y suis arrivée. J'adore cette "chasse au trésor". Ici je crois que je devrai user de la boussole !!

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