mardi 19 janvier 2021

Les "tinas" (cuves) oubliées de Banyuls sur mer (66)

 Un premier janvier 2021, avec Josy et Claude, nous avons visité la ruine magnifique des "tinas" de Reig, anciennes caves du vin de Banyuls, perdues dans la montagne mais en bordure du GR 10 quand même.

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Ce jour là, en revenant sous un temps glacé, je vis dans une profonde vallée deux ruines au milieu de nulle part, enfouies dans une épaisse végétation. Etonnantes. 


Un trésor caché ?

Revenue chez moi, le grand écran de l'ordinateur me révéla ce que le petit écran de l'APN m'avait masqué...Quelle belle surprise! Qui appelait d'aller à sa rencontre. Oui mais comment ? Curiosité et obstination étant mes moteurs, me voici sous un temps encore maussade, où perlent des gouttes de pluie, en route vers ces ruines.  Sans être sûre d'y arriver.

Une des ruines dans son décor

Le départ est difficile à trouver, cette montagne à deux doigts de la mer, là où les Pyrénées finissent noyées, est parcourue par un lacis de pistes, vrai labyrinthe où l'on ne peut se retrouver qu'avec des vues aériennes. Vive le smartphone!

Le départ trouvé, altitude 66 m, c'est parti sous le froid mouillé. Un peu de route, un peu de chemin de vignes et la couleur est annoncée : ce sera broussaille, chemin de chasseurs  abandonné, sentier de sangliers et végétaux arbustifs décapants. Je finirai les bras en sang et les jambes, pourtant vêtues, piquées comme par mille vaccins...peut être sera-ce mon salut ? (Anti covid s'entend).


Traversée du ruisseau et dernière vigne cultivée

Des ceps vraiment au ras du sol

Il faut avoir mon sens de l'orientation pour se retrouver dans cet enfer vert où le sentier n'a de sentier que le nom (aucun cairn, aucun balisage, sinon une maigre trace qui peut être animale, aucun réseau).

D'abord le sentier envahi de ronces et mimosas suit un long mur de parfaite facture, ancien chemin d'accès aux vignes dont on voit les cadavres sur la droite. Puis plus rien. Une trace incertaine...

Vigne ruinée



Le mur longe l'ancien chemin

Le chemin



Promesse printanière

Je vais suivre la rivière et parvenir en vue d'une première ruine , de schiste sombre, grandiose, de l'autre côté du ruisseau. L'accès est compliqué à cause de la broussaille mais là, premier émerveillement.

La jolie rivière



Le sentier encore visible



La première ruine

Imaginez....des murs parfaits sur un rectangle impeccable, des piliers qui émergent de la ruine décapitée, une grande porte donnant...sur le mur du cours d'eau (quel charroi pouvait donc y accéder ?) . La bâtisse fut opulente, les murs crépis en témoignent. Le crépi a disparu, un incendie a dévasté la montagne un jour ancien.


Je franchis la vaste porte dont il reste un gond et j'entre dans un enclos très haut percé de deux portes basses où l'on pénètre presque roulé en boule, des CUVES! Une cave, mon hypothèse est confirmée . Les "tinas". Deux petites salles carrelées de ce rouge feu aux tons variés, le sol couvert de gravats qui dissimulent les mêmes carreaux, une beauté embroussaillée. Comme dans une visite immobilière, il faut "se projeter". Se projeter dans un vieux passé quasi inimaginable. Il me manquera toujours cette histoire même si j'en retrouve les vestiges.





La porte d'entrée


Je contourne péniblement le bâtiment construit lui aussi en semi enterré, c'était de rigueur. Comme ma maison qui fut cave.


Vue aérienne depuis la piste, au zoom

Le toit est effondré, une ouverture permet d'imaginer qu'un plancher recouvrait les cuves et les piliers laissent imaginer la charpente d'un toit de tuiles. Tout a disparu. Je grimpe sur le faite des murs et m'aventure sur cette mince passerelle ce qui me permet de découvrir une 3 ème petite cuve dont je n'ai pas vu l'ouverture ni la présence, en bas, envahie de broussaille impénétrable. 3 cuves, environ 350 hl de cuverie, ce qui était important pour l'époque!

3 piliers , 3 cuves, elles sont en 1er plan invisibles sous les végétaux


J'ai du mal à m'arracher aux lieux, c'est exceptionnel. De plus les taggeurs à la cervelle de petit pois lyophilisé n'auront jamais le courage de venir ici, quelle chance! Intentionnellement je ne donne aucune indication du lieu pour ne pas les inciter à y aller!

Ce qui m'attend, plus haut, c'est la même chose, la photo me l'a dit, mais il faut y arriver, ce ne sera pas du gâteau...Et ce sera une vraie souffrance mais rien ne peut m'arrêter. En tout je franchirai 1.5 km, 200 m de dénivelé, et mille obstacles piquants, le plus doux sera les 5 franchissements de la rivière. Les murettes enfouies jalonnent mon trajet, deux ruines de casots, et la végétation d'autrefois est bien en place, elle parle. Si on ne voit plus trace de plants de vigne, on sait qu'ils y étaient sinon ...pas de caves. Les oliviers sont là, ils étaient en alternance avec la vigne. Vieux, inutiles, coriaces, ils survivent. Les chênes liège, économie vivrière de jadis, pour la bouchonnerie, sont là aussi, vénérables ancêtres sur lesquels on devine encore le "démasclage". Certains sont alignés et dénotent d'une plantation humaine.

Ruine d'un casot et oliviers



Murettes, cultures d'oliviers et chênes liège à l'abandon


C'est le sentier !

et le sentier



Vestiges de terrasse

suberaie

Paysage ambiant vu du fond de la vallée

Et vu d'en haut, avec la ruine

Il faut comprendre qu'autrefois étaient ici des vignes, cela paraît invraisemblable et pourtant, cette image ci-dessous, prise un peu plus loin, résume le paysage au fil des décennies :
Explication...


Au départ, la nature ressemblait à la partie gauche de l'image: des bois, des taillis, que les hommes défrichèrent et transformèrent en vignes  en terrasses, partie droite. Puis vint l'abandon, (milieu), la friche, qui rendit à la nature son aspect buissons de plus en plus compacts.
Alors, restèrent l'armature et le squelette des parcelles, terrasses et écoulement des eaux, qui disparaissent eux aussi au fil du temps et qu'un incendie, un jour, réveille du long sommeil enfoui.

Murettes, écoulement des eaux de pluie et citerne


J'arrive au 2nd bâtiment, plus petit, plus modeste, les vignes devaient être plus éparses ici, les lieux sont pierreux et ingrats. L'incendie est passé aussi, dans une cuve gisent les poutres du toit. Par contre les carreaux vernissés n'ont pas davantage souffert que chez leurs lointains voisins.


Enfoui dans la végétation sauvage
altitude 260 m

Le bâtiment rectangulaire, aux murs impeccables, d'une parfaite facture, est semi enterré lui aussi, et présente deux belles cuves, 200 hl environ, carrelées, inaccessibles par contre. S'il y a une porte, où est elle ? Invisible dans la brousse. Ces deux caves n'ont pas bénéficié d'une source mais mieux ! d'une rivière qui, en automne, période de vendanges, ne devait jamais tarir.



A demi enfouie aussi : à gauche adossée à la colline
à droite au surplomb de la rivière

Ouvertures en enfilade

Perfection des murs

Une des cuves





La porte visible est située à l'arrière 
à niveau de la colline
Porte à double battant : 4 gonds


Vue aérienne du bâtiment depuis la piste

Au zoom : on distingue les carreaux des cuves
ce que m'avait révélé l'écran d'ordinateur

Alors, à présent, que faire ? Le sentier continue un peu d'après ma carte, je le trouve mais le perds rapidement. Pas de réseau pour me retrouver, je traverse la broussaille au jugé, je retrouve ma voie et le retour me décourage d'avance, j'aurais tellement aimé me débarrasser de cet enfer vert!


Voilà la vallée tout au long de laquelle se trouvaient jadis les vignes et les deux caves

La dernière cave

Halte dans le ruisseau


 Mais je l'ai choisi, je m'offrirai même une seconde visite de la première cave.  Les couleurs sont belles, la lumière également, l'averse ténue alterne avec du bleu, du soleil et le paysage tout en haut chante sa joie... C'est beau, ma joie de vivre est revenue et j'ai d'autres rêves, la journée n'est pas finie.

Cap Bear et anse de Paulilles

Et où que l'on soit, il y a ce décor là en toile de fond : pas belle la vue?





10 commentaires:

  1. Amédine exploratrice du passé. C'est beau et émouvant. Merci Amédine. Ça mérite un petit Banyuls.

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    1. Merci Guy, c'est sûr que j'ai une âme d'exploratrice depuis l'enfance; c'est super de rester enfant après tant d'années.
      Un petit Banyuls ah, belle idée

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  2. Vraiment j'adore te lire. On retrouve dans ce texte tout l'effort, la souffrance, l'intérêt, la curiosité provoqués par cette découverte qui m'intrigue. Pourquoi ces cuves en ce lieu perdu dans la nature. Bien évidemment, à l'époque considérée, le ou les sentiers y menant devaient être dégagés. A dos de mulets le vin , sans doute en bonbonnes ou mieux en tonnelets, était "descendu" à Banyuls ou Port-Vendres ? Compte-tenu de la contenance de ces "tines" le charroi devait être très important. Le Mas Reig, était grand producteur de Banyuls. Ne peux-tu te renseigner auprès de la Mairie de Banyuls-sur-Mer pour avoir, peut-être, une réponse à cet étonnant stockage. Il doit bien exister quelques archives intéressantes. Ou alors servaient-elles à ensiler d'autres matières ; raisins ou olives ? Je ne vois pas bien ! En tous cas encore merci pour ton récit "mouvementé" et explications. Gracies ! ASP

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    1. Oui j'ai essayé de me représenter au fur et à mesure de ma progression les allées et venues, les terrasses propres et entretenues, les va et vient des mulets. Le travail des hommes et même leur habillement. J'ai pensé à l'huile pour les cuves mais non, c'était bien du vin, il n'y a pas trace de moulin, ni d'huile ayant imprégné les carreaux. La grande cave du haut appartenait au Mas Reig, celles ci peut être aussi me suis je dit. Il manque à mon récit l'essentiel, recréer la vie d'autrefois, et sur internet il n'y a aucun document. Mais je n'ai pas écrit mon dernier mot. A bientôt, il me reste une cave carrelée de vert à voir !!

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    2. Merci Amédine. Je te réponds tardivement !Bien sûr qu'un jour tu sauras animer quelques personnages bien catalans amb el cabec, el casot i la boratxa et bien évidemment les tisores de podar ..i un raig de vi de banyuls !! Hhihi ! ASP

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    3. Bientôt dans mon récit que tu aimeras sur Banyuls, je suis un peu en retard de blogs !!

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  3. Toutes tes sorties sont riches en émotions. Ça paraît tellement facile à te lire et pourtant je sais ce dont tu es capable pour y arriver. Merci pour ce récit bises

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    1. facile à lire et difficile d'accès mais c'est ce qui fait le sel de l'aventure. Cette balade banale prend des airs d'aventure car il faut retrouver le sentier, et, paradoxalement c'est au retour que j'ai réussi à le perdre 2 fois : soleil dans les yeux, manque d'attention, et puis j'étais portée par la soif de découverte, j'adore ça. Bises

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  4. J'ai fait un long commentaire mais au moment de l'éditer on m'a demandé de m'identifier le temps de le faire et de revenir il a fait disparu. En fait je disais que je crois que la vigne abandonnée que tu as prise en photo avec la citerne est celle de mon père où j'avais travaillé 10ans.??

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    1. Dommage car j'aime tes commentaires. Pour la vigne je t'ai répondu ailleurs en te donnant son emplacement. Si c'est la tienne j'irai la visiter avec grand plaisir même si difficultés !

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