samedi 8 février 2025

Fontpédrouse : chemins roses, blancs, noirs et ...autres

 Me voici de retour à Fontpédrouse (66),  en Conflent, un village que j'aime particulièrement. Je reviens pour une randonnée déjà faite en mai 2016; que je n'imaginais pas si loin dans le temps...

C'est l'hiver, il fait moins 1° à cette altitude de 1033 m, un hiver très modeste. Je connais le chemin et je vais le redécouvrir avec un regard neuf car les arbres ont perdu leurs feuilles, l'eau ne coule plus dans les canaux, j'ignore même que celui de la Soulane est désaffecté et ruiné. 


La "soulana" en altitude, ou versant au soleil

Je pars dans le froid matin gris bleu, un ensoleillement modeste, il est 9 h au clocher de l'église, qui sonne toute la nuit, ce que j'aime. J'ai retrouvé mon logement sur la place du village avec Max le camping car, un peu plus encombrant mais pas gênant.

Et, comme à mon habitude, je compte les lacets du chemin! Les premiers traversent le fleuve d'éboulis qui fut fleuve d'avalanche aux 18 eme et 19 eme S, tuant 36 personnes et amputant le village. Prudents, les anciens créèrent, en pierre, de superbes pare éboulis, la montagne au-dessus de Fontpédrouse est devenue un musée, ma rando va me l'apprendre.

Ici en image et en chiffres...départ 1033 m; 14 murs comme celui-ci dans le grand éboulis, 16 épingles du sentier, le canal de la Soulane au 5 ième muret, et enfin, à 1174 m, la fin de l'éboulis, celui qui fut meurtrier dans les siècles passés, doublé sans doute par son voisin. Toute une Histoire !


Un jour je recenserai tous ces murs, ils me fascinent...2 siècles de vie

Et je monte; je compte et je regarde. J'écoute...le train jaune pleure avant d'entrer dans le tunnel sous les éboulis et chante en sortant, du même cri lancinant.

Fontpédrouse et la route

Je vais observer d'en haut les rames qui se croisent, tiens voilà déjà une des deux sur le pont Séjourné (1906-1908)!


Le croisement dure longtemps, je pense qu'un bon café
est servi à la gare : presque j'y courrais !!

Je grimpe. Les montagnes bleues et peu enneigées se dévoilent, les lacets s'enchaînent, je me délecte de ce sentier rose sur la carte qui me place en mode vrai randonneur et non faux sanglier, ce que j'étais encore hier. 

Les lacets du sentier, patience il y en a près de 60, j'ai mon "truc" pour les compter.

Je déguste ce confort. 42 eme lacet, un chemin s'étire sur la droite, je l'avais emprunté en 2016, je comprends mieux sa fonction ce jour, c'est juste sur le ravin de l'Oratoire un supplémentaire mur protecteur.

Un des pare éboulis du Correc de l'Oratori

Me voilà au canal de Llar, (1462 m, 4.2 km), vide en cette saison, mais prêt pour consolidation, car celui-ci n'est pas ruiné. C'est la saison où ils sont vidés, l'eau reviendra au printemps.

Même lieu chantier prévu
Vers l'aval


Il fut édifié dans les années 1869. Un travail colossal !


Prats Balaguer et les lointains

Mes copains les pics et arêtes

Le sentier rose suit longuement le canal, de part et d'autre mais....l'envie de tâter du "chemin noir" cher à Sylvain Tesson me taraude. Car ce chemin en lacets date d'avant le canal et se poursuivait sur la pente.


En rose, d'où je viens, en bleu le canal
En noir, où je veux aller prospecter

 Facile à trouver dans cette continuité mais sur le terrain déboisé, il est quasi impraticable : sa facture est identique, même angles de lacets, même murs, même déclivité mais...c'est un fouillis végétal, genêts purgatifs et ronces d'altitude, éboulements constants, je marche vraiment mal à mon grand regret. 


Le décor où gît le sentier

Murs du sentier dans une végétation affreuse

Les chasseurs semblent l'avoir désaffecté aussi. J'ai la patience d'atteindre le 6 eme lacet car je sais qu'un autre "chemin noir" s'en échappe et file sur la droite pour se terminer nulle part. 


Le décor, superbe

Morphologie de ce chemin abandonné





Au 6 ième lacet, je file à droite.1551 m

Je verrai bien et je vois ! je vois un chemin enchanteur parce que sauvage, farouche et beau, écroulé, mais lisible, avec de beaux murs. J'y rencontre la neige, dans les recoins froids; c'est vide, silencieux, austère, dans une pente effroyable. J'ai l'impression d'être dans le pas très lointain (dans le temps), chemin de Barbailleixa, à Py. Des bruits, des souffles bruyants, cinq isards me contemplent, curieux mais pas téméraires.

Oh ces murs !
Oh ce blanc !



Et cette pente...



Et ce passage taillé dans le roc...
Ou ces murs de rocs taillés

Téméraire je vais l'être...peut être. Car il se termine ce sentier noir, brutalement dans un éboulis énorme jailli des falaises au-dessus. Il bute sur une falaise et oui, c'est fini. Il finit dans deux superbes murs protecteurs. Protecteurs de qui ? du canal bien sûr. Et j'ai donc une datation...années 60, oui mais 1860.

Terminus, il faut descendre

Le canal est là tout en bas, proche et lointain à la fois car ce pierrier me fait peur. Une véritable peur ! Toutefois revenir sur mes pas ne m'agrée pas. Dilemme...c'est décidé je descends. Un petit saut de 50 m.


Je descends, mais sur la droite, dans les buissons

Il y a la rivière de rochers et il y a une descente plus suave dans les arbres avec un sol un peu plus terreux. Chemin des animaux assoiffés, ce sera le mien. Je me retrouve encore comme à Barbailleixa, ce fut donc mon entraînement ce jour là ? Un canal aussi m'attendait. Surimpression d'images...de souvenirs

Et je pose sans encombre les pieds sur le canal de Llar, sentier "rose" où on oublie le vide, fasciné par la construction en elle même et les paysages somptueux qui se dévoilent. Un canal suspendu, taillé dans le roc, ou protégé des éboulis, busé parfois, un parcours de plus de 13 km pour qui veut l'entreprendre dans sa totalité (Mont Louis / Canaveilles). Une prouesse technique pour ce 19 eme siècle née de l'obstination d'un curé qui voulait de l'eau pour ses paroissiens.


Situation GPS

Même lieu que la situation GPS


Et le canal perdure, l'eau aussi.





"El rec cobert", le canal couvert pour protection 




Se protéger des éboulis
Fontpédrouse en bas




Cabane du gardien de l'eau ? 

Et son panorama













Le sentier "rose" que j'avais tant aimé devient "blanc", la neige recouvre les pentes glacées et peu ensoleillées. Alors le paysage change d'aspect, au-dessus du canal, des murs pare éboulis (ou avalanches ? car du 19 eme S), strient horizontalement le paysage et c'est un miracle d'architecture ! Une émotion...La trace est vierge dans cette récente poudreuse, le froid glacial, le paysage m'appartient. 


Le plaisir oublié de fouler la poudreuse



Un splendide mur de plus de 40 m de long. Plus en altitude, deux autres murs protègent aussi


Le décor en balcon

Je veux aller inspecter le roc de l' Aliga, ce roc de l'aigle fait de sévères dalles granitiques, site d'escalade. Mais surtout prouesse technique pour, en ces années 1860, tailler un canal dans le roc, le suspendre sur des murs, le loger à l'étroit sur un vide imposant. c'est bizarre, aujourd'hui j'ai un peu le vertige, j'évite de regarder le vide, j'évite de me jouer de ce vide, je suis mal à l'aise !

En quelques images, le site le plus spectaculaire


Sur le vide

Même site, le support du canal














Et vue d'ensemble sur le roc d'Aliga, avec le trait fin du canal


Canal suspendu à flanc de falaise, autre point de vue








Mur de support





Le site très rocheux


Les lointains très bleus : Pics de Gallinas et Redoun

Mon but est de chercher un accès "humain" soit bipède, vers ce sommet. Je crois trouver. Plus tard, j'aurai la joie de rencontrer un humain près du village, et la chance qu'il soit chasseur, il me confirmera cette supposition : oui les chasseurs grimpent par là ! Après7.7 km, je reviens sur mes pas, restaurée par un casse croûte ensoleillé sur ce vide intense. J'ai bien une petite idée de retour, le sel pimenté de la balade.


Le sentier rose descend sur Fontpédrouse par le refuge des Corrals, je connais le parcours, mais je le dédaigne car j'ai vu quelque part un discret chemin emmuré, s'enfonçant dans la pente et marqué d'un discret "Fontpédrouse". Et le voici, après un retour sur mes pas de 1.5 km.


Le départ













Je ne risque rien à oser, même s'il n'est pas sur la carte. Invisible celui-ci. Encore mieux que les chemins noirs de Tesson. Et je pars pour l'aventure : c'est une descente intense, dans une sorte de ravin bien boisé, une descente d'abord peinte en blanc, un peu glissante mais qui va devenir plus sécure, un toboggan de 29 épingles bien emmurées, traversant quelques pierriers avec des vues sur la vallée, le refuge, les falaises, le Pont Séjourné, toute la beauté d'un décor pourtant aride.

Pont Séjourné (train jaune) 1906 / 1908


Je descends, je sais depuis le départ que ce sentier rejoindra le sentier rose, il ne peut en être autrement. Et franchement c'est un merveilleux chemin, qui fut sans doute dévolu à l'exploitation forestière au 19 eme siècle. Toute une architecture qui garde sa cohérence et sa facture, que ce soit chemins, pare éboulis, murs du canal, il semble que tout soit daté en cette parfaite harmonie. De cette exploitation forestière ne restent qu'une intense implantation de chênes à feuilles caduques.



Tracé du chemin en lacets












Gallinas et Redoun en face au loin


L'aiguille du Roc de l' Aliga, dans le cercle le refuge des corrals  desservi par un "sentier rose"



Zoom sur le refuge
 








Passage aérien



Vers la fin de ce chemin

J'adore ces chemins de pierres grises

                                                                                      
A la confluence avec le sentier des corrals
Chêne 















Je rejoins après cette sévère descente de1.1 km ponctuées d'arbres et de rocs, le bucolique sentier des Corrals, qui va, au travers des étonnantes chênaies, où un chêne liège nargue la multitude de chênes verts, rejoindre le canal désaffecté de la Soulane où l'eau ne chante plus, où les éboulis font la loi, où la désolation pour ne pas dire la dévastation règne en maître après une ennième tempête, puis rejoindre Fontpédrouse, bouclant ainsi un superbe parcours de 13.5 km, qui m'en a fait voir de toutes les couleurs...sur la carte uniquement.

                                                                                    

La chênaie

Désolation, un canal "mort"
que j'ai connu si vivant
Dévastation, une jonchée d'arbres























Au bout du fleuve, le village
Le fleuve fut avalancheux il y a si longtemps



Fontpédrouse

Je reviendrai à Fontpédrouse, pour un projet un peu  loufoque : aller visiter les murs sur les éboulis, ceux qu'aucun chemin de couleur ou pas orne la carte, mais qui furent pourtant au bout d'un chemin, un chemin de pierres, un chemin de labeur.

En chiffres
Distance parcourue : 13.5 km
Dénivelé  : 521 m
Temps de marche : 4 h 28

Le trajet