vendredi 25 décembre 2020

Un canal, une vire, des virages : le canal Py Sahorre Thorrent (66)

 De ma jeunesse passée au bord d'un canal j'ai gardé le goût de l'eau, de sa musique, de ses relents de fraîcheur, de ses parfums allant de la vase aux fleurs, le plaisir de son contact, de sa fluidité, de son toucher, bref partout où il y a de l'eau il faut que je pose mes mains et mes pieds. Comme sur la roche finalement, qui lui est pourtant opposée. Mais j'aime l'eau vive des ruisseaux, torrents ou canaux, moins celle de la mer.

Dans son décor de roche

Ainsi, en ce matin (20 décembre)  de post confinement, mon projet était le cours rocheux et sec du Ravin dels Horts, escarpé dans une montagne calcaire de Villefranche de Conflent, pourtant, par le biais d'une météo mouillée je me retrouvai pieds dans l'eau et corps sous l'eau du ciel à arpenter la rive d'un canal quasi suspendu sur une vire rocheuse étroite à souhait ! Finalement tous les ingrédients y étaient dans un joyeux pèle mêle. Avec la Liberté en toile de fond...Omniprésence du bonheur de la recouvrer.

Qui ne pouvait que me plaire d'autant que cette rando était un projet...suspendu depuis des mois.

Me  voilà tout près de Py, dans cette vallée de la Rotja très riche en rebondissements. Longue de 23, 3 km, cette rivière au parcours impétueux est affluent de la Têt et nait à 2200 m d'altitude, drainant les eaux d'un véritable réservoir enrichi par la fonte des neiges au printemps.

Dans cette vallée peuplée entre Py et Sahorre, Fuilla et Villefranche, se développa une agriculture vivrière et pastorale, donc un réseau de canaux, 10 canaux dont les plus anciens , autour de Sahorre datent du Moyen Age (an 800).

Vestige d'un ancien canal : pierre travaillée

Les deux qui prennent leur départ près de Py se nomment Canal Py Sahorre Thorrent et Canal  de la Nougarède, chacun de part et d'autre de la Rotja et longs de 7 km et 6 km.

Le début du canal Py Thorrent vu de la route

Le canal de la Nougarède, juste en face, vu d'en haut

Je démarre sur celui de la Nougarède mais ne ferai pas plus de 30 mètres : recouvert de tôle, il est glissant comme verglas, sous cette pluie. Je vais donc aller voir de plus près l'autre, suspendu entre crêtes et rivière et là, c'est "le pied", cette expression n'est pas vaine, on verra plus tard.


Patinage sur le début du canal de la Nougarède

 Le canal que je vais suivre est un long canal creusé à flanc de montagne, la date m'est inconnue, 19 eme sans doute, creusé entre falaise et à pic : donc les hommes d'alors ont "cassé" la montagne et avec les déblais ont érigé un étroit chemin, une vire, en virages et courbe de niveau, 930 m, canal creusé et déblais faisant le sentier juxtaposé, fort étroit et à certains endroits inexistant car éboulé, cela requiert un peu de funambulisme!


Je vais marcher sous la pluie dans ce décor austère, un sentier que j'ai parcouru passe 300 m au-dessus.
La balade sur ce sentier lors du 1er déconfinement en un clic ici 


Dans ce décor courent un sentier et un canal


(Le début, sur 1 km est aménagé pour produire de l'électricité.)
De beaux murs de pierre taillée, peu visible, soutiennent l'ouvrage.

Vue prise de la route



Et depuis le canal



Magnifique assemblage de pierres


Le canal est vide entre le 15 octobre et le 15 avril, cela aide, on peut marcher dedans et le sol est tapissé de sable blanc et grossier. Un parcours agréable au printemps  mais en hiver et sous la pluie cela a son charme : les arbres dénudés dévoilent le paysage.

Je vais donc marcher, marcher, marcher,...Solitude et silence hormis le bruit de Rotja .

Pour ce faire, j'ai choisi de tester des souliers qu'Emilie m'a donnés, de belles chaussures de marche, confortables, les Souliers d'Emilie et non les Sentiers d'Emilie.

Le canal prend son départ à la prise d'eau de Py et , sur 1 km, est habillé d'une armature de zinc, jusqu'à la prise d'eau de la conduite forcée qui fait fonctionner une petite centrale électrique. 1 km difficile, c'est mouillé, glissant, effondré et parfois si étroit que je dois me cramponner aux tôles du canal.

J'arrive alors à la chute d'eau et au départ de la conduite forcée.


La prise d'eau de la centrale 

Au niveau de la centrale

Le trop plein du canal
Quand besoin est l'eau va dans la 
conduite forcée parallèle

A partir de là, sur le trajet restant, le canal bénéficie, en fonctionnement, de 18 à 37 % de la quantité d'eau , est creusé directement dans le sol, renforcé en certains endroits abîmés, nanti de déversoirs, vannes et quelques passages métalliques .

Ce canal est destiné à l'arrosage : il n'irrigue plus aujourd'hui que 40 hectares sur les 125 d'origine. Du 15 avril au 15 octobre. Comme pour tous les canaux, la répartition des eaux est très réglementée.


Départ du canal voué à l'arrosage

Creusé dans le roc


Toujours de la roche taillée

Travail de l'homme, jadis



Le passage sur le côté est parfois exigu














La roche a été taillée en petit tunnel pour le 
passage du canal

Quelques images du parcours : bas côté étroit, voire démoli et passage aérien ! Mais plutôt poétique avec ses fougères, mousses , sous la pluie qui allume des perles brillantes



Réparation sur vide 

Sable blanc et grossier issu de l'érosion de la roche



Accident de parcours mais il est bien tombé !

Super étroit et sur le vide : éboulement 

Il y a toujours du boulot...
euh... du bouleau




Toujours posé à plat il court dans un paysage rocheux, de falaises et abîmes, dans une végétation de chênes verts, houx, et autres arbustes méditerranéens. Au printemps l'explosion de fleurs doit être sublime. Il reste encore quelques fleurs en cette avant veille d'hiver.

Je marche, je marche, inlassablement...Le canal rencontre deux ravins dont un à son service, 30 m plus haut, un captage l'enrichit de quelques eaux. 

Prise d'eau au ravin de Barbaillexa
Pour alimenter le canal



Jonction avec le canal 

Et déversoir au cas où





Il y a sur le parcours une cabane de cantonnier mais aussi deux abris sous roche aménagés par les anciens, remarquables!

Cabane cantonnière

Abri sous roche

Celui ci est fait de deux "salles " superposées

J'écoute le silence, je respire les végétaux glacés et mouillés, je fais crisser le sable grenu sous mes pieds et mes yeux scrutent les neiges d'en haut et les voiles de pluie. Je suis bien, après ces deux mois d'"enfermement" avant les prochains....


En rose, bonnet de prêtre, houx et cynorrhodon (églantier)


Me voilà en vue de Sahorre posé bien à plat et de Thorrent, haut perché, je sais que le canal va  se diviser en deux branches. 

Sahorre

Thorrent (église et château)


Ace moment, 5 km, mes pieds se divisent en deux, un très content de sa chaussure et l'autre très mécontent, qui hurle de douleur ! Et maintenant que vais-je faire ?


Le content et le râleur !

Demi tour évidemment. 

Le pied gauche râle, il aurait continué.

Le pied droit ferait bien escale.

Mais ils sont solidement liés à moi et tributaires l'un de l'autre. 

Et ça va râler, et je vais souffrir...

Finalement, le pied droit va gagner, ne pouvant rester sur place je le déleste de sa monture et je rentre nu pied pendant un moment. Ce n'est pas un problème si le sol est herbu, mouillé et glacé, tout plutôt que d'abandonner ce pied.

Et puis, peu m'importe : la Liberté du déconfinement  valait bien de souffrir un peu non ?


La prise d'eau de la centrale finira de lui rafraîchir les idées et c'est bien sanglé qu'il terminera le trajet, il me doit bien ça. Emilie retrouvera ses souliers et moi la seule marque qui ne fait pas enrager mon moteur.

Sans doute reviendrai-je un jour de printemps, pour les fleurs, les couleurs, et pourquoi pas, le terminus ? Avant que d'aller plonger en Enfer tout en bas, dans la Rotja où une cascade et un bassin attendent les courageux pas frileux. Avec ce nom attirant, en prime. 

Et avec cette invitation sur le mur de la centrale électrique : comment résister ??



Le  printemps, ça change tout! 

Py, Mai 2017



En chiffres : 
10 km AR
Altitude constante : 920 à 930 m


Article connexe : (clic) : couvrefeu et eau du ciel à Fuilla
*


5 commentaires:

  1. Chère Amédine, depuis ton teaser sur FB, j'attendais ton récit avec impatience. Voilà qui est fait. C'est un bonheur de savoir conter avec autant de talent et une qualité de voir tous ces détails qui parfois m'échappent, mais que souvent Roberte capte dans son objectif. Cette rando nous l'avons faite à l'automne 2016, après un essai infructueux. A l'époque juste après la prise d'eau de la centrale il y avait eu un éboulement du soutènement qui nécessitait de passer en rampant dans le canal en tôle accroché à la paroi. C'était périlleux, mais en plus le canal était toujours en eau...Si je t'en parle c'est parce que tu projettes d'y retourner. Il y a une très belle solution que nous utilisée pour la seconde tentative et qui permet de faire une très belle boucle. Depuis Coll de Fins rejoindre Py par Barballaiche, au lieu dit Veinat il y a une trace qui file à flanc et qui permet de rejoindre le canal au niveau de la prise d'eau du ravin de Barballaiche...Si ça te dis je t'enverrai une photo de la carte avec la trace.
    Michel

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    1. J'ai fait le sentier de Py , celui qui est 300 m au dessus du canal et permet de rejoindre le col de Fins où je ne suis pas arrivée, disons que j'y suis arrivée par un ancien canal qui part de Thorrent. Un jour de neige. Le passage effondré dont tu parles est celui que j'ai mis en phot équipé d'une passerelle métallique. Alors comme j'ai la chance d'avoir ENFIN un smartphone, outil dont je ne voulais pas et dont je raffole en rando, je peux me situer et surtout chercher in situ des renseignements, bien précieux avec ma curiosité insatiable. J'ai trouvé ce sentier de jonction entre sentier du haut et canal il est au niveau du Ravin de Carmes, je pense que c'est de celui ci que tu parles à moins qu'il y en ait un second à Barbaillexa. Celui de Carmes est le plus court chemin pour rallier les deux ouvrages et j'entrevois de le faire à la belle saison car le sentier était magnifiquement fleuri l'an passé . Un cairn assez gros marque le départ de ce sentier au canal, cela peut te donner un repère, tu dois l'avoir vu. Enfin tu sais je ne l'ai vu qu'au retour ainsi que l'étrange abri sous roche fait de 2 pièces superposées. Je n'y suis pas entrée car j'étais pied nu, déjà que je me suis un peu aventurée pour prendre la photo. Je veux bien que tu m'envoies une photo de la trace, et peut être connais tu des choses sur ces canaux de l'an 800 auprès de Sahorre; je cherche sur les cartes, ce sera difficile à trouver !! D'autant qu'ils sont très courts et que ces villages de la Basse Rotja sont truffés de canaux. Je te lis toujours avec plaisir, amitiés à vous deux. Si tu sais qque choses sur Rec Majou (800), Rec Nou (18 eme) ,canal de Llongadère (800) et Rec de Restanyère (1789, le + facile à trouver) tu me le dis

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    2. Passionnant...
      Je vois que le passage effondré a donc été correctement réaménagé ce qui permet maintenant de parcourir le canal dans son intégralité en toute saison. J'ai bien vu un départ de sentier pour rejoindre le canal depuis le haut mais de mémoire je le voyais plutôt vers Barballaiche que vers le ravin de Carnes. Donc je ne parle pas de celui là, le départ de mon sentier se trouve sur la carte IGN juste contre le "l" de "le Veinat" qui jouxte Py (je t'envoie la trace). Pour le reste je n'ai aucune culture historique de ces canaux disons plutôt que je maitrise un peu l'aspect géographique et cartographique...Quant même un peu d'histoire pour piquer ta curiosité, les gens de Thorrent ont tenté de capter l'eau du ravin d'Aytua sous La Capsole (Tres Estelles) par un improbable ouvrage du style "L'enfance d'un chef", il y aurait eu un procès, il reste encore quelques traces de cet ouvrage.

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    3. ça m'intéresse : à creuser ou à approfondir, cette histoire. Merci, RDV à 2021 pour la suite

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  2. Encore un bel article, riche d'informations. Quel travail de recherches ! On ne se lasse pas de te lire pas à pas..et puis cet accident de pied..auquel tu as fait, courageusement, un grand pied de nez. Mais bon..ces balades en solitaire ... Fais apolit et sois toujours munie du téléphone portable (si ça passe) d'un sifflet hyper puissant, et d'un petit miroir qui doivent être dans ton sac à dos...sans oublier un briquet à gaz et couverture de survie ! Tu vas dire que je radote mais tant pis !! Donc revenons au sujet ..Tu nous amènes un peu partout dans ces massifs proches que personnellement je ne connais pas. On visite sans bouger ! Cela a son charme bien que moindre, "évidemment, que celle de la découverte in situ. Et en prime toutes ces photos qui nous transportent sur le terrain. Merci encore Amédine ! ASP

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