Je fais référence aux chemins noirs de Sylvain Tesson, les chemins en pointillés noirs sur les cartes. Qui furent chemins de vie et devinrent chemins d'oubli.
Canaveilles, tout petit village du Conflent, région des Pyrénées Orientales, a son lot de chemins noirs. Ce sont mes préférés, ici ou ailleurs. Je n'ai pas la plume de Tesson mais j'ai la curiosité pour les faire revivre et accessoirement parler.
Je m'y emploie en ce 1er mai. Si le travail est banni du calendrier, ma curiosité me poursuit jour et nuit.
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Au bord des chemins noirs, chêne vert |
Ce chemin noir que je nomme de Saint Génis, va sur la carte, d' Els Estallats (pas les Estallades) à Querangles en ligne horizontale, j'en avais parcouru un tronçon en février 2021, en sens inverse de ma marche d'aujourd'hui. Tronçon qui s'acheva dans un fatras végétal ; je voyais les murs du chemin et je ne pus franchir les cistes à feuille de laurier. J'écrivis alors : "Le demi tour s'impose, comme souvent, mais également je sais qu'un jour j'irai chercher son extrémité et essaierai de faire le chemin à l'envers de la partie manquante, ce sera facile à trouver".
Voici le jour venu...et dans mon sac il y a une solide paire de cisailles pour tracer les 450 m manquants. Je ne doute de rien !
Je démarre donc "à l'envers". Nuit au parking de la Carança et départ au sentier de Llar. Un magnifique chemin ancien devenu de rando qui compte de multiples murs, lacets et bornes cadastrales du temps jadis.
Quelques images de ce sentier :
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Sentier Thuès Llar |

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Le décor |
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Chênes verts |
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Le sentier et ses murs taillé dans le roc et la pente |
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Pont Séjourné |
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Thuès entre Valls (66) |
Le départ a été massacré par les filets anti éboulis mais au 18 eme lacet, en cours de route, un premier chemin noir file vers la droite; je l'emprunte, il est très abimé et vite démoli par un torrent de troncs enchevêtrés, infranchissables. Sauf pour un animal inconnu qui vient vers moi avec des cris inconnus et me pousse à la fuite !
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amplement abimé |
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Le premier chemin noir |
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Pourtant beau, |
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il finit dans un fatras |
Un peu plus loin est le départ du 2 nd chemin noir "le mien". Facile à trouver avec son mur arrondi de pierres taillées. Je prépare les cisailles et, surprise, il est parfaitement entretenu; depuis 2021, des mains s'y sont activées. Mains chasseresses à n'en pas douter ! Et je vais m'offrir une des belles balades de ma vie, dans un paysage sévère et aride, un chemin en balcon, avec de solides murets. Un embranchement mène au chemin du bas mais le fleuve de troncs me barre encore la route. Pourtant il y a des terrasses et la montagne devient bavarde : c'était des plate formes charbonnières !
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Magnifique mur au départ |
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En rouge, direction Llar En jaune, le chemin noir |
Je reviens sur mes pas et, dans cette forêt de chênes verts aux troncs biscornus, le chemin noir devient vraiment noir : c'était un chemin charbonnier. Son compère aussi. Il est vrai qu'en bas, tout en bas dans la vallée, les forges catalanes foisonnaient. Thuès, sous mes pieds, avait la sienne.
Additif post rédaction : j'ai appris par Michel Prats que ce chemin noir inférieur fut utilisé par les poseurs de filets pour installer leur matériel, marteaux piqueurs , qu'ils montaient sur le dos. Bien lourd le sac à dos.
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Pêche à la ligne : Thuès |
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ou serpentant entre murs |
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Chemin posé dans la forêt |
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Et encore le chaos |
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Un chemin grandement en courbe de niveau tout au long |
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Les lointains de la Carança |
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La saignée de la Carança |
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La pente dans laquelle se trouvent ces chemins noirs |
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Les deux chemins noirs ; ce récit concerne celui du dessus |
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Dans la forêt |
Donc le mystère est résolu. Le silence est parfait; les montagnes en face sont voilées de sable jaune du Sahara, donnant une lumière irréelle au décor. Je ne ressens rien d'autre que mon habituelle joie au contact de ces chemins noirs. Je traverse des ravins où les murs des bâtisseurs n'ont jamais bougé témoignant d'un savoir faire égal à celui des ponts des meuniers espagnols. A droite comme à gauche, c'est de la pente très raide peuplée de chênes verts rabougris et de chants d'oiseaux.
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Les chênes qui furent exploités |
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Plate forme charbonnière à la terre noircie |
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Plate forme étrange sur le sentier |
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Le décor |
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Décor : Thuès et la Carança (gorges) |
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Vallée de la Têt et Pont Séjourné |
Les ravins se succèdent, celui des troncs enchevêtrés, sans nom, celui des Fées (Encantadas) et enfin celui de Saint Génis, un miracle de ravin : une source limpide, jamais tarie, en occupe quelques dizaines de mètres avec ses joncs, ses tapis d'herbe verte, des merisiers, un Paradis ! Les charbonniers n'avaient pas construit ici ce chemin par hasard...
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Vu d'en bas |
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Ravin de San Génis et sa végétation aquatique |
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Ravin des Encantadas |
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Entre les bouleaux, les merisiers |
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Et Thuès en bas
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La source, "correc" de San Génis |
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L'envers du décor, le site de San Génis et la verdure de la source |
Et pourtant, c'est un environnement absolument desséché. Un Miracle, cette source ....
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Cistes à feuille de laurier |
Le secteur m'est redevenu familier et je retrouve l'autre chemin noir, en lacets qui plonge droit dans la vallée. Il y a trois jours je m'occupais à le baliser dans son intégralité. Et découvrais des scorpions jaunes sous les pierres. Aujourd'hui ces charmants habitants sont plus discrets, je ne trouve qu'une mue.
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Les chemins noirs En jaune vers Querangles, en blanc "le directissime " vers Thuès et mon cairn |
Me voici parvenue à Quérangles, terminus de ce chemin dans les parcelles cultivées habitées de grands chênes. Grands et gros parce que les charbonniers avaient cessé de sévir. Je m'offre une nouvelle balade dans les étages de parcelles, parce que je voudrais aller...descendre vers...une ennième "folie", mais je renonce après le dernier mur : c'est suicidaire ! Je suis à 1128 m d'altitude . Plus tard je saurai qu'il m'aurait fallu encore marcher sur plus de 100 m entre pente, arbres et barres rocheuses. Suicidaire...
Je m'arrête au bout de la flèche jaune : mon but était d'aller me pencher sur cette sorte de gouffre creusé dans la falaise. Pourquoi ? Juste par curiosité
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Comme un entonnoir géant, phénomène d'érosion 'ou autre ? ) |
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La dernière murette |
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Pas le courage de descendre La photo écrase la pente |
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Le site du "gouffre" depuis la rive opposée ; photo Michel Prats |
Je vais revenir tranquillement par le chemin classique de Canaveilles à Llar, une portion de route, puis le sentier (que j'ai pris au départ), en descente cette fois, 28 lacets supplémentaires et, au bout du 46 eme, la civilisation m'accueille, couleur asphalte, couleur rivière, couleur parking, couleur humains.
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Pour chasser l'eau du chemin |
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Ingéniosité des constructeurs |
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Autre originalité du sentier. |
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Thuès rend hommage à ce ravin qui finit au village dans un cours accidenté et sec |
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Le ravin ou "correc" de San Génis En pointillés le site de la source |
De Canaveilles j'aurai vu les chemins agricoles, les chemins d'eau, ceux du cuivre, ceux du gypse, ceux des bûcherons débardant le bois, ceux des charbonniers. J'ai vu aussi les chemins de l' Histoire avec les sites de Cérola, Exalada et des Graüs. Avec en prime ceux de l' Amitié. A Canaveilles, une fois de plus je vais laisser le temps couler sans moi, je dois changer de site, mais encore une fois je reviendrai. Comme dans tous ces villages où me conduisent mes pas pour faire parler les montagnes. Juste un temps de pause...d'autres sites m'attendent.
En chiffres : Distance 10 km
Dénivelé positif cumulé environ 700 m
Le trajet, en blanc et rouge