En 2018, je suis partie seule au sommet du Besiberri Sud (3024 m), proche voisin du Comaloforno (3029 m ou Coma lo Forno). C'est l'orage menaçant qui m'a empêchée de rallier ce voisin sommet escarpé et rocheux à souhait. Et j'avais eu raison.
Depuis, l'envie de le gravir ne m'a pas quittée. Il y a eu la pandémie, plusieurs covid, et, pire, l'état de ma mère .
Me voici enfin relativement libérée. Cependant 6 ans ont passé. Aucun effet sur le sommet mais pas sur moi.
Mes atouts sont ma bonne forme, le choix que je me donne de ne pas arriver au sommet et la météo.
Mes non atouts sont mon âge (74 ans), le dénivelé le plus ardu de ma vie (1700 m), la grosse chaleur et peut être le fait d'être en solo. Et surtout je ne parviens plus depuis 8 jours à m'alimenter.
Le trajet différent peut être un atout ou son contraire.
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Je pars de Caldes de Boi (1460 m) cette fois, au sud, et non de Conangles (1550 m) , à l'ouest. J'ai dans mon sac une corde au cas où. 6 h de marche m'a dit le garde du parking, je me donne 8 h, donc être à 14 h maxi au sommet.
Je démarre à 6 h à la frontale, il y a une longue montée en forêt, d'entrée c'est ardu, sombre mais plaisant. Je vois le ciel bleuir à travers troncs et feuilles, je monte à l'aplomb du parking, les rares véhicules sur le passage canadien situent mon parcours.
La rivière, Noguera de Tor, descendue de Cavallers accompagne mon trajet, les bois sont sombres, imposants, sapins énormes, hêtres et chênes jusqu'à 1750 m. Parfum âcre des buis. Sols desséchés. Silence et immobilité dans les bois, il fait déjà chaud. Je rencontre le premier humain vers 1800 m, un long basque sympathique, on échange quelques phrases et il file à grandes enjambées, au pas de course quasi.
Cascade de la Sallent (70 m en intégralité) |
La Sallent |
Vers la fin de la forêt je découvre de vieux agencements de troncs d'arbres sur le chemin, je suppose une ancienne exploitation forestière.
Un catalan solitaire va rendre visite à son troupeau de chevaux au cas où l'ours...et me confirme cette exploitation ancienne terminée en 1970 et à laquelle avait travaillé son grand père. Plus tard j'apprendrai que ces bois ont aussi servi à la construction du proche barrage d' Escales . J'arrive ainsi au débouché de la forêt, une grande prairie, le Pla de Sallent, 1985 m (535 m de dénivelé, 2.81 km, 1h 08 de temps de marche) où se trouve le refuge des gardes du Parc Nacional d' Aïgues Tortes, surmonté de deux édifices de pierres dont une vieille cabane pastorale. Il n'y a plus de moutons me confirme le berger et les jeunes vaches du secteur sont séparées des taureaux. Parler la langue est un atout. Ce sera le dernier humain de mon périple, je ne l'imagine même pas.
A présent commence la 2nde partie du trajet qui va me conduire aux étangs de Géména, ma destination à minima, (2200 m à 2275 m). Ce trajet est surprenant car la prairie est dominée par une longue et haute falaise, d'où se jette une immense cascade; le trajet improbable doit s'y insérer mais où ? Dans un couloir ?
La cascade des Etangs Gemena |
Trajet approximatif |
Ce tronçon de 300 m de dénivelé est bien cairné, escarpé et assez rocheux, pas un simple sentier de randonnée mais il reste "humain". A la descente un français me dira l'avoir trouvé difficile et mal balisé. C'est vrai que mes habituels hors sentiers ont modifié ma perception du confort.
Et toujours dans l'ombre |
Les points de vue se dégagent, c'est l'étage des arbres rabougris et épars, des couloirs herbeux et des barres rocheuses monumentales mais on s'y faufile sans difficulté majeure.
Etang Gemena dans son écrin |
2281 m, en haut de la barrière rocheuse, je fais une halte carburant en profitant de la vue sur le bel étang Géména en contrebas. Belle lumière, belles couleurs, pas de vent, pas de bruit, un ciel étincelant et le paysage classiquement minéral du secteur impose sa loi. Je m'impose un instant de repos et de contemplation. Le sentier descend vers l'étang et ondule vers le second tout aussi paisible, j'ai atteint mon objectif premier...et la moitié du dénivelé ! 815 m depuis le parking. C'est peu.
Un coin de ciel bleu comme un coeur à l'envers |
Mes yeux errent vers les cimes et le tapis gris d'énormes éboulis, où sera mon chemin ?
Je scrute à la recherche d'un chemin mais ce n'est pas dans ce secteur qu'il se trouve
C'est là que le GPS va entrer en action car le sentier disparaît dans un épais tapis vert et une muraille se dresse, striée de ravins et d'une longue cascade.
Une petite qui donne de la voix |
et la grande, élégante et fine |
Je cherche, ne trouve pas, sinon des cairns épars et incohérents; le sentier, sur la carte, emprunte un ravin, mais le ravin face à moi est féroce! Toutefois, c'est bien lui, et je franchis d'abord une mer démontée de rocs enchevêtrés, certes c'est ce que j'aime mais premier accroc, je peine un peu.
C'est sportif |
J'arrive au pied du ravin (2250 m) qui file vers le ciel, "et bien me dis-je vais en baver" ! Et j'en baverai tant que j'en sortirai épuisée. L'incertitude de ce trajet est une obsession tant il paraît impensable. Pourtant j'en ai grimpés, des couloirs! Avantage énorme, je peux boire à chaque pas ! Si je suis les pentes herbeuses, ça glisse, j'emprunte donc les rocs. L'eau contient une sorte d'élément qui rend tout ce qu'elle touche très glissant. Mais pas toxique puisque cet abreuvoir ne perturbera pas mes entrailles. En guise d'entrailles je me loge dans celles de la falaise et dans mon dos, le paysage est sublime. Devant moi, il est hargneux ! Parvenue presque au sommet des 230 m de D+, il y a un pas d'escalade bien soigné, glissant et obligatoire. Je stresse déjà pour la descente avant de l'avoir franchi. Sans trop de mal.
La longue montée La photo écrase la pente |
Le pas difficile |
En haut |
Le couloir commence en bas aux éboulis |
Arrivée en haut, 2478 m, je me trouve devant une longue cuvette tapissée de rocs où par miracle les cairns ont resurgi. Oh! des rocs d'ici, de belle taille, qui demandent de poser les mains. Tandis que dans mon dos s'étalent les jolis étangs de Géména.
Mon regard se perd vers le cirque rocheux environnant, on dirait les sommets proches mais ne nous leurrons pas, les "miens" sont en 2nde ligne, invisibles, noirs et crénelés.
Quelques presque 3000 |
Rien de ressemblant avec mes Pyrénées Orientales molles et douces malgré les 2921 m du Carlit. Dépaysement garanti et bonheur de retrouver ces reliefs. Le couloir m'a "séchée" malgré son ruisseau, mes jambes commencent à renâcler mais ma motivation intacte les encourage. Les Estanys Gelats en contrebas, bien enneigés en 2018 sont limpides et sombres, étagés sur 3 niveaux. Je ne réalise encore pas que je ne m'alimente presque pas.
C'est du solide |
Le liquide d'un des étangs Gelats (ils sont trois) |
Et je monte : dans cette cuvette cernée de murs gris ou noirs, dentelés, crénelés, le sol n'est qu'un tapis de blocs ou de terre croulante où est censé se loger le sentier.
Avec des cairns un peu épars, il y a un choix de directions, j'opte pour la cohérence, j'évite la direction de gauche, plus tard des jeunes l'auront empruntée et pataugeront avec difficulté dans les barres rocheuses. C'était la direction du lac sans doute.
Ils en bavent dans les barres |
Mon GPS me confirme que je suis sur le bon chemin. Voilà que mes jambes se font très lourdes et ne veulent pas écouter mes encouragements. Je suis seule, ce n'est pas un scoop, mais personne pour m'encourager, la chaleur est écrasante, le terrain n'est pas épuisant, même si c'est très raide, deux névés moribonds colorés en rouge me regardent peiner et enfin je suis à l'altitude symbolique du Canigou. Je me souviens de ma montée au Besiberri, de l'altitude symbolique du Canigou, puis de celle du Carlit, avant de fouler les 3000. Aujourd'hui, passée la côte 2784, je sais que je n'atteindrai pas celle de 2921 m, ni les 3000 et donc pas le sommet. J'ai pourtant "seulement" 200 m de dénivelé manquants, lorsque je cale, panne sèche à 2825 m.
Altitude Canigó 2784 m |
A l'entrée du dernier couloir.
Je me demande si c'est ce couloir |
Mais ce sera le suivant |
Le sol qui le tapisse, sa longueur et sa déclivité sont décourageants. Quelques bouquets jaune vif égayent ce paysage austère. Je ne vois pas le final, dans tous ces rocs qui me surplombent. Je sais ma fatigue, pourtant je pourrais, j'ai encore 2 h de temps devant moi, pour respecter le temps que je me suis imparti. La solitude ne me dérange pas, bien au contraire, tout cet immense paysage hostile autour de moi me charme, je me sens super bien. Dans mon élément.
Jardins à 2800 m |
Vers l'ouest, dégradés de crêtes et sommets : El turbón, 2492 m (j'irai) |
J'ai gravi plus de 1400 m de dénivelé positif et je devrai encore en ajouter au retour pour le trajet en dent de scie près des lacs. La raison l'emporte, il faut savoir respecter la machine si on ne veut pas l'épuiser. J'ai largement le temps pourtant, il n'est que midi 20. J'ai parcouru 7.9 km pour en arriver là. Sans regret aucun je tourne le dos au bouquet final, et j'entreprends la descente, très glissante. Je décide de descendre saluer un des Estanys Gelats, je me baignerais bien mais un visiteur, collé à son portable, m'en dissuade. Je m'offre donc encore du pierrier gigantesque et je m'éloigne après un bain de pieds dans une eau superbe, style lagon. Je dois récupérer le dénivelé dans un amas de rocs, c'est usant.
Estanys gelats |
Estany Gelat du haut |
Enfin je vais aborder la descente du couloir et ce pas de désescalade qui m'obsède un peu, finalement il sera plus aisé en descente qu'en montée et la corde ne sera pas de sortie. Je vais descendre tranquillement, profitant du paysage, c'est le coin le plus beau du parcours.
Départ du couloir |
Désescalade du mur mouillé (droite) |
L'approche par Conangles me paraît plus brève, moins éreintante, mais en 2018, un immense névé avait fait du pierrier un long tapis de laine. Le paysage était plus beau me semble t'il, quoique très rocheux, les lointains plus ouverts et somptueux, mais cette montée par Caldes me tentait fort, pour diversifier. Le couloir est long, l'eau chante, souvent cachée sous les rocs et des fleurs en font un joli jardin suspendu. L'immense pierrier me tend ses rocs, prudence oblige, je vais lentement. Enfin je foule l'herbe épaisse et moelleuse, je serpente entre les lacs, mon estomac trop vide (je n'ai jamais faim) me force à un arrêt carburant car le chemin est encore long et très pentu. 800 m de descente corsée. Tout en ayant la sensation de gérer mon alimentation, je réalise que j'ai fait tout cela l'estomac quasi vide, comme toujours et je crois que je gère ma nutrition en mangeant une datte de ci delà. C'est peut être un des facteurs de mes jambes sans énergie ?
Du caillou ? |
Mon parcours de descente sera régulier, prudent et intéressant. La lumière est belle, les parfums sont ceux de l'été, que mon odorat enfin en phase de récupération inhale avec gourmandise, les pins, les buis, l'herbe, même l'eau je crois qui a un parfum.
Je descends tout en bas dans la vallée, la prairie n'est qu'une étape |
Je laisse vagabonder ma joie, teintée d'un peu de regrets et je réfléchis avec un brin de nostalgie à la vieillesse qui me gagne, me restreint, me prive en une série illimitée de deuils qui se préparent. A ce moment là je signe mes adieux aux 3000, tout en me disant que les lacs sont beaux, qu'ils sont à eux seuls un vrai voyage, et puis certains sommets aussi, il y en a tant, et je me reprends à rêver, à partir déjà vers d'autres sites alors que je dévore ce paysage du retour.
Je me hâte, il fait chaud, Nina est au soleil, je presse le pas dans la forêt, l'eau sourd de partout, la cascade du Sallent plonge de 70 m à grand fracas, alors que la rivière l'attend en bas, les bras ouverts, déjà je foule les pelouses des bains de Caldes, la petite côte terminale me coupe les jambes et...je m'étale en voulant rentrer dans mon camion, un pas de trop, un pas trop haut ! Oh la honte...
Arrivée aux Bains de Caldes IL y a une source d'eau très chaude et les autres à températures variées |
Mais j'ai bouclé un solide parcours de 1532 m de dénivelé, dans un paysage très austère, j'ai marché (et grimpé) pendant 7 h 10, j'ai donné beaucoup d'énergie et de joie pour saluer ces belles montagnes qui le valaient bien et je n'ai pas l'ombre d'un regret. Et encore une fois, je ramène quasi tout mon tout petit sachet repas. Un grand facteur de mon petit échec.
C'est Comaloforno, no! mais....il y a encore un troisième parcours d'approche pour ce sommet...sait on jamais quelle folie pourrais-je offrir à mes 75 ans en 2025 ?
Bravo pour le dénivelé lors de la première heure de marche.
RépondreSupprimerLa première photo de l’étang de Gemena dans son écrin est superbe, un très bel endroits.
Tout est rude dans ce secteur, aucun sommet n’est facile, ce n’est pas la douceur des pentes des Bouillouses.
Il va falloir renommer les étangs Gelats qui n’ont que le nom à présent.
Tu pourras dire que tu as calé au Pic Nègre d’Envalira (2825m).
Le sommet plat à l’ouest se nomme El Turbón.
Un grand bravo pour ta volonté à te frotter à un environnement hostile et rugueux.
C’est parfaitement bien raconté mais qui aura envie de suivre tes pas dans un tel environnement ?
Il y a d’autres cimes qui t’attendent, et moins rugueuses.
Ludo
Oui mais voilà c'est cet univers qui me fascine, même si je ne monte plus aussi haut là bas, je continuerai à fréquenter ces terrains; déjà j'ai analysé mon échec car je me sentais capable de réussir. Dommage que ce soit si loin car ce w end je m'y re collerais. Suivre mes pas ? Mais des gens de pas de mon âge, seulement ils sont rapides. Je ne leur imposerai jamais même si on me le proposait. Les 500 D+ ben...c'est facile ! c'est l' Ariège espagnole !! J'ai adoré me colleter à ça, je t'assure, me trouver seule là dedans, j'ai exprimé à haute voix mon ressenti / bonheur...et s'il y avait eu des témoins on aurait pu dire "la diagonale de la Folle"...hihi
SupprimerJ'espère que tu trouveras l'énergie pour te porter encore dans ces paysages que tu affectionnes tant.
SupprimerJe l'espère aussi, tant qu'il y a du rêve, il y a de la vie et de l'avenir. Et puis tu sais là bas, on est vite au caillou , on y est déjà avant de quitter le parking !
SupprimerMagnifique tout ça je comprends bien mieux ta passion 😊et bien sûr que tu vas pouvoir le faire encore et encore je te le souhaite vraiment 75 encore jeune.☺bises 😘😘Aline
RépondreSupprimerMerci Aline pour ce gentil encouragement. Si ce n'était pas si loin j'y serais déjà retournée !! Bises
SupprimerJe suis admiratif de votre persévérance Albert
RépondreSupprimerMerci Albert, en bonne catalane, je suis têtue ! Non en fait j'aime bien mener à bout mes projets
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