dimanche 12 février 2023

Albère catalane : au pays des vaches en mode sanglier

 Ce  jour (9 février), je me décide brusquement à repartir tout à l'est de la chaîne des Pyrénées, là où elle amorce sa plongée maritime. Direction le col de Banyuls et le Mas Pils, au delà de la frontière. Les rochers n'ont pas bougé donc je me faufile encore une fois. J'ai un but bien précis, mon lieu de départ. Le reste n'est que du flou, cela peut se muer en fou, vu le secteur. Mais soyons fou !

Mas Pils : une magnifique bâtisse en ruines que j'ai visitée, une ferme immense avec des étables, des écuries, une habitation à l'étage, un four à pain et des voûtes, des piliers de schiste remarquables. Ce mas appartenait jadis à l'abbaye de San Quirze de Colera, toute proche, ainsi que d'autres églises disséminées dans cette austère montagne, enfouies dans la végétation. Ce qui risque d'avoir une importance dans ma recherche. Un patrimoine enrichi de mas, de menhirs et dolmens, de pierres écrites. Il n'en fallait pas davantage, pour que ma curiosité impulsée par un ami, Michel, me catapulte sur ces terres transfrontalières. 


Mas Pils : alt 230 m


Mas Pils : voûtes de schiste


Piliers de schistes


La cuisine : évier à droite
four à pain à gauche, surmonté de la cheminée


San Quirze de Colera (8 octobre 2017)

J'ai de l'avenir en matière de découvertes; pourtant, cet après midi, je pars pour nulle part. J'ai bien un projet en tête bien sûr ! Mais vaste et vague. Donc je marche et j'observe.

Oh c'est une simple piste qui part du mas et s'enfonce dans un creux de vallée dominé par les cimes enneigées; une piste qui continue par une autre plus sauvage, escarpée, ravinée dont je ne sais si elle est contre les incendies ou pour les éleveurs. Pas touristique à coup sûr. Elle traverse une lande épaisse et pas très haute, résultat d'incendies plus ou moins lointains dont les vestiges sont évidents. Puis les chênes liège prennent le relais, une haute suberaie non brûlée. tapissée de hautes bruyères arborescentes. Je n'ai aucune carte, j'espère juste que le cul de sac supposé soit loin.


J'y vais mais je ne sais pas encore où

Une très ancienne piste portée déjà sur les
cartes 1915 / 1960



La suberaie (nommée sur les vieilles cartes "alcornocal")

L'alcornocal (suberaie) vu d'en bas


Me voici en haut d'une crête, 375 m, 2 km au compteur et une clôture barrée d'un portail


Je me faufile, un couloir de descente empierré et sale m'attend, orné de quelques vaches...bof...je recule et je vais suivre la clôture vers l'amont, d'autant que les chênes liège ont été démasclés, offrant un tronc nu et sanglant sur un sol assez propre. 


Sanglant




Même pas un regard vers l'aval, en route pour un voyage en barbelés...jusqu'où ? Et en ligne de crête. Des piquets de fer plantés dans le sol, 5 rangs de barbelés infranchissables, le décor est posé.

Ce sera mon fil d' Ariane

Pour installer cette clôture, ancienne (2015 disent les photos aériennes), travail titanesque vu le sol, un bulldozzer a tracé le chemin, aplanissant et nettoyant le sol, la repousse est confortable et le cheminement facile; sur ma gauche des chênes et un épais maquis qui tombe en pente rude vers une vallée. Sur ma droite, derrière les barbelés, des chênes liège intacts.


El alcornocal (suberaie)





Un aperçu de la végétation hors clôture

Un petit air de grandes cimes

Puis les chênes sont supplantés par d'autres, chênes verts, chênes kermès, et toute une végétation pas très sympathique aux bras et au corps. Comme il a plu récemment, je suis à la fois trempée, lacérée, mais ce terrain me convient à la perfection.  Cela m'ennuierait de devoir stopper, je me suis prise au jeu. Je n'ai d'autre choix que suivre la clôture, dans un grand silence. En bas, j'entends un tracteur sur la piste du Mas de la Llosa que je devine bien perché quand même, bien isolé surtout.



Le Mas de la Llosa dans son décor

Au zoom

 












Le paysage, dans ce maquis est peu ouvert. Quant à moi, si j'avais envie simplement de me balader, j'aurais choisi un chemin bien plus facile, plus ouvert, tel celui de la jolie abbaye de San Quirze, par exemple. Ce n'est pas par hasard que je suis là : je ne cherche rien de précis, j'observe, je mûris mon désir de découverte. Sur cette crête d'où la vue est large par moments, je fais mon choix, j'étudie, je m'imprègne. Je cherche la trace des hommes de jadis. Et de trace, il n'y en a pas, à part celle de l'éleveur : les clôtures. Aucun chemin ancien, aucun sentier, aucun vieux cabanon, aucune terrasse, la Nature est muette et m'accompagne en silence. Plus tard, j'apprendrai que ce passage du bulldozzer était en réalité tout proche d'un chemin très ancien. 


Mon chemin relativement propre

Parfois un peu plus

Parfois moins : là dedans il y a des vaches mais je ne les verrai pas

A présent, des barres rocheuses se dressent devant mes yeux, le bulldozzer a déclaré forfait, les hommes ont pris le relais : arbres coupés à la tronçonneuse, piquets et barbelés arrimés aux rochers, le tracé est sportif, rectiligne, audacieux, je le suis ! La végétation a bien repoussé, repoussante parfois pour le corps humain; faut dévier, trouver un passage ou bien serrer les dents et fendre le flot en apnée sur quelques mètres. Puis avec les mains grimper, attention, les lichens mouillés sur rochers, c'est du savon. Mais j'y veille. Qui me trouverait ici ? Il y a des vaches, de part et d'autre de la clôture : proches, elle signalent mon passage, enfouies, je n'en verrai pas une. 


Les barres sont là

Vue plongeante vers d'où je viens



Les habitants d'ici, un peu malmenés

Je grimpe

Je rame














Je me couche pour passer sous un barbelé, une flèche m'y invite. Rien de l'autre côté. Alors je retraverse, bien aplatie: une grosse touffe de cheveux noirs est accrochée au barbelé, bizarre, je n'ai rien senti. Et pour cause, c'est une poignée de soies de sanglier. Mais comment a t'il fait pour passer ? 

Et si c'était mieux ailleurs : alt 545. (3 km)


L'ailleurs dévoile ce paysage; en fond le champ d'où je viens


Juchée sur ces dents crénelées je me repais du paysage qui, bien que peu lumineux, est splendide. La neige sur les cimes donne un air de haute montagne à ce décor si proche de la mer. Je suis bien, je me recentre sur mes objectifs futurs, je ramasse des morceaux de moi éparpillés sur les chemins de la vie, dispersés par la Tramontane, je fais le bulldozzer sur mon puzzle personnel, je mets de l'ordre dans mes tiroirs, dans mes projets car je ne sais pas encore que le tout prochain va se dessiner d'ici quelques dizaines de mètres. 

Feuilletage


Cela enjolive le paysage

A présent, je sais...Cette crête rocheuse bien redressée ne peut que me conduire au sentier du Sailfort, au Pla de las Eres, vu l'altitude. La clôture ne lâche rien, moi non plus. Redescendre n'est guère tentant. Un dernier effort, maquis bien épais et rocs bien escarpés, puis la pente s'adoucit comme au final d'un couloir d'alpinisme (parfois) ou d'un mur de neige et je débouche...juste où je l'espérais. Altitude 683 m. Je ne peux m'empêcher de pousser un "hourrah !!" de joie . L'autre jour, ici même, je forçais sur mes bâtons pour rester debout...


Le parcours qui m'attend


A la pinte du piquet, les champs d'où je viens
Mas Pils

Je respire, la végétation se clairsème

Je m'accroche aux fils ou à la roche c'est selon



Me voilà donc au Pla de las Eres, où j'érige un cairn, car du sentier la clôture est invisible. Une bonne boisson chaude, et je repars, cette fois j'ai le temps de visiter, je vais rentrer  par le sentier. Et que vois je  dans ma visite ? D'abord mon parcours qui se dessine en une moelleuse (oh oui, facile vu d'en haut !) ondulation de terrain. Quand on sait ce qu'il y a  a dessous...

La sortie au bout du tunnel

Je la cairne : alt 683 m (3.74 km)
1h31 de temps de marche



Pla de las Eres ; y a d'la joie dans l'air




Une portion de mon trajet : la carena (crête) de Pils


Et puis je reviens à  mes supposés llosers, ces carriers qui extrayaient les dalles de schiste de la montagne . Je retrouve d'autres tas de dalles prêtes au départ, oui, peu de doute, je suis sûre de mon fait; alors ces lloses ? Par quels chemins partaient elles ? Vers la France ? Vers l' Espagne ? Les deux ? 

Prêt au transport



Refuge de "lloser" ? (tailleur de lauzes)


Mais il n'y a pas que ces dalles : il y a aussi ces petites fosses rectangulaires dont je trouve encore deux exemplaires; celles ci m'interrogent car je les supposerais davantage à caractère minier, extraction du fer par exemple...Pourquoi, en effet, creuser des fosses dans le roc alors que des pans entiers de schiste se prêtent au feuilletage ? N'oublions pas que nous sommes dans un immense territoire qui appartenait à une Abbaye, avec ses mas, ses églises, son économie, ses richesses, ses forêts, ses troupeaux, et  j'en passe.

Une des petites fosses


Une autre, à proximité

C'est donc le projet futur qui est en train de naître sous mes yeux; un nouveau paysage se crée, je devine des sentiers descendant à des sites d'extraction, je chercherai le chemin le plus direct, je chercherai sa cohérence et peut être, comme au Boulou, pour les blocs de grès, des lloses chavirées et perdues me diront...

Pour ce faire, une bonne étude des vues aériennes, de la carte, et de mon intuition feront que bientôt je pourrai conter...Car tout en descendant, je l'entends cette voix de la montagne, alors je fouine, je furète, je prépare ma boite à outils, celle là même qui m'a suivie sur les chemins de Conflent.

Merci Michel pour cette impulsion au moment où j'étais un peu restée au port, dans le bassin de radoub.

Du Col de Banyuls, regagner ma voiture est un plaisir car je découvre le fameux Cami Vell, ancien chemin qui était peut être l'antique dérivation romaine de la via Domitia, passant par Elne, Tresmalls, Col de Vallauria, Col de Banyuls...


La route de création récente et le Cami Vell (l'ancien chemin)



Cami Vell

3 en 1 : Cami Vell, St Jacques et ruisseau



Et le plus beau  décor du !monde...


Me revoici au Mas Pills : une vache esseulée m'imite, elle franchit la clôture, sous le fil de fer, comme je franchis la frontière entre deux rochers, en me regardant d'un sale oeil, mais non, elle rejoint ses consoeurs et le troupeau entier, en me regardant, s'enfuit à toutes jambes comme s'ils eussent vu le Diable en personne. En terres d'Abbaye...ça la fout mal !

Race albérienne


En chiffres:
Distance : 7.56 km
Dénivelé positif cumulé : 443 m
Temps de marche : 2 h 50
Et la route : 90 km AR

Le trajet : 
Le trajet aujourd'hui

Le chemin ancien, un peu décalé


7 commentaires:

  1. Une drôle de balade en terrain austère et pistes plus ou moins scabreuses qu'en somme seuls quelques bovins et bêtes noires arpentent ! une clôture de barbelés bien dérisoire et une végétation au demeurant assez pauvre si ce n'est ces chênes liège encore exploités (pour combien de temps encore ?). On ne peut qu'imaginer toute ta détermination pour explorer ces lieux où tu n'as dû guère croiser d'autres..... "bipèdes" :) ! Néanmoins, le seul nom de San Quirze de Colera évoque bien des souvenirs, point d'orgue de randonnées anciennes au col de Banyuls versant espagnol !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le seul bipède que j'aurais pu rencontrer est l'éleveur qui répare sa clôture mais elle est en excellent état, et un certain Michel qui est passé bien avant moi. Comme ce n'est pas un endroit où l'on va 2 fois....

      Supprimer
  2. Bonjour Lison, peut-etre ne connaissez vous pas ce site catalan " ICGC-Vissir3" un peu comme Geoportail avec un plus fort grossissement . Merci de m avoir lu. Alonso Garcia.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Alonso, j'utilise ICGC, Vissir3, Geoportail qui couvre aussi la partie frontalière, et enfin, un excellent site avec cartes anciennes et évolution des photos aériennes, Gea Map.com. Je vous remercie de votre bienveillance. Hasta pronto

      Supprimer
  3. Un merveilleux terrain de jeux que je n'ai pas beaucoup exploré, juste en traversée par les chemins classiques, Michel aurait adoré m' y entrainer ! Merci pour la découverte, tu es une extraordinaire conteuse, on te suit avec beaucoup de bonheur. Le mauvais temps revient en Cerdagne, ton blog va m'apporter de l'évasion.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, de me suivre virtuellement, je crois aussi que toutes les deux on ferait deux bonnes sanglières !! Bises, tu vas pouvoir lire

      Supprimer

Votre commentaire: