samedi 22 juillet 2023

Ariège - Le vallon du Riufret et le Montcalm (3077 m)

 Tout a commencé un soir d'août 2008. J'avais suivi la rive gauche du barrage de Soulcem, dans le Vicdessos, à 1650 m d'altitude, et j'avais atteint le lieu où le torrent du Riufret (ruisseau froid) se jette dans le barrage. J'avais alors tenté de suivre une improbable sente, à peine marquée et j'avais abouti dans un mur de roches où je m'étais frayé un passage. J'en étais restée là. Le soir brumeux tombait, le chemin était invisible, existait-il seulement ? "C'est promis, je reviendrai" me dis je en ce 9 août voilà 15 ans.

Soulcem, vallées de la Gardelle et du Riufret


Confluence du Riufret

Je ne perds jamais de vue mes projets, et en ce 15 juillet, j'y suis. Ce sera, ce jour, la remontée du vallon, un sentier existe, à présent, comme il exista voici des décennies puisque des ruines d'orris, cabanes pastorales, y sont portées sur la carte. La vie existait ici il y a 5000 ans.

Une partie de la grande pente à remonter : 800 m D+


Je remonterai ainsi le vallon, une des plus belles montées que je connaisse, des plus captivantes et des plus sauvages. Le Riufret est en toile de fond sonore, rarement visible au fond de son canyon, mais les ouvertures sur lui sont superbes, jusqu'à l'étang de Riufret enchâssé dans son écrin de rocs et de névés. Un pur joyau émeraude.

Autre aspect du vallon, dans sa partie supérieure

Cette montée fut époustouflante autant qu'essoufflante, j'ai juste pris le temps de respirer, de faire de courtes pauses et de savourer, je n'ai pas de but précis car je doute de ma forme et puis un vent fou a secoué ma nuit et me déstabilise encore, ce chemin est un véritable appel d'air. Je monte, c'est tout. La montée très raide est lente, je respire, je prends des notes et profusion de photos car c'est magnifique . Et puis je réalise un rêve, c'est le seul but du jour. Ce sentier n'est pas très emprunté et devient balisé de toutes les couleurs, comme pour finir des pots de peinture, dès que la pelouse cède un peu le pas à la roche. ça aide. Je rencontre un jeune homme qui descend, une nuit presque blanche là haut, secoué en tous sens. Non il ne faut pas rêver arêtes ni 3000. Je gravis chaque 100 m de dénivelé en 12 mn, ce qui donne du 500 m/h ce qui n'est plus dans ma norme, c'est dire la pente.

Sentier floral

Univers minéral


Très vert, droit devant

Je regarde se coucher l'herbe et les fleurs, se tordre les arbres et onduler la couverture verte des pentes verticales, frémir l'eau du barrage des centaines de mètres en contrebas. J'écoute siffler le vent, c'est magique : seule la montagne peut m'offrir cette magie-là. Le vent de chez moi n'a pas ce privilège, même violent. (Note de rando)

Très bleu droit derrière


Canyonnesque à droite


Bucolique à gauche...en apparence, tordus par le vent


Et au milieu coulent les rapides


Et oui, je viens d'en bas et ça grimpe


Rocher fleuri


Le voilà : étang de Riufret 2400m


Etang de Riufret

Arrivée à 2400m, la vallée fait un virage, le cirque de montagnes minéral et rouge apparaît, c'est splendide ! J'ai parcouru 5 km dont 3.4 de sévère montée, j'ai marché 2 h 18 avec juste une barre chocolatée. A présent je dois choisir : il est tôt, le vent est fort mais non dérangeant, le désert total et la beauté magique sont invités à la table de ce grand cirque minéral. Un ou autre rare névé parsème les pentes, des ruisseaux dévalent ces talus et le Riufret gronde en écho au vent du sud. Je me donne un objectif, là bas, en haut de la cascade. Le sentier grimpe en roche, puis s'aplanit devant d'énormes rochers lisse et couchés comme des otaries, luisant au soleil de leurs stries horizontales qui se souviennent des glaciers abrasifs. Entre rouge et vert, je suis sans voix.


Des sommets inconnus ? Pointe de Gabarro ?

Lissés par les glaciers, ils parlent du mouvement de la montagne



Les otaries du Riufret



Les eaux plein pot du Riufret

Certes je ne vais pas vite puisque  je ne vais nulle part, donc je visite à l'envi. Voici de gros blocs noirs dont un semble avoir été fondu par la foudre, le fer a bouillonné. 



La roche est un paysage à elle seule, la roche devient tableau, couleurs, graphismes...

















Papillons de neige au dessus de l'étang


Ils sont anglais et on échangera en espagnol : direction Montcalm et Pique d' Estats ! 
J'admire...et je les suis

Une cascade me tend son bras droit plâtré par un névé et son bras gauche ocre et noir, luisant par places. Je quitte le sentier, il faut que je remonte au fil de l'eau, en paroi, c'est sublime. Autant le parcours que les couleurs.





2600 m



Je grimpe ces reliefs

Pas d'aspérités, à éviter



Les doigts et les yeux se régalent

Un de mes bâtons se noie, tant pis. Je débouche en haut de la cascade, et décide de m'arrêter. Je suis épuisée, j'ai fait près de 1100 m de dénivelé avec une barre et un oeuf dur, je ne tiens plus. Ce sera mon terminus et, coincée entre ruisseau et gros rocher je rassemble un peu de chaleur.


Avant de déboucher sur le cirque final


Bien nourrie, finalement, pourquoi ne pas aller plus haut ? Je comprends que je n'ai pas pris l'itinéraire des étangs de Canalbonne, mais tant pis, je suis sans but : je regarde les cimes, je n'en connais aucune, je me repère avec la carte, sans certitude...et je monte. 


Du côté des Canalbonne

Le couloir et le névé du col


Soudain, dans la caillasse rouge surgit une silhouette : je tiens mon indicateur. Justement ce jeune homme est en reconnaissance du prochain trail (18 août) et ce col, perché au bout de son couloir croulant, est la porte ouverte sur le Montcalm. Et si j'y allais ? Et si finalement je me l'offrais mon 3000 avant qu'un 3 eme covid ne me le ravisse ? Je mets le turbo comme si le covid était à mes trousses et j'emboite le pas du garçon qui se contorsionne dans la pente épouvantable de cailloux où une mince sente est un vrai tapis roulant. Mais c'est mon terrain ça !


Il grimpe




Nous grimpons (je viens d'en bas là bas et plus que ça)


On se retrouve au pied de la falaise marquée de points verts. Altitude 2861 m.


Au pied du mur : 2861 m
 


La bonne aubaine (eau bonne)

 Cela commence par un goulet liquide, un ruisseau et la verticalité reprend ses droits. Rien n'est difficile à grimper, avec de la prudence car les glaciers ont lissé la roche et émoussé les prises. Les pas sont un peu hauts mais je fraie mon chemin, tout est possible. Il ne me faudra que 15 mn, hors petits arrêts, pour atteindre le col, à 2980 m, Col de Riufret. 

Mouillé




Et c'est parti en rouille et vert (flèches et points)

Col de Riufret, 2980 m; descente ariégeoise encore  (Vers le Pinet)
Pic forteresse de Sutllo en face


Le Montcalm est à droite, si proche, je prends le temps de boire le paysage...et de boire aussi. Il y a du monde sur le parcours entre Pique d' Estats et Montcalm, je suis venue là en 2015, le paysage m'est familier et je mesure la différence d'enneigement. Les lointains bleutés des Pyrénées encadrent le décor minéral, c'est grisant. 

Montcalm


Je reprends le chemin pour le sommet, atteint en 15 mn, couronné de français bruyants, ça existe aussi.



j'y suis !!


 J'aurai le sommet quelques instants pour moi seule, roches rouges,  jardins de fleurs mauves et roses.


Jardin de rocaille

Et la couronne des Pyrénées jusqu'à la Maladetta



Sutllo en 1er plan, Maladetta tout en fond



Rien ne se perd tout se transforme


Petits étangs de Canalbonne, mon prochain "voyage". 2614 m


 Des couloirs impressionnants entament la crête, fonçant dans le vide vertigineux. 




J'irais bien à la Pique d' Estats, je me sens encore "du jus", mais je sais la descente qui m'attend par l'inévitable vallon de Riufret, j'ai en mémoire la phrase de Ludo : "A monter, ce vallon est rude, mais à descendre, c'est un enfer innommable", et bien l' Enfer m'attend et j'y entre avec sérénité.


Vers la Pique

Je me jette dans la descente

J'ai quitté le sommet après 9.14 km de montée, à peu près pareil m'attendent au retour, faut pas dormir...ni dévaler! 

Mimétisme



 Je n'ai qu'un seul bâton donc j'adopte une technique éprouvée dans les pentes raides et mon équilibre est garanti. Oh je ne vais pas descendre vite; si j'ai eu 4h 15 de temps effectif pour monter, j'en prévois 4 pour descendre et finalement ce ne seront que 3 h 31 quasi non stop qui me ramèneront au bercail. Mais quel flamboyant trajet ! Entre couleurs, textures, paysages vertigineux, danse de thermiques puis ouate de brume,  ce ne sera que spectacle. Oubliée la pente, même les courbatures oublient de s'inviter !


Domaine du minéral : de 3077 à 2630 m


Commence alors le végétal


Dans un creux se cache le Riufret (2400 m environ)
2360 m niveau de l'eau


Transition de couleurs
Le peigne lisse du glacier

.Le ruisseau du Riufret nait du névé du col mais aussi des lacs qui se déversent en petits sauts du haut des falaises. Mon bâton l'a choisi, je ne le retrouverai pas.

J'ai essayé d'aller à la pêche au bâton


Certes c'est rude, mais j'aime cette descente.  Et je vais la savourer avec une joie que rien ne va altérer, même les pas difficiles.  A 2400 m la brume s'élève en jolies volutes, lèche les montagnes et plonge dans le Riufret, je me dépêche pour rejoindre le sentier, passer les épisodes rocheux et leur balisage, la partie la plus délicate au niveau orientation. 


Juste une virgule d'inquiétude


Quel décor ! Végétal et minéral


Caresses en plissés


Et baignade légère

Enfin le sentier et la brume sont là, visibilité très réduite, descente vertigineuse dans la ouate et les fleurs, univers restreint et envoutant, je n'ai même plus peur de la brume; étroit, le sentier est un fil bien visible. Je double deux marcheurs trop lents, ce sera les seuls humains sur le retour. 


Un vrai jardin, le domaine végétal est dense


Descente dans la brume

 Mes genoux se taisent, mes cuisses résistent et mon mental est d'acier, mes sens sont en éveil, dans cet univers si restreint que je ne reconnais rien, les falaises ne m'avaient pas paru si proches. Il n'y a plus aucun décor, hormis les fleurs que je respire faute de les humer, j'ai perdu presque tout mon odorat. Descente Enchantée Ludo et non Enfer Innommable...Désolée de te contredire...Mais toi, quand tu arrives ici, tes distances et dénivelés font pâlir d'envie et non de honte les miens. Alors, oui tu peux parler d'Enfer, c'est pas peu dire.

Bleu odorant


Bleu liquide

Je rejoins Nina, endormie comme il se doit, une heure plus tard, tout le monde dort, sauf le jour qui va encore veiller. La fatigue va alors se réveiller et perturber ma nuit enserrée par la brume. Enfui le violent vent du sud de la veille, le Soulcem est prévisible : ou vent, ou brume. Que sera demain ? 

Devinez....

En  chiffres:
Distance : 16.8 km
Dénivelé : 1580 m
Temps de marche : 8 h 08
La route : 4 h  minimum aller





12 commentaires:

  1. Fabuleux.
    Merci de nous faire partager vos échappées belles.

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    1. Et je souhaite encore longtemps les faire et les partager ces échappées. Merci de votre visite

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  2. Encore une belle balade sportive où le minéral succède au végétal mais l'eau est bien présente sous forme liquide (beaucoup) ou solide (peu en cette saison !). Ces contrées perchées ne sont néanmoins pas désertées et c'est assez rassurant toute proportion gardée, tant tout ce minéral peut paraitre oppressant au profane que je suis ! J'imagine que ton estomac t'a remercié une fois de retour au bercail tant il a dû souffrir de ce "petit jeûne imposé !". le "ruisseau froid" se mérite bien, jusqu'à sa source et tu nous l'as fait découvrir pour notre plus grand plaisir ! Merci !

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    1. Cela fait partie de mes balades mythiques, j'en ai quelques une encore sous le couvert, en France comme en Espagne. Des grandioses mêlées à l'insolite, cela suffit à me charmer...mais j'ai déjà en sous main les randos de mes 90 ans. Celle que je projette demain ou très vite selon météo vaut son pesant de rocs sans eau et avec vide. Miammm. Je songerai à manger, au moins du caillou

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  3. Chère Amédine, je suis une nouvelle fois admiratif et envieux d'avoir ton énergie et ton enthousiasme au même âge. Et quel plaisir de te suivre sur des chemins connus que tu illustres si bien avec tes mots. Tu as cet art unique de nous emmener dans tes pas et nous faire partager tes expériences d'aventurière à ta façon. A quelque 400 km plus à l'ouest nous avons pensé à toi et probablement que le vent fou a porté jusqu'à toi nos pensées positives. Tu l'as fait ! Il y a ceux qui parlent et toi qui agis. Je suis fier d'être ton ami. Ludo

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    1. Je connais un autre blogueur qui possède ces qualités que tu me prêtes avec sincérité. Il se nomme Ludo. Dans l'écriture aussi il a l'art d'emmener les lecteurs qui en sortent à bout de souffle mais émerveillés de ce qu'ils ont vu. et ressenti. Bref tu as compris que notre solide amitié, telle ces rocs de montagne, est réciproquement inspirante! Et je te souhaite vraiment de poursuivre comme je le fais cette approche que nous avons, respectueuse, aventurière et en même temps très sportive, à nos niveaux et nos âges décalés. Tu suivras mon chemin mais moi hélas, pas le tien. Qu'importe, ce que nous avons est un présent que nous allons chercher, il ne vient pas à nous. Et moi aussi je suis fière d'être ton amie et que tu sois le mien...per molts anys

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  4. magnifique encore une fois cette remontée du riufret partagée d'une belle prose
    merci pour ce beau reportage, puisse tes années s'envoler sous tes pas et te porter dans des lieux magiques de nature !

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    1. J'ai vainement cherché les orris du Riufret mais dans un terrain si ingrat la vie ne leur a pas laissé de traces car je suis passée près. J'adhère à ton souhait mais à présent chaque sortie rendent mes pas plus lourds; je m'accroche à ces terrains que j'aime et j'espère encore les faire découvrir à mes lecteurs après ma propre découverte

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  5. Encore et toujours, sur les pas de nos plus belles années ! Amedine, tu es mon héroïne ! Mes 75 ans se rapprochent et me narguent, si je tente un pic quand il fera plus frais ce sera à cause de toi... non, grâce à toi. Que c'est dur de renoncer ! Je te suis entre lacs et rochers, je te suis dans les pentes abruptes et les névés... en plus ton texte est si beau, en te lisant j'y suis... la fatigue, les hésitations pour continuer ou renoncer, en un mot les émotions et surtout ce grand bonheur d'y arriver encore qui emporte tout... Per molts Anys la belle ! Bises

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    1. Tu sais ce n'est pas si facile pour moi, après deux virus se superposant à l'âge; c'est une énorme envie à présent doublée d'une volonté aussi énorme qui me portent, mais je regarde avec circonspection certains lieux que je lorgnais avec délectation. Bientôt...je m'étais donné il y a quelques années jusqu'à 76 ans, que ça me paraissait loin...je crois que mon corps était plus raisonnable que moi. Pourquoi n'irions nous pas fêter nos vitalités sur un sommet de ton choix ? Bises

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  6. Somptueux ! Tes photos sont un régal pour les yeux et ton texte captivant m’a emmenée avec toi avec grand plaisir. Le Lac de Soulcem est le point de départ pour d’exceptionnelles randos. Nous espérons pouvoir y revenir…
    Merci infiniment pour ce beau moment. Bises. Josy.

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    1. J'ai à nouveau un coup de post covid alors je rame ferme , mais je repars en Ariège dès que possible, le temps passe trop vite et les montagnes sont si belles là bas. Bon je veux faire du costaud à nouveau bien sûr...J'adore ce secteur. Bises

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