jeudi 21 août 2025

St Martin / Quirbajou (Aude) : le "chemin des danseurs".

 C'est avec une pointe d'humour que je nomme ainsi ce chemin : dans la mémoire de St Martin Lys, village tout en bas, on se souvient de jeunes gens du temps passé qui, pour aller danser à Quirbajou, village tout en haut, empruntaient un chemin direct dans la pente, rapprochant vite leurs jeunes jambes de la piste de danse. La fête et la liesse aidant, j'imagine la descente très, très rapide. Ce que nous allons éviter, si nous trouvons le chemin. Ainsi Eric marchera sur les traces de ce grand père qui allait danser...

Ce chemin figure sur le cadastre de 1833. Je me fais forte d'espérer le retrouver, car un jour, les chasseurs (et non les danseurs) de Quirbajou m'ont dit : "il existe, mais il passe dans des barres rocheuses dangereuses". 

Le chemin que l'on cherche, surligné de rouge

J'ai cherché sur cartes et photos le départ de ce chemin très hypothétique, j'ai manié le cadastre, les parcelles, les angles et les courbes, la cohérence du terrain et pourtant, c'est les mains vides que je propose cette recherche à Eric : dans l'exaltation j'ai laissé tous mes documents à la maison ! A 80 km de là. Ma mémoire visuelle va devoir se bouger ! 

Nous partons d'en haut, du Col de Gages (d' Agajos), on aura une voiture en haut, une en bas, car pour plus de facilité on va descendre, vue TRES plongeante dans ces pentes à 50 °, et hors de question de remonter !

C'est dans ces pentes hérissées de rocs que va se passer notre Aventure !


L'ancien chemin de Quirbajou nous conduit au point supposé de départ. Ici, à droite du chemin, s'étendent d'anciennes parcelles cultivées.. Les plus anciennes ont disparu sous les taillis.

Image années 60
En jaune l'ancien chemin; en blanc parcelles déjà abandonnées en 1960, en rouge, parcelles cultivées
Actuellement il n'y a plus rien 




Aujourd'hui


IGN actuel


Pour retrouver le départ que j'avais visualisé, j'interroge le cadastre : j'avais pris des repères. La clé est là, à ces parcelles que j'ai surlignées en noir (ci-dessous) : Une brève incursion dans la pente gigantesque nous fait rebrousser chemin, difficile de descendre, terrible pour remonter dans un sol aussi sec et glissant.



Alors j'ai l'idée de partir en visite de ces parcelles abandonnées que je connais pourtant et, avec Eric, nous suivons le bord au dessus du vertige de la déclivité quand soudain...une longue rubalise suivie d'autres plongeant dans la pente sont une invitation au voyage casse cou que nous venons de refuser un peu en amont. Et c'est parti, on s'accroche aux arbres, pas longtemps, le tracé file à droite dans une oblique parfaite : un plan incliné régulier, à l'ampleur d'un ancien chemin. Des points rouges doublent les rubalises et on va descendre en toute sécurité, voyage de rêve au pays du passé. Des arbres, hêtres, houx, rares sapins, jeunes conifères élégants, tapis de feuilles rousses, pas une herbe folle mais deux fous heureux !

Ancien chemin de Quirbajou

Autrefois, cultivé



La bifurcation qui conduit à notre chemin


Une ruine ...et le chemin disparaît

Partie 1 du trajet : 



La pente est très sévère
On l'a trouvé !




Eric fait le ménage du chemin

Et c'est un gros travail : chemin encombré



Le chemin est large et bien lisible

Un peu plus encombré



Je suis au GPS le chemin, observant des parcelles. L'autre jour, en solo je cherchais comment les atteindre : on y est. Ce ne furent ni blés ni pommes de terre mais des parcelles en pente, de la forêt, où subsiste une place charbonnière. Le sylviculteur exploitait son patrimoine. 

et son sol noirci

Une charbonnière



Dans la hêtraie, quelques beaux sapins



Les falaises d'en face se devinent
























Virage sec à gauche et aujourd'hui nous sommes dans une combe au sol jaune, à la roche de tuff, roche à structure alvéolaire, non volcanique ici mais calcaire, sous l'influence de source ou ruisseau  riches en carbonate dissous (cf wikipédia). Justement deux sources étonnantes se trouvent ici; en période de sécheresse intense, elles coulent encore. Des murets fractionnent la pente faible, ils parlent d'évacuation du bois, peut être par câbles.



Rocher de tuff

La source























La carte de cette partie 1

En bleu la source


Partie 2 du trajet : 

 Ici on perd le balisage, pour la première fois. Le retrouver ne sera pas aisé, il est hors de question de s'en éloigner, de redoutables barres rocheuses sont à nos pieds. Quasi invisibles mais la carte est précieuse. La lecture du terrain et les courbes de niveau sont l'art majeur du repérage en milieu hostile.
Par trois fois nous perdrons et retrouverons, au moment d'abandonner, le fil conducteur. On profite de la recherche pour faire du tourisme !

Le couloir de la vache




Rares trouées de paysage, le ciel est brumeux



Ce virage à 90 ° nous ramène vers une autre combe plus sévère, vraiment à donner le frisson, mais le frisson sera de joie : le chemin ! Il est là, sous nos pieds, taillé dans le roc, collé à la falaise, jumeau des précédents rencontrés dans ces reliefs. J'exulte ! ma quête est couronnée de succès. Je n'ai guère le temps de m'esbaudir, le chemin est ravagé par un glissement de terrain et le passage périlleux à souhait : on n'est pas chasseurs. Eric est plus rassuré que moi. Sur le point d'abandonner, et de rebrousser chemin j'extirpe les 40 m de corde, les installe en double, Eric passe, il a pour mission de voir si la suite est carrossable avant que d'ôter les cordes, sinon il nous les faut pour revenir. Cela semble concluant; je suis déjà passée et Eric va chercher les cordes. Alors j'ose et je prends un autre itinéraire, je grimpe le ravin par la paroi rocheuse, je récupère les cordes qu'Eric me tend, elles s'embrouillent bien sûr et ce sera juste les pieds accrochés à la falaise que je vais m'énerver sur un lot de spaghettis au risque de plonger !! Tout rentre dans l'ordre, on est sains et saufs et on continue. Bien sûr le chemin d'origine est perdu, on suit le balisage.


Le décor d'en face : c'est quand même plus hospitalier là où on est!




Ils sont deux arbres majestueux dans le ravin



Ils sont deux les points de repère




Et on est deux à fouler le chemin

Le vrai, taillé dans le roc



L'ancien chemin "des danseurs"

Ce pour quoi on est là



En face 

En bas (au niveau de la pêcherie)


Et patatras, le chemin s'est effondré
Un passage difficile pour nous

 Le chemin à coup sûr est abandonné, c'est du droit dans la pente musclé mais les balisages sont là, les courbes de niveau rassurantes, la pente aussi, un autre virage à gauche vers des courbes assouplies et le décor change. 

Le sentier continue dans la pente, un bref moment

Le trajet de la partie 2

Le trajet bleu est celui du chemin d'origine, vu sur un plan ancien
Le trajet du chemin, plan ancien

Partie 3 du trajet : 

 Les barres rocheuses sont derrière nous, la pente est plus douce mais en ligne directe donc encore sévère.  Un morceau de l'ancien chemin se devine  mais les chasseurs ne l'ont pas nettoyé, ils ont choisi le tout droit qui le coupe net. Dommage. Il faut préciser que cet ancien chemin n'est pas tout à fait le même que celui que nous avons quitté dans les falaises. Il y avait tout un réseau de chemins qui se rejoignaient. C'est un autre morceau de son histoire.

En bas on entend la route et le fleuve. En bas c'est plus très loin mais la belle forêt a cédé le pas aux taillis buissonnants. Quelques descentes sur le fessier, quelques estafilades, un tee shirt éventré, des rires.

Trois parcelles s'offrent à nous, elles ont une forme animale : le tronc, la tête et les pattes sont en commune de Quirbajou et les deux pieds en commune de St Martin.
Et soudain on se retrouve sur le tracé de la ligne électrique, vraie jungle de hautes herbes d'où émergent à peine deux têtes bien soulagées de se retrouver en bas.
En bas c'est là, un dernier passage que j'ai élagué récemment, un dernier point rouge de chasseurs, on traverse une plate forme vrai taudis de rocs et ronces, l'ancienne route de Perpignan à Quillan, on frôle l'ancien cours de l' Aude qui a  été chassée de ses terres par le chemin de fer et on arrive ahuris sur la route, à l'entrée du tunnel, à deux pas de Max et Nina qui n'ont plus qu'à nous raccompagner au Col de Gages chercher la voiture d' Eric.

Balisage : du rouge toujours ( superficiel)

Balisages



Le paysage change, le terrain s'adoucit

S'adoucit ? En déclivité seulement



La jungle martinlyssoise






Juste au croisement entre la ligne et le chemin


Cherchez l'humain dans cette jungle !




C'est pas de tout repos
Le final


Je ne peux m'empêcher de tirer un trait humoristique sur cette aventure car cela en fut une : 

Ne riez pas ! C'est bien l'ancienne route de Perpignan à Quillan
Référencée "de Perpignan à Bayonne".



Le trajet de la partie 3



Encore un pari réussi, certes, sans les chasseurs nous n'eussions pas osé, nous n'eussions pas trouvé, mais sans notre obstination, ce chemin eut gardé son histoire muette à jamais. 
Ainsi ce petit témoignage et celui d' Eric qui enrichira encore son site sont une page d'Histoire locale et ...d' Histoires, celles des jeunes gens qui allaient danser là haut à Quirbajou, tel ce grand père dont peut être Eric a retrouvé une parcelle d'âme ce matin.

Merci Eric pour ce partage de nos folies ! Je t'assure, ce n'est pas fini !
Merci à ceux qui entretiennent ces montagnes et nous permettent de les faire parler.




Le trajet précis dans son intégralité (obtenu par points GPS successifs)

Distance totale de la descente : 3 km environ





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