jeudi 13 octobre 2022

Conflent, Py (66) : d'eau, de rocs et de rouille


 2 eme partie : 

J'ai passé le petit pont de pierre, pataugé dans la boue et la bouse, et j'entre dans la belle hêtraie où sommeillent deux cortals et une cabane bancale : la cabane du Pati de Bruzy. Là commence la zone inconnue du parcours, avec volupté car c'est nouveau et que je vais voir du paysage . 



Une grande pierre sculptée évoque celle de la Carança,  la gravure est 30 ans plus âgée. 1856

1856 à 1550 m


Carança : 1898


Hêtraie

Des chevaux pâturent sous les arbres, les pentes sont féroces et les vaches répondent de leurs sonnailles, plus haut, donc je vais les rencontrer, je n'aime pas cette idée. 

Mais je monte, le sentier serpente, bouseux à souhait et enfin je débouche à l'air libre accueillie comme il se doit. Par les vaches. Je suis au lieu dit Tavernalles, et si en 1824 n'existait qu'un cortal, et une "barraque", le chemin n'allait pas plus loin.

1824


Le site de Tavernalles : 1598 m

Faut dire que ce que je vois d'abord m'émerveille; ce que je vois ensuite me navre! Les vaches en nombre important sont allongées en plein site et m'interdisent tout accès à une jolie construction ronde adossée à la muraille. Je ne renonce pas et préfère escalader les orties . Voyant cela les vaches filent et les orties courbées sous mes pieds s'écrasent: heureusement car les orties du secteur sont atroces.

La ronde cabane


Alors je visite, tranquillement les belles ruines. Dont la cabane adossée au rocher, nommée Cabane de Tavernalles del Cantonyer. Les toits sont absents et leur emplacement est barré de fils de fer comme serait fait un étendoir. C'est tout simple; à chaque extrémité pend un gros caillou, le but était de protéger les tuiles des vents violents. Mais les tuiles sont quand même parties. Tuiles ou ardoises.





Deux cortals, une cabane



Les cailloux pour maintenir le toit

Intérieur



Extérieur : on voit les fils de fer


Le site vu de la cabane

Le site surplombe un magnifique paysage ouvert, quoique engoncé dans d'étroites vallées où s'agrippent les premières couleurs fauves. la Rotja se glisse comme un serpent tout au fond et d'improbables ravins la rejoignent. Quelque part dans ce relief et sous cette forêt se cachent encore des cortals ! il y a de petits espaces encore "libres" qui les laissent pressentir...



Le site  du Clot d'en Vila : 1720 m




1824

Le point de vue : en face court le sentier du Pas de la Rotja ; lieux dits "Palfic" , "Cortal Mitxeu", 
ou encore "Cortal Pidell" (une prochaine rando)


Dans ces bouquets flamboyants doit se loger une pâture et son cortal


La plus ancienne construction est petite et effondrée proche d'une cabane nantie d'une niche avec étagère et d'une cheminée: je suppose que ce sont les plus anciennes, les seules figurant sur le cadastre 1824. Aujourd'hui elle est réduite à son mur du fond flanqué d'une belle niche et d'une cheminée. Les vaches me rejoignent, curieuses. C'est moi qui file, alors.

La très ancienne cabane avec sa niche et sa cheminée

La même et le cortal au temps de leur vie ; image Claude Pideil

Le chemin est balisé, de cairns et points rouges, il va me conduire en un très joli parcours d'un kilomètre au site suivant, Le Clot d'en Vila (ou d'en Bile)

Les chevaux me regardent passer et les vaches sonnent au loin, je serai tranquille. Car il y a à voir et c'est beau. En 1824, il existait 3 cortals et tous au nom de Respaut. Il y en a toujours 3 et s'ils n'ont pas en apparence le même emplacement c'est que la vue aérienne est plus efficace que le repérage des géomètres d'alors. Le site est grandiose, les couleurs à cette altitude commencent à flamboyer, les érables et  merisiers rouges sont magnifiques. 



Et le point de vue comme partout dans ces sites est remarquable : des pentes, des plissés, des saignées, des vallées, revêtus d'une souple chevelure verte avec déjà des fils rouge ou or. Le Pla Ségala, tout en haut est dénudé, son altitude dépasse les 2000 m. Je suis sur une sorte d'étroit plateau qui plonge sur la sinueuse et silencieuse Rotja, 400 m en contrebas. Aucune vie humaine ici, seules les vaches et moi. 

La vallée juste en dessous se nomme "Correc del Clot d' en Vila"


"C'est une maison grise adossée à la colline, ceux qui vivent là ont jeté la clef"
et même la serrure !


Ils ont aussi suspendu des pierres

L'intérieur semble encore en usage; un toit de tôles protège un grenier fermé hermétiquement et le bas, par contre permet la visite.

Le ratelier

De pierre et de bois

Juste en dessous, se trouve une ruine qui contraste vraiment. Tous ces sites déserts où l'on peut errer sous le regard des vaches (ou pas) laissent une impression bizarre, de violer l'intimité de générations passées, de voyeurisme presque, mais j'entre avec délicatesse, impressionnée et émerveillée à la fois, devant ce qu'ils sont, devant ce qu'ils furent et que seuls l'imaginaire et un profond respect peuvent recréer.


Un gros rocher abrite le 3 eme cortal un peu éloigné, tous sont de préférence adossés aux rochers et plein sud. Alors que je m'en approche en me disant "mais où prenaient ils l'eau?", je m'enfonce profondément dans un marécage et, en le traversant, je parviens à la source. L'abreuvoir est creusé dans un tronc encore vaillant, que je nettoie, les vaches l'utilisent.

Site merveilleux : le coup de coeur du jour !



La petite cour intérieure: on s'y poserait
avec un livre, ou un cahier et un crayon

L'art des angles



L'art des arrondis


L'art...tout simplement..de la cabane

L'art des arches





Source et abreuvoir

 A ce moment là, je m'aperçois que je suis fatiguée et que mes jambes sont trop lourdes pour continuer. Pourtant des prairies emplies de vaches m'appellent, j'y devine des bâtiments, je les sais sur les documents mais je ne peux plus ! C'est le site du Solà de les  Descàrregues.



Alors ce sera demi tour, j'irai à leur rencontre un autre jour, par la piste proche. 

Je rends pourtant visite  à un proche corral, tous sont de forme identique,                                                                rectangulaire, c'était un parc à bétail. Un âne m'attend sagement allongé sur la pelouse, mais je me tiens à distance, je garde encore le cuisant souvenir d'une rencontre en 1995. 



Un corral : 1730 m

L'étagement des terrasses, au milieu d'énormes blocs granitiques

Style "inca"

Je redescends vivement tout le chemin, ramassant un cèpe au passage. Il accompagnera heureusement mon steak.


1720 m ciel menaçant, partout !

Parvenue aux cortals Balaguer, j'opte pour le sentier marqué par la flèche jaune : celui que je voulais prendre le matin. De toute façon si je ne trouve pas de sortie, je referai mon retour par l'accès hors sentier du matin, en descente . 




Ce serait ainsi.

C'est ainsi 









C'est un sentier magnifique, en forêt mais je me suis prise à les aimer ces forêts, leur lumière tamisée, ces couleurs d'automne, ces sous bois emplis d'humus et de terre douce. 

Sentier et ses habitants

Je passe au pied du vertigineux Roc de Balaguer, 1524 m, qui protège lui aussi un cortal, un enclos et une cabane agrippée au rocher dans une pelouse de blondes fougères. Ce magnifique sentier que je croyais avoir été créé par les chasseurs est en fait l'unique chemin d'accès porté sur le cadastre de 1824 : tous les autres lui sont postérieurs, au fur et à mesure que la montagne s'est peuplée ou alors étaient ils de simples sentiers n'ayant pas d'emprise cadastrale? La montagne, surtout de moyenne altitude ne parle pas toujours mais fait poser bien des questions!


Roc Balaguer, 1524 m
Au pied du mur : 1501 m



La jolie cabane dans les fougères dite
"du Roc de Balaguer"


Cortal du roc de Balaguer


Derrière le roc, se trouve  une autre ruine,  très ruinée. Quant à l'autre face du Roc, elle est toujours habitée par l'arbre rouge (reportage précédent), je ne m'y aventure pas. Je passe mon chemin toujours en descente douce dans la forêt. 
Me voici arrivée au fil d'Ariane, le tuyau : là c'est soit je trouve le sentier à gauche, soit je bascule en tout droit dans la pente sur ma droite. Un cairn bien intentionné me guide et me voilà sur ce que l'on nomme sur le cadastre "Chemin de la Tire" (débardage). Facile à suivre, cairné, il plonge en forêt, face ouest et enfin s'évase en un plan incliné qui va mourir sur une prairie. 
 Paresseuse et lasse, je néglige d'aller voir si un treuil...un câble....car je sais le sentier dès maintenant très tortueux et tourmenté. Je le sais sur la carte. 

Un cairn sur le terrain

En forêt


Vers l'amont

Vers l'aval : chemin de la Tire


Ce sentier, sur le terrain, je vais le trouver sublime. Mais...à ne pas faire en montant...en Ariège il porterait le nom d'échelle! Ce seront 400 m de dénivelé en pente sèche, en sous bois humides, en lacets étroits et serrés, 50, 60 ou plus. Et sur ce parcours de 1.8 km, je vais savourer les quadriceps qui se plaignent, les genoux qui les plaignent, mes bras pesant sur les bâtons, mais mieux que ces grincements, les yeux qui s'extasient sans cesse, eux sont heureux : des sous bois escarpés, des parfums d'humus, un grand roc surmonté d'une croix désuète qui offre un panorama sur toute la vallée, quelques fleurs effarouchées, et puis des murs, longs, larges, hauts, arrondis, en angles, moussus, gris, verts, l'un d'entre eux paré d'une niche plus jolie qu'efficace. 

Un des lacets
Morphologie du sentier


Mes oreilles retrouvent le "en bas" (1000 m quand même), un chien qui hurle, une scie qui vrille l'air, une ou autre voiture, la vie dont je m'étais extraite pendant des heures.


Croix désuète en bois


Point de vue depuis le rocher

Gros plan : je vois même mon camion


Une niche
Bien logée dans les murs


Terrasses et murs










Murs et terrasses

Au village, une dame de 90 ans me confiera qu'autrefois c'était beau, sans arbres avec toutes ces Terrasses de blé, de pommes de terre, et puis les bêtes : vaches, porcs. La nostalgie se lit dans son regard, "le paysage semblait plus grand " me dit elle. Et si sa fille lui parle de l'évolution, du confort, elle garde discrètement ce regret du passé qu'elle me confie avec un brin d'émotion.
Oui maintenant un rideau d'arbres enveloppe Py et lui donne un air de tableau coloré, pourtant.



Le retour au village sera cette fois vivant, il fait beau, les gens sont dehors et seront curieux de cette "aventurière" qui leur contera ...qui les interrogera...et qui rira de savoir que ce camion, étranger et éclairé dans la noire nuit, hébergeant un individu suspect, a inquiété une habitante qui n'a pas osé sortir son chien : pauvre chien !



En chiffres  sur les 2 récits de la journée : 

Distance :  14 km.
Dénivelé positif cumulé : 770 m environ

Trajet aller retour : matin et après midi, en 3 volets



Aller; en blanc hors sentier





Retour








Sur les hauteurs, les cortals









5 commentaires:

  1. Décidément, tu maitrises l'art du destrictif ! On te suis pas à pas et avec gourmandise dans ton sympathique mais "sportif" périple sur des chemins d'antan ! Et ces clichés subliment ton récit ! Je suis toujours et de plus en plus fan ! Merci "Lison" ! 😉

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    1. Merci pour l'adhésion au fan club ...il faudra un jour que je le réunisse autour d'un verre ou...sur un sentier, ce fan club ! Il sera peut être plus facile de me lire que de me suivre; je ne suis pas rapide mais je vous emmènerais tous en galère ! Sur terre. Alors au suivant ! Pas adhérent mais au prochain parcours, alors.

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  2. superbe aventure dans un magnifique cadre dont quelques sites réveillent des souvenirs racontés par ma famille. C'est beau de retrouver le passé. Hier j'étais à Formentera, station minière plus récent , moins sauvage mais également émouvant. Py la semaine prochaine ou l'autre. Quand le peintre de la nature aura achevé son oeuvre...Merci Amedine pour ce récit et les photos. Si tu réunis le fan club, pourquoi pas sur un sentier autour d'un verre ...

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    1. Oui je savais que c'était toi ! J'ai lu ça en rando dans ton pays encore une fois. Le peintre de la nature y est en plein, c'est merveilleux. Tu sais le fan club ne pourra se propulser en sentiers pour certains...un verre en terrasse ou ailleurs à 2 pas des voitures sera le meilleur endroit. Bises

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