mercredi 5 juillet 2023

Mantet, Coma de la Dona et hauts plateaux

 

Aujourd'hui sera un jour très spécial, en route vers un rêve de roche.

Je le nommerai le N°5 de Chanel

Mantet sommeille alors que je démarre à 6 h 40, le soleil dorant déjà les cimes. Je sais où je vais, je vais essayer d'être rapide, je ne ferai pas mieux que dimanche dernier, je me sens même un peu plus "molle", mais j'atteins les 1973 m du chalet pastoral en 1h 35, que sont 4 minutes de plus sur 4.7 km ?

Depuis mon parking

Chemin de l' Alemany


En vue de Coma de Bacivers


 Je n'ai pas de train à prendre et à présent je dois aller chercher plus haut l'entrée de la Coma de la Dona, bien cachée celle ci. Je fais une jolie rencontre dans ce désert vert enchanté par les oiseaux et l'eau : sur le sentier même. Juste à l'orée de la Jassa dels Xais, à 2067 m d'altitude, les restes d'une forge à bras antique offrent à mon regard leurs déchets minéraux et le muret qui supportait la construction archaïque. Une de plus à ajouter à mes trouvailles de Mantet. J'en profite pour explorer un peu la Jassa et ses cabanes ruinées puis je quitte le sentier à 2120 m pour bifurquer vers l'inconnu.

Vestiges de la forge antique



Vestige d'orri : Jassa del Xai


D'abord je suis les coupes de bois des forestiers, puis je fonce à travers les rhododendrons pour me mettre dans l'axe : un mot m'accompagne "vipères ". Aussi, dès que se présente la claire saignée d'un long pierrier, une moraine latérale , je me précipite, je suis dans mon élément et je surfe de roc en roc sur un fleuve de plus de 100 m de dénivelé, demi heure de navigation linéaire dont je sors pour retraverser la forêt de pins espacés et les rhododendrons agglutinés. Sans dommage aucun je franchis une moraine frontale et je remonte un ruisseau sans eau jusqu'à un promontoire qui me permet de faire mon marché. J'ai parcouru 1.3 km dans cette jolie vallée.

Bon, y a plus qu'à....

Comme toute coma (vallée) glaciaire non colonisée par hommes et ruisseaux, le sol est tourmenté de moraines, coiffées d'arbres et les pentes rocheuses de la vallée sont de gigantesque torrents d'éboulis qui s'épanouissent en éventail au fond du vallon. Fleuves de roches qui racontent leur histoire.

Chemin d'éboulis, la moraine, j'adore



La moraine dans son décor



Après la moraine latérale, la frontale, habillée de végétal



C'est un ruisseau, à sec


Je suis à 2417 m d'altitude, j'ai franchi 1000 m de dénivelé sans m'en apercevoir, 7.9 km et 3 h de marche : bon faut se poser et réfléchir. Je n'irai pas au fond de la combe puisque..


Le fond de la Coma

J'observe la muraille si différente de ce que j'ai vu d'en haut. "Ici bas", euh...2417 m... les cônes de déjection sont immenses et les couloirs tous petits, normal, la muraille les occulte.


Vus d'en bas

Je suis face à un vertical potager aux sillons secs et je fais mon marché. Je choisis un sillon qui me paraît étroit, rocheux, avec une double sortie, tant qu'à faire, mais qui me donne en plus une seconde chance, en cas de difficulté :  revenir sur mes pas et emprunter le couloir voisin dont la sortie est lisse et le sol moins empierré. 

J'étudie la sortie au zoom

Moi, j'aime la difficulté et la pierre. J'aime les chaos et les trajets donnant à réfléchir, évaluer et se frotter au danger. Je suis ainsi faite...même les couloirs aseptisés me rebutent.

Vus d'en haut

Un couloir est une brèche qui se grimpe normalement en hiver, en neige ou glace, avec piolets et crampons ou plus si besoin (corde et assurage).

Moi les couloirs m'attirent l'été alors que ce sont d'horribles boyaux encombrés de rocs et hostiles à souhait. 

Je n'ai même pas l'once d'appréhension qui serait de rigueur, mais j'ai quand même un casque et un piolet d'hiver, pour le piquer dans la terre et me stopper en cas de glissade. 

Prête

Et c'est parti !

En 6 mn je gravis le cône de déjection de  50 m de dénivelé et j'entre dans la gorge de la muraille, où je ne vais pas être avare de mon temps ni de contemplation. Une barre de fer est à l'entrée, je saurai plus tard que c'est un couloir témoin de la Réserve Naturelle dévolu à l'observation. En ce qui me concerne je ne pense même pas "Réserve" car je ne dégrade jamais rien, ne cueille jamais une plante, ne déplace jamais un caillou et observe les animaux avec immobilité et silence. J'aime trop la Nature pour la bousculer. Elle me le rend à peu près bien. Ainsi, dans ce couloir où je monte en rive rocheuse, m'aidant de prises plus "pourries" que solides, mais efficaces, j'évite de bousculer tout bloc qui, s'il glissait pourrait heurter sans vergogne mes tibias. Je me retourne, regarde la verticalité dont je n'ai pas conscience, la raideur de la muraille, les paysages qui s'inscrivent dans la brèche et je suis aux anges. 

Une idée de la pente du cône


Depuis le cône de déjection



Cône de déjection vers l'aval
et vers l'amont


Le couloir enserré entre ses murs

Vers l'amont
                                                                                    
Vers l'aval








Vers la sortie



Le terminus s'approche



Dans la terre

Ou entre les rocs




Jardins de roches
S'agripper


En montée


Arrivée à la fourche sommitale gardée par un gendarme muet, je pars à droite mais la difficulté me renvoie en douceur à gauche, en franchissant l'arête qui sépare les branches. La sortie à 2513 m sur un fond de ciel bleu nuageux est une formalité, c'était bien court finalement ces 103 m faits en 20 mn de visite touristique et contemplation florale. 

La sortie se profile




Près de la sortie

Me voilà rassurée sur mon état, pas de vertige, d'appel du vide, d'appréhension, maîtrise des gestes, je suis prête pour mon été 2023.


Je viens de là bas


Evidemment, à la sortie, je m'en vais explorer l'arête : carnet et crayon en main, je répertorie les couloirs, leur sortie, leur difficulté, je les dessine, je refais mon marché cette fois en connaissance de cause. 


Une sortie de couloir



Une autre sortie, elle ne me rebute même pas

J'ai grimpé le N° 5, je le surnomme donc Chanel. Un isard me salue, lui il descend, malin, sur les roches et non dans le couloir.



Au sommet du N° 5



La sortie du "Chanel"


L'arête est comme le dos d'un saurien, elle ondule, écailleuse à souhait, mais ouvre sur un paysage surprenant. Certes, la Coma de la Portella, sans secret, et la ligne frontière au delà des hauts plateaux ourlée d'un lainage blanc et mouvant, la brume, la ouate sur laquelle se dessinent en noir les silhouettes des randonneurs. J'ai un GPS donc la brume ne m'inquiète plus, et puis côté français c'est dégagé.


Les hauts plateaux




L'arête en direction de l'est et le Canigou




L'arête vers l'ouest et l'extrémité  de la Coma de la Dona

Je continue mon ascension de l'arête, je m'arrête au 15 eme couloir, celui de l'isard, j'apprendrai aussi que c'est ce couloir, le 2nd lieu d'étude de la Réserve. J'ai les mêmes goûts puisque je l'ai choisi pour la prochaine fois !

Je cesse de compter (il y en a en tout 22) et je m'éloigne du fil de l'arête qui s'arrondit et s'élève sec dans la rocaille, je cherche un promontoire pour gagner la courbe de niveau que je brigue . J'ai faim, je suis presque à jeun, j'ai fait près de 1300 m de dénivelé, 8.5 km de marche et une overdose de rocs, alors il est temps de se restaurer. Dans mes folles randos, le plus fou c'est de me nourrir après, jamais pendant. Du n'importe quoi !

L'arête en direction de l'est : Canigou et la mer en fond

Coma de la Dona

 La brume gagne du terrain , ondule, embellit le paysage, il manquait cet élément à ma connaissance des Hauts plateaux. Je repars rapidement, m'étale sans vergogne, la fatigue aidant, je soigne les tibias grinçants à l'arnica et je monte au Pic de la Dona (2702 m) , juste pour le plaisir de franchir les 2700 m.


Pic de la Dona, 2702 m




Nouveauté !!

Quelques images depuis le plateau:









Pic  dels Bacivers de Prats (je suppose) 2845 m



La mer, au loin




Mantet lové dans son vert écrin et la mer au loin


 A présent, je vais rentrer et ce ne sera pas rien : je connais le parcours, il est beau mais interminable, la preuve si j'ai parcouru près de 10 km, il va m'en rester un peu plus. 


Sur l'altiplano

Ce sera altiplano, à 2600 m de moyenne, épousant les Comas de Bacivers et de la Dona que je vais observer à loisir. En suivant au plus près leurs festons. Les jeux de lumière et d'ombre m'empêchent la bonne photo. Mais que ces fonds de vallées sont brutaux ! je les descendrais mais ne les grimperais pas, je préfère un bon couloir original.

Coma de la Dona, d'où je viens


Coma de Bacivers, parcourue dimanche dernier


Au fond de la vallée

Sur les flancs de la vallée

Enfin je dis adieu à la coma et une erreur de parcours (que je qualifie d'acte inconscient mais bienvenu) me conduit à la petite Coma sans nom attachée à la Coma de Bacivers comme une oreille, et que je peux ainsi contempler.


La petite Coma sans nom


Au GPS et en courbe de niveau, je rectifie le cap, je me dirige vers le Col del Pal, rencontrant la source d'un ruisseau dont je ferai mes délices aquatiques, avant que d'entamer la longue descente sur Mantet, près de 7 km. Un beau parcours que ce GR10, que j'ai eu fait enneigé. La forêt y est belle, la descente remarquable sur ses 340 m de déclivité escarpée et épuisante mais je meuble l'épuisement au mieux de mes capacités, en mettant en valeur tout ce qui est beau afin de faire taire tout ce qui grince et grogne en moi.

Petite source devient ruisseau

Col de Pal, vallée du Queret



GR10 en forêt


Lys des Pyrénées




Vallée de l' Alemany

Là je ferai LA rencontre, la belle rencontre fortuite de personnes qu'on connait épistolairement ou physiquement, les baliseurs de sentiers, Marie  Thérèse, Michel, surprise aussi heureuse que réciproque, la Montagne est grande mais elle sait réunir les gens qui l'aiment et qu'elle aime.


Marie Thérèse à gauche, Michel à droite.
Au centre, j'ignore son nom : les baliseurs du GR


Mon retour à Mantet, plus tardif que prévu, après 8 h de marche et 20.7 km, verra une Nina endormie, et une petite admonestation discrète mais non moins réelle pour celle qui prend des privautés avec un lieu sanctuarisé, la Réserve Naturelle. Certes, je sors des sentiers, mais je ne détruis pas, je respecte flore, faune, jusqu'au moindre caillou, je ne me déplace pas en hurlant et je ne laisse pas traîner mes détritus, je fais des découvertes sur la géographie et l'histoire humaine, je reste humble mais...je transgresse les lois, je publie mes transgressions, voire j'inciterais et inviterais à mes parcours, m'objecte t'on... C'est non pas mal me connaître, c'est ne pas me connaître du tout. Pierrot, un résident qui me connaît par oui dire, rectifie le tir, et précise ma démarche. Toutefois, je compte bien continuer ma voie sauvage, le vrai chemin de vie que j'ai fait mien, Réserve ou pas. Et sans réserve.

En ne vous invitant pas, lecteurs : soyez raisonnables !



En chiffres : 

Distance, 20.7 km

Dénivelé: 1490 m

Temps de marche : 8 h 05

Trajet approximatif : 





10 commentaires:

  1. Oh ,,Coco chanel n° 5 fragrance des sommets,,

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tout à fait, en plus c'est un couloir d'étude du "Persil d'isard" une plante rare !!

      Supprimer
  2. Bravo pour cette ascension !
    Pour le sermon je ne crois pas que si' jétais resté sur les sentiers j'aurais trouvé autant de cabanes, et puis toi et moi on n'y va pas pour tuer les isards, les ours cueillir les orchidées sauvages ou que sais je encore ! Nous ne coupons pas les arbres qui résistent sur les hauteurs depuis des décennies et qu'on enlève pour les éleveurs ! Laisse passer l'orage !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Disons qu'on n'est pas des casseurs de banlieues et autres et que nous ne coûtons fort heureusement rien à la société; au lieu de détruire nous construisons l'avenir du passé de notre pays

      Supprimer
  3. Tout le secteur de Mantet est magnifique. Tes balades le sont tout autant. L'an passé nous avons parcouru la vallée du Callau. A droite sur le plan. Désert mais somptueux aussi. Randonnée sans exploit sportif de notre part. Marmottes et isards au rendez-vous. La fin des Esquerdes de Rotja. Cette année, moins de randos. Le covid nous a touchés début juin. Et il trainaille. Nous allons essayer la vallée d'Eyne en fin de semaine. Pour se remettre d'aplomb. Bravo Amédine et merci pour cet agréable moment de lecture. Rassure toi nous ne pourrons jamais faire ce que tu fais. Avec ou sans invitation. ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu sais, deux ans de covid (2 covids) dont je subis encore les effets parfois m'ont rendue très irrégulière, du jour au lendemain je peux avoir du mal à monter des escaliers. C'est très invalidant. Vois tu mes sorties à Mantet sont une rééducation après un épisode post covid très invalidant. Mais il est vrai que c'est un secteur merveilleux car il allie sommets, forêts, rivières, plateaux : les Caillau, Campmagre, Portellas, etc..j'adore. Dépaysement garanti. Meilleure santé à vous deux, bises

      Supprimer
  4. Merci pour ce partage si joliment et authentiquement fait. J’ai été votre ombre durant tout ce recit- cadeau. Que c’était beau et bon!!! Merciiiiiiiiiiii Amandine.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est sympa comme appréciation, et je continue autant que possible à emmener mes lecteurs, comme je me laisse emmener sur un blog ami dans des exploits que je ne peux plus faire

      Supprimer
  5. Beaucoup trop de minéral et de vertical pour moi ! Mais.... dès qu'il y a "du vert", du coup, c'est moins vertigineux et plus apaisant et je m'y sens plus à l'aise (le départ de la vallée de l'Alemany par exemple !). Tu n'as "presque rien" à envier aux isards ! :) J'ai beaucoup aimé aussi les points de vue de Mantet et ses environs que tu as immortalisés sur tes clichés vus du col (parking ?). Je suppose aussi, qu'au retour (ou à l'aller), tu as du faire une petite halte à Py ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pas de halte à Py, on ne peut pas tout faire. Les photos des environs sont faites entre le parking de Mantet et le col, à la faveur de la lumière et des fleurs. Pour le reste, le caillou est mon élément, même si parfois il me maltraite, on reste en harmonie. Merci de m'avoir lue sans vertige.

      Supprimer

Votre commentaire: