En 1781, l'Abbé Armand avait gagné son pari, la route entre Saint Martin Lys et Belvianes était enfin totalement ouverte (percement du Trou du Curé) et le chemin qui avait permis jusque là, à travers les falaises, de relier les villages, fut désaffecté.
Ce chemin serpentait entre les falaises de la rive gauche du fleuve Aude, au-dessus de la route actuelle, jusqu'à frôler la rivière pour mieux remonter ensuite sur Belvianes, haut perché.
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Le site dans lequel je "randonne", enfin, je cherche plutôt |
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Ce chemin court dans la partie droite de la photo |
A noter que cette route, la D 117 est l'axe Perpignan Quillan.
Il manquait à mes "explorations" un tronçon essentiel, porté sur les anciens plans et cartes, un improbable tronçon, vu le relief et l'érosion, voire les éboulements de ce terrain très vertical. Y loger un chemin fut exploit, le conserver au bout des siècles, une gageure.
Essayer de le retrouver, une folie.
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Oui il est dans mon dos ce chemin et le brin de folie me suit partout ! |
Ce tracé me mobilise par vagues depuis trois ans. Depuis qu'un document extrait du riche site d' Eric Teulière (clic), a attiré mon attention.
Sur cet extrait on voit un chemin descendre en lacets près de Gourg Bouillidou, une ancienne résurgence bien cachée dans le Défilé de Pierrelys . Inutile de dire qu'il ne reste nulle trace sur le terrain, que j'ai essayé de remonter un couloir instable au possible et abandonné. La carte d'Etat Major est très explicite, mais le terrain très hostile. Bref j'avais renoncé à jamais.
Et je reçus un plan, envoyé par Eric, ce qui ranima la machine. L'évidence s'imposa, devant une vue aérienne des années 60 où le chemin était encore visible. J'entamai un travail de recherche sur écran, le plus précis possible et filai sur site, 80 km.
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Photo années 60 |
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Depuis l' Abbé Armand, le départ a bien changé. La ligne de chemin de fer, désaffectée elle aussi, vit le jour en toute fin du 19 eme; pour ce faire, on détourna l' Aude, on changea la route de place et entre elles deux, se logea la voie.
Les cicatrices sont refermées, une végétation impénétrable recouvre le départ du sentier, ce sera donc en mode sanglier débroussailleur que je vais essayer de trouver. Je profite du tracé d'une ligne électrique pour rallier le site, c'est un parcours épuisant. Mon travail de préparation porte ses fruits quant au repérage, le GPS ajoute de la précision mais le chemin n'étant pas sur les cartes, il n'a qu'un petit rôle, ainsi il m'invite juste à perdre de l'altitude.
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J'utilise la ligne électrique |
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Puis de l'herbe jusqu'au ventre, je rame |
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Quelle surprise, une source ! |
Et soudain, dans l'enchevêtrement végétal, je rencontre un ruban lisse bordé d'un mur ! le chemin....je crois rêver...
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Bordé d'un mur pendant un moment, le chemin ! |
Le chemin est relativement propre et a été entretenu voilà quelques années. Immédiatement il évoque le chemin de Barbaillexa, à Py (66). Et c'est parti pour un voyage hors du temps, sous le couvert végétal. En suivant les replis de terrain, traversant des ravins, esquivant des falaises ou traversant des barres rocheuses, ce somptueux chemin, somme colossale de travail en ces siècles anciens, va m'offrir 2.04 km au lieu des 790 m de la route.
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Petit col |
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La falaise à gauche a été tranchée |
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Il devait être assez large autrefois |
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Dans la falaise |
La route, elle est omniprésente en dessous de moi, presque à la verticale. J'entends la circulation qui rivalise avec le cours torrentueux de l' Aude au niveau vacarme. Moi, toute petite dans ce décor figé et rébarbatif, j'écoute les rossignols et je veille avant tout à ce que pas le moindre caillou ne roule sous mes pieds : atterrissage immédiat sur un pare brise ! Ce sera l'unique stress du jour. Certes moi aussi je peux dévaler mais les passages délicats sont rares.
(Deux jours après, avec un ami, Eric P, nous irons parcourir le chemin des bûchreons sur la rive opposée et je pourrai ainsi mieux visualiser le site.)
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Le chemin passe juste au-dessus |
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Il surplombe ces "dents de scie" (vues d'en face) |
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Même chose en plan large (vue de la rive opposée) |
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Et vue prise d'en haut |
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Un petit coup de zoom |
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La route et l' Aude |
Mon sac est équipé de cordes, cisailles et sécateurs, lampe et même un substitut de piolet ! La cisaille sera parfois au travail.
Ce chemin désaffecté depuis 250 ans, de combien est il vieux ? Je ne le saurai jamais. Il doit sa conservation à l'électricité qui a utilisé son assise pour installer une ligne, il y a quelques décennies, (années 60 ?) et pour l'entretien de cette ligne aujourd'hui mise à terre. Donc l'élagage n'est plus assuré. Eric et moi nous allons y remédier.
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Ligne électrique |
Au niveau morphologie, les virages à angle droit sont larges, avec plate forme et il y a seulement trois murs de soutien très hauts, là où il a fallu construire sur le vide. Un ou deux passages taillés dans le roc sont larges et confortables, le chemin devait avoir une bonne assiette.
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Un des virages |
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Un des 3 murs bâtis sur le vide |
Partout, de la roche calcaire : en tas, en éboulis, en barres, en falaises, montant parfois au ciel. Le chemin les franchit ou les contourne en douceur. Les ravins ne sont pas devenus obstacles malgré le côté effarant des deux derniers et finalement le chemin est peu dégradé. Un coup de balai, à condition de fermer la route, et ce serait reparti !
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Des rochers partout |
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Ravin |
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Le même vu depuis la rive opposée |
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Une branche d'un ravin |
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Passage approximatif du chemin |
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Ravin |
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Ravin |
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Je réfléchis sur mon perchoir, dos au vide |
Je me repais du bonheur de ma trouvaille, du calme des lieux et surtout de savoir que tant de gens, voyageurs ou pas, ont marché dans ce décor aujourd'hui englouti dans la végétation. Les points de vue, rares, sont remarquables, les à pic, vertigineux, et les falaises d'en face ne sont plus des inconnues puisque j'y ai laissé mon empreinte.
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Au dessus de moi |
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Rive droite |
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Rive droite, en face |
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Rive gauche |
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Rive droite (Murailles du Diable) |
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Vue sur la vallée direction Quillan |
Quand la ligne électrique disparaît d'un coup (il me faudra savoir où elle est allée; deux jours après je le sais)), le chemin devient plus chaotique et sauvage. Un sérieux nettoyage s'imposera!
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Des allures de jungle |
Si je ne finis pas le parcours, c'est pour raison de sécurité : le chemin bute sur une falaise et descend alors un couloir par de classiques lacets. Sauf qu'au 3 eme, le terrain a glissé et que pour continuer je vais expédier des rocs sur la route; déjà trois me faussent compagnie et je me fige, attendant le choc. Avec une précaution de Sioux, je quitte le lieu et refais le chemin à l'envers, ce qui va avoir un inestimable avantage : je sais maintenant le départ qui n'est autre que celui porté l' ancienne carte postale (voir plus loin). Absolument invisible de nos jours.
Deux jours après, depuis la rive opposée, je pourrai visualiser ce final, très escarpé; il eut effectivement été dangereux de s'y aventurer, la route étant juste au dessous, sans protection aucune.
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En pointillés la partie que j'ai laissée à la postérité |
Le sentiment qui m'habite est celui du travail fini, de l'aboutissement, ce qui peut s'assimiler à de la plénitude.
Je reviendrai avec Eric, l'enfant du coin, devenu grand et passionné. Ensemble nous remonterons une dérivation qui conduit aux rocs de Brouyère que je connais. dans cette grand pente s'étagent d'anciennes parcelles. Seuls quelques murs m'ont fait un clin d'oeil, un sentier semble se faufiler et un abri sous roche m'a montré son antre.
Le chemin que j'ai exploré venait de st Martin Lys, mais une branche adjacente , à retrouver descendait de Quirbajou.
Le chemin que j'ai exploré finissait sa course martinlyssoise sur la route, là où j'ai stoppé, au Gourg Bouillidou, mais continuait en direction de Belvianes . Cette suite du chemin, je l'ai retrouvée aussi, bien moins facilement. Aux confins des deux communes le chemin prenait un envol aérien dans les falaises, avant le trou du Curé (voir carte ci dessous) il est et restera introuvable car la falaise a été détruite pour la construction de la route : bref tronçon à jamais perdu.
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Côté St Martin Lys, le départ du chemin au dessus du tunnel routier (ancien sentier) Plus rien de ces éléments ne subsiste sinon les deux tunnels (à gauche celui que nous empruntons en voiture) |
Je suis émerveillée de voir comment cet obstacle si difficile fut franchi, mais aussi je suis heureuse de lui avoir redonné vie l'espace d'un instant, avant que le linceul de l'oubli ne retombe sur lui, sauf si...un farfelu, un jour...
Le trajet du jour (4.2 km AR)
La totalité du chemin entre St Martin Lys et Belvianes :
En pointillés rouges la partie que j'ai retrouvée et parcourueEn bleu, la partie inaccessible et manquante car les travaux de la route l'ont détruite
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