mardi 15 février 2022

Villefranche -66- L'eau de Fort Libéria, chemin intégral

 Mon précédent billet est consacré à ma découverte du chemin de l'eau approvisionnant dès la fin du 17 eme le Fort Libéria. Fort Libéria sous l'impulsion de Vauban vit débuter ses travaux en 1681, l'année même où s'achevait celle du Canal du midi (1666-1681), pendant le règne de Louis 14. La construction de Libéria dura 6 ans et, n'y ayant pas d'eau sur le site, celle ci fut captée, dès 1681, à 1039 m d'altitude, dans un ravin des montagnes dominant le fort, sur le versant opposé. Je retrouvai par hasard ce chemin habité des débris des canalisations en terre cuite vernissée à l'intérieur mais ma découverte était incomplète : je perdis en cours de route, à cause de la difficulté du terrain due à la végétation, un morceau du trajet. Et il me manquait l'essentiel, le captage. Je ne pouvais laisser ma curiosité en suspens...

Fort Libéria et un fragment du circuit de l'eau



Le souterrain


La veille, je visitai le Fort Libéria, "revisité" par Napoléon III au 19 eme siècle et j'empruntai pour ce faire le fabuleux souterrain dit des "mille marches" qui mène à la citadelle. Visite rapide à cause de mon horaire mais indispensable pour mon parcours du lendemain.

Les "1000 marches " : 1850/1853 

                                     734 marches 

                                     180 m de dénivelé. 




Dimanche, sous un ciel mitigé où flotte une brume légère venue de la mer, je démarre à 7 h 45, les jambes un peu lourdes des "1000 marches" du souterrain plus costaudes que le test à l'effort que me fit subir mon cardiologue l'avant veille !


Beau paysage voilé

Mais aussitôt rendue sur le site où allait commencer le vrai effort, je me sentis légère. J'avais pris quelques repères sur le sentier pour parachever le circuit au retour, en descente.

Je partis droit dans la pente ascendante, suivant scrupuleusement le chemin de l'eau, bien tracé grâce à ses vestiges. Cette fois, ayant derrière moi l'exaltation de la découverte je pouvais me consacrer aux détails, notamment la structure du chemin. Un indispensable et pesant outil encombrait mon sac, il passa vite entre mes mains : un ciseau à tailler la vigne, plus efficace que mon petit sécateur. Le but était d'en user avec parcimonie (ce que je fis), afin de ne pas abimer le couvert végétal et ne pas laisser de traces. Juste pour me frayer un impossible passage ou dégager un site à photographier. Mon autre indispensable outil était la boussole, non pas pour éviter de me perdre, mais pour affiner la perception du trajet. Enfin calepin, crayon et altimètre me permirent de consigner avec précision les différents temps et trouvailles du parcours.  Je n'étais pas partie pour de la vitesse ce matin.

Accueil 

Droit devant



Comme le petit poucet

Intérieur vernissé de la canalisation

Le chemin de l'eau se devine aisément, malgré le sous bois

Parfois il est davantage lisible




Droit derrière, c'est beau et j'oublie de me retourner

Arrivée au site où je m'étais éloignée du trajet, l'autre jour, je poursuivis vaillamment dans l'axe, rectifiant une ou autre branche, un végétal, et les sous bois purent retentir de quelques jurons alors que mon corps peu vêtu se couvrait de points rouges à faire pâlir une rougeole. Les pires sont les piqûres d'ajoncs épineux secs, une horreur ! Je grimpais, glissais, reculais, rampais, mais j'avançais, tel un animal obstiné.


En rampant



 


Débris d'auge, je n'ai pas trouvé l'autre moitié
Alt 788 m

Altitude 832/835, je cherchai attentivement la trace d'un ancien sentier perpendiculaire à ma progression, sentier d'exploitation, mais le paysage abimé ne dévoila rien. Comment alors un chemin d'eau qui le précédait d'au moins deux siècles était visible ?

Parce que ces fabuleux constructeurs avaient creusé une profonde tranchée pour enfouir leurs tubes, recouverte d'éboulis et de rocs. Et ce parcours demeure encore légèrement en creux. Je suis sûre, au vu de la rareté et régularité des menus tessons que dans le sol doivent rester de magnifiques tronçons et je leur souhaite de rester inhumés pour des siècles encore.

Le trajet, toujours rectiligne

Toujours rectiligne, Fort Libéria surveille


Je ne dérangeai rien, et plus je montais, plus j'étais émerveillée, revenue à nouveau en mode exploration et découverte. 

Les barres rocheuses, peu hautes mais régulières, s'imposèrent à 886 m, et la boussole confirma ce que mon corps ne pouvait percevoir : une légère incurvation de la trajectoire. C'est à partir de ce moment que je saisis le génie de ces bâtisseurs. Le chemin d'eau, obstiné et souple épousait le bord d'une barre rocheuse, ou se glissait entre deux rochers qui peut être furent travaillés au pic et à la pioche pour avoir ce profil en U où se logeait la canalisation. Un ou autre muret avait sans doute son utilité, soit de protection, soit d'étayage, mais chacun demeura muet! 

Je suppose que le roc a été tranché. 958 m
Le cap normal est repris
Trajet minutieusement calculé.
Léger virage vers la droite. 952 m













Le chemin de l'eau passait là...


Quel usage pour ce mur ?

Plus je montais plus les tessons devenaient de gros calibre, moins affectés sans doute par les accidents du terrain, éboulements ou glissements de rocs. Sur le parcours, la végétation continuait à m'agresser sans vergogne, sauf mes amis buplèvres qui me servaient à l'occasion de piolets traction. De grands chênes solitaires ou par bouquets jalonnent ce parcours comme s'ils s'étaient abreuvés à l'eau des montagnes. Chênes verts ou blancs; un ou autre conifère gisait peut être victime d'une ancienne tempête qui ravagea le secteur.

C'est l'époque de la chute des feuilles (chêne). 930 m


Vers le haut, les vestiges sont plus imposants
898 m
Celui ci était pris dans une gangue de mortier




Intérieur : diamètre 6 cm



Le trajet de l'eau, vers l'aval

Depuis la côte 883 m, le paysage s'était ouvert sur les pentes sommitales, les antennes et les lointains pointaient le bout de leur nez. Je ne perdis jamais le parcours de l'eau tant il était bien tracé.


Une petite idée de la pente, du relief et de la végétation

Mais dans ma recherche quasi scientifique, j'avais laissé en bas état d'âme et émotions, j'étais concentrée et il me fallut arriver vers les hauteurs pour retrouver de ma sensibilité, m'extasier sur la beauté du paysage dans mon dos, la simplicité émouvante de mes trouvailles et me laisser gagner par la joie de mener à bien mon entreprise.

Mes prises de note in situ

Vers l'ouest 

Vers l'est

La boussole avait repris son immuable cap, Fort Libéria me suivait de son oeil cyclopéen au bout de sa contre escarpe, et, après l'ascension d'un solide mur, je débouchai sans surprise sur les anciennes pâtures du sommet et la citerne, mais une énorme surprise m'attendait juste en haut du mur, à quelques mètres de l'arrivée : un magnifique bloc de pierre sculptée qui était un des appareillages du trajet de l'eau.

 Fort Libéria et son regard curieux.


 Une "auge" carrée creusée, avec sur une face l'orifice recevant la canalisation et sur la face opposée une encoche qui semblait destinée à redistribuer l'eau. 

Pas du tout dans l'axe du trajet, déplacée en évidence, très lourde, je l'examinai, la mesurai (évitant d'essayer de la soupeser...lol), mais ne comprenant pas sa fonction. Ce n'est qu'en rédigeant ces lignes que je me demande si elle n' eut pas un usage agricole, permettant d'arroser les parcelles du sommet, proche de l'ancien village de Campilles. Peut être n'a t'elle rien à voir avec le système d'eau de Libéria? Peut être est ce un ouvrage semblable à pareil usage que cet "évier" à la côte 783 m.




Orifice circulaire pour l'arrivée d'eau
990 m



J'ai couvert 4 pages de croquis 
et mesures

L'encoche : départ de l'eau ?













Il faut bien que demeure un mystère....

Arrivée au point final de dimanche dernier, la citerne, il me fallait à présent aller à la source. J'avais étudié le parcours sur la carte, mais je compris vite que c'était faux: le chemin d'eau toujours tracé en creux me l'expliqua.

La citerne du haut et les bornes. 997 m

Ensuite tout trajet se perd, la piste récente a tout démoli. 

Rejoindre la source captée (IGN) est un jeu d'enfant : il y a la piste principale puis la piste désaffectée qui servit au déboisement après tempête. Cette piste, je la scrutai et trouvai, par miracle, deux petits tessons quasi pulvérisés par les engins, c'était suffisant.


Les deux pistes, sur l'ancien chemin de l'eau 

La source, à 500 m exactement du début de la piste, altitude1039 m, est un monument d'architecture ! Je restai béate d'admiration devant cette entrée dans un trou de verdure et passai un temps fou à l'intérieur : une architecture en coupole, avec un soubassement circulaire de gros blocs allant amenuisant, à la manière de la construction d'un igloo,  puis un feuilletage de lauzes conduisant au sommet. Un antre où git encore une flaque transparente. Il devait y avoir bien davantage d'eau aux siècles précédents.

L'entrée, stupéfiante

Le tunnel d'entrée


Intérieur : la coupole
La source et l'agencement des blocs


La source, peu abondante

Vue vers la sortie : chemin de l'eau


Une porte fermait ce vaste réservoir, des vestiges d'ancienne fermeture montrent un conduit en forme de tube maçonné dans lequel les restes d'un ancien pieu de bois sont réduits à l'état de filasse et plus récente, une fermeture métallique.

Le cadre métallique de la porte

Ancienne fermeture












Au  dessus de la citerne, dans un enchevêtrement de branches épineuses recouvrant la coupe d'arbres monumentaux tués par la tempête, je dégage la borne N°3 . Borne cadastrale ? Les secteurs du Conflent regorgent d'anciennes bornes comprenant des signes, des directions, des chiffres. Fort Libéria a son content de bornes, militaires sans doute. ça y ressemble.

Pourquoi cette source fut elle délaissée au profit du captage de l'eau de pluie ? Les militaires du fort craignaient que l'ennemi (espagnol) n'empoisonnât l'eau de la source ! Alors un nouveau moyen vit le jour : la pluie. De nos jours, aucun des deux moyens ne pourrait être utilisé tant est grand le déficit d'eau. Ainsi deux vastes citernes de 70000 et 50000 l récoltèrent l'eau des pluies, dûment filtrées.


Citerne du fort Libéria


La borne N°3


Allons y donc à Fort Libéria. D'abord la halte repas s'impose, ce sera à l'abri du corrosif vent du sud, en dessous de la chapelle, juste à la côte 1042, comme la source.

Mes voisins n'ont pas changé, juste un peu voilés. Je les choisis pour décor.

Au restaurant d'altitude, 1042 m

Saint Etienne 

Au restaurant


Après le repas, je repars sur le Sentier Vauban. Allure cadencée, sac à dos lourd, jambes usées mais ça descend. Je crois que je serais incapable de grimper un mètre de plus !

Cette fois je ne loupe pas la côte 782, avec le départ du sentier disparu que j'espérais croiser ce matin : bon je reviendrai le prendre ici, ciseaux agricoles en main ! Celui qui fonce en zigzags au dessous n'est qu'un souvenir sur carte.

C'est toujours magnifique ! On ne s'en lasse pas...



Le "verrou" de Villefranche


                                                      

       Allez, me voici à mon départ du matin droit vers l'amont, cette fois je pique droit vers l'aval, direction les yeux et le nez de Libéria. 

Le chemin de l'eau dans ce terrain illisible






Je ne trouve pas grand chose, ce furent parcelles cultivées donc dépouillées des vestiges, mais je sais la trace, je la suis et finalement je trouve un long cordon bien policé d'épierrage minutieux.


A gauche du cordon, le fossé .
Chemin de l'eau ?





 Un fossé longe ce cordon, serait il le dernier tronçon de l'eau, bien dans l'axe du fort ? Je me plais à le croire.








 Arrivée au fort par un sentier discret, je découvre l'étrave du navire, les fossés et une vaste excavation très profonde, aux murs de pierre, qui aurait pu être une citerne à l'air libre. Une citerne qui aurait pu être couverte en ce lointain 17 eme siècle...Hypothèse à vérifier.

Le fossé. 580 m


Il semblerait que ce fut une citerne


Une citerne ? Ce serait le point final de l'histoire. 580 m 

Le retour à mon camion n'est qu'une formalité, le soleil embrase les falaises ocrées, c'est la fin d'un beau parcours qui laisse le sentiment d'une journée bien remplie, mais surtout d'une mission accomplie.


421 m


En chiffres

Rando du samedi : 6.39 km (Fort Libéria, Villefranche et un canal)

Rando du dimanche

Distance : 10.43 km

Dénivelé : 660 m

Et la route...100 km AR

En rouge et blanc, le trajet du jour









2 commentaires:

  1. Le réseau a été cartographié à l'époque, étonnant qu'on ne vous l'ait pas dit au Fort.

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    1. Non on ne m'a rien dit et je pense qu'on n'a guère envie d'informer. Une question écrite posée au propriétaire est demeurée sans réponse. De toute façon la visite est libre sans guide, juste un dépliant. Je pense ne rien obtenir je ne suis pas archéologue et les touristes ne sont pas là pour ça. De plus ils ne souhaitent pas apparemment des personnes qui peuvent se mettre en difficulté physiquement donc ils ne les encourageront pas. Je suis prête à signer une décharge !!...Merci du "tuyau"...c'est le cas de le dire

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