jeudi 8 septembre 2022

Le pic de Camporells, 2671 m, par l'arête est

Voilà de nombreuses semaines que la montagne ne fait plus partie de mon univers pourtant très riche. La fatigue due au covid n'y est pas étrangère. Pourtant, depuis quelques jours, les envies de cimes, de paysages dénudés, de points de vue immensément larges, et...oui...de parcours reposants, hantent mon quotidien. C'est vrai que mes recherches de chemins perdus dans des sites sauvages et grandioses ont occupé mes sorties, recherches très énergivores mais qui ne laissent aucun répit au corps ni à l'esprit. Là j'ai besoin de repos et c'est là haut, plus près des étoiles et des nuages que je vais le trouver. Marcher, l'esprit libre et libéré, marcher et regarder ce qui s'offre à moi sans essayer de déchiffrer, marcher et respirer, remplir mes yeux d'un paysage que rien n'occulte, marcher et ne penser à rien ou ne penser qu'à moi, à ma vie, mes choix, marcher en cadence, m'arrêter souvent, écouter, regarder, pas après pas, le regard empli des cadeaux de la montagne. Et il y en a...La vie ici est un cadeau.



La veille je dormis en bord de mer, altitude zéro, le matin je me réveillai aux premières lueurs du soleil et plongeai dans la Méditerranée, le soir, la forêt m'ouvrit ses bras à 2000 m d'altitude et le lendemain je nageai dans un lac de montagne à 2360 m d'altitude. Que demander d'autre ? Le Bonheur il est où ? Il est où on l'invente.

Une nuit solitaire en pleine forêt, porte grande ouverte sur une mer d'étoiles, le vent a fini de l'ouvrir à mon insu, 8 petits degrés au matin. Et les parfums de la forêt, 2000 m au dessus de ma nuit de la veille.


Vers la mer


Lever de soleil sur le Madres

C'est dans une aube lisse et lumineuse que je m'élance; j'ai un rêve, je n'en ai pas encore fait un projet, il faut voir d'abord comment j'avance et je respire après les épreuves des mois passés. Epreuves qui m'ont largement affaiblie. Je sais où va commencer mon "voyage" , je ne sais pas s'il va se terminer dans la reprise d'une sortie originale datant de 4 ans ou si mes pas me conduiront ailleurs.

Lever de soleil sur le Carlit

Un matin étincelant

Vue plongeante sur la vallée de la Lladure

Il y a 4 ans je montai au pic de Camporells par l'arête, parcours inédit s'il en est car c'est une arête hostile sur un pic de secondaire importance cerné par les Péric, non loin du prestigieux Carlit; et puis voisinent le pic de la Portella Gran, de la Cometa, des grands costauds ...Alors ce tas de cailloux qu'est le Camporells, du sol au plafond...on lui préfère les lacs éponymes ruisselants de couleurs et de lumières. Non le Camporeils ne fait pas recette et c'est ce qui me plait. Je suis restée sur un souvenir complexe : le plaisir de cette approche inédite et le regret d'avoir eu peur des murailles que j'avais soigneusement évitées. Alors pourquoi pas ? L'arête en version plus corsée... J'ai le loisir de réfléchir.

Je marche, je ne vais pas vite, j'ai le temps de savourer le temps. La piste est coupée avant le vrai parking, cela rallonge de 1.3 km l'approche déjà plutôt longue. Il fait beau, le vent est nul, le soleil commence à étendre son éventail et je marche. La piste, longue, la forêt, la serra de Mauri, dénudée, 2400 m, une vraie toundra l'hiver, un désert lunaire l'été, la fraîcheur du vent léger sur la sueur dont le Sieur Covid m'a fait un invalidant cadeau.

La Serre de Mauri

Toundra hivernale (fev 2014)

La toundra catalane

Et puis le spectacle peut commencer, le site des Camporells (2240 m) un peu dénudé et desséché, mais toujours grandiose, s'étire avec majesté. C'est là que commencera le "voyage". Je dois perdre 150 m de dénivelé, des sentiers coupant la piste sont les bienvenus. 


Version fin d'été : 5 septembre 2022

Printemps, mai 2017


Hiver, février 2014

Je suis en bas, dans une prairie spongieuse  et je vais quitter le vrai sentier. Je vais longer un des lacs, suivre le ruisseau qui l'alimente, tantôt à l'air libre, tantôt sous le sol et, à ses bruits et éructations, on peut imaginer le relief souterrain. Les vaches sont loin derrière moi, la vallée n'est pas escarpée.

A présent, tout va commencer  (2238 m)


Prudente et trébuchante



Le style rivière pavée typique du secteur Carlit et Capcir


 Vaguement cairnée, une sente va me conduire vers le haut de cette conque (La Coquilla) qui est un ancien cirque glaciaire entre les sombres Péric à ma gauche et le pic de Camporells à ma droite. Les moraines latérales font un couloir, dominé par l'arête du Camporells. 


La vallée de la Coquilla



Ruisseau pavé


Lorsque le ruisseau réapparaît, je fais le plein d'eau fraîche, propre, et je fais mon marché par la même occasion. Non les jardins de bouses qui abondent, mais les sommets et arêtes, surtout les arêtes environnantes. Celle du Grand Péric me séduit. 


Arête du Grand Péric 2810 m

Jardin de bouse


Il faut déjà 8.6 km pour parvenir ici. Quant au Pic de Camporells, il est évident que j'y retourne ! Mais cette fois, je scrute la paroi pour choisir mon chemin. Plus téméraire qu'il y a 4 ans. C'est normal, j'ai progressé et surtout rajeuni -))

Pic Camporells, je choisis mon chemin pour gagner l'arête 

Le vent s'est levé, venu du sud en rafales, bourrasques, gifles, un handicap pour une arête.

Pendant la remontée de cette vallée, je me perds en interrogations . J'ai un peu évité la montagne depuis la pandémie : m'en serais-je lassée ? Me sentirais-je trop usée ? Aurais-je d'autres centres d'intérêt ? Mes recherches passionnantes auraient elles pris le dessus ? Me sentirais-je trop âgée ? Y aurait il trop de km pour y parvenir ? Pourtant en marchant je sens remonter en moi cette envie de pics, de vallées, d'arêtes, je sens revivre ces émotions passées ou enterrées, oui, à présent je sais, la montagne est toujours chevillée en moi.

J'ai remonté la vallée déserte, pas un humain, normal, pas un animal, dommage. A partir de maintenant ce sera... désert et, petit plus, dangereux. Donc mon carburant est annoncé; j'aime cette pointe de risque, de danger, qui sous tend prudence et attention, mais aussi plaisir de l'aventure. J'aime me défier, pas "conquérir" la montagne, c'est elle qui a le dernier mot, non, pas même défier la montagne, elle accueille à bras ouverts ceux qui la respectent et si elle se montre bienveillante, c'est à soi seul qu'on le doit. Je monte dans un chaos rocheux né du choc des moraines latérales avec la moraine frontale de la dernière glaciation. Les roches tourmentées sont plissées et colorées; ainsi, lisant, je parviens au pied du cône de déjection.


Approche


Le cône de déjection : 2488 m au bas
8.9 km parcourus

Bâtons dans le sac, j'entreprends la montée. Cette arête, dont je gomme le départ vertical, est une arête particulière. Autant elle semble linéaire, autant c'est un faux semblant: elle est faite de petites arêtes parallèles et décalées qui se rejoignent en séances successives d'escalade et de "faux plats". Chaque gradin est un luxe de précautions et chaque arrivée en crête un luxe visuel. J'ose ce que je n'avais pas osé en 2018, des murs, hauts et quasi verticaux, nantis de petits gradins de la taille de pointe de chaussure, de prises où je loge mes doigts après les avoir bien secouées, une belle escalade que je parviens à réussir parce que j'oublie le vide, la verticalité, la crainte du demi tour, voire son impossibilité; je fais parfois une halte, pesant bien l'équilibre de mon corps et la petitesse des appuis, optimisant une prise ou un appui, oui, je me suis lancée dans une grimpe en solo un peu osée. Que j'avale avec aisance. Comme un chat. Ici c'est un mur quasi lisse, là une ou autre cheminée de roche, là un rare couloir herbeux, pas le plus sécure, et aussi ces hauts murs vers le ciel avec leurs petites marches. Et à chaque fois, la surprise ; en aucun moment je ne devrais désescalader, il y a toujours un échappatoire vers le sol, du à ces petites arêtes séparées . La roche a un défaut, elle est ce qu'on nomme "pourrie" soit très instable et croulante.

En images : 


C'est parti, en route vers le ciel

Un 1er mur: je me lance 






ça grimpe ! C'est chaud. 2538 m

Et vu d'en haut ...et bien, c'est haut





Double étage avec paillasson au palier




Pause en équilibre : qui ? Nous, l'APN et moi




Le paysage dans mon dos : là je choisis déjà la future piscine


Frisson d'adrénaline, et j'y vais !



C'est plus facile



On peut monter sans jamais suivre l'arête

Juste en suivant les jardins



ça fait plaisir d'avoir de longues jambes...



Les lacs s'amenuisent, j'ai largement dépassé les 2500m 

Bien ventilée !


Le paysage est superbe et je refais avec bonheur ce parcours qui m'avait laissé entrevoir des merveilles.

A quoi je pense ? A rien d'autre qu'à l'escalade et à la prudence, concentration optimale. J'oublie le quotidien, le "en bas", je me sens vivante : comme lorsque avec Didier dans les flancs monstrueux du Besiberri, on riait en clamant "on est vivants"! Et heureuse de franchir les pas que je n'avais pas osés voilà 4 ans . Cela me rassure  à bien des points de vue. Capacités, agilité, expérience, confiance en soi.

Pourtant mes très récents 72 ans m'offrent en cadeau des jambes lourdes, une certaine gaucherie et un manque certain d'équilibre. 

et chaque fois qu'on touche l'arête il faut aller chercher la suivante : un vrai immeuble !
sans oublier le "gendarme", passage obligé

Alors on grimpe, bien secouée par le vent du sud

Pause dos au vide



Gendarme sur la route




Vers le haut

Vers le bas : j'ai gravi un mur



Là je suivrai la corniche, franchement je n'ai pas osé monter



Petite cheminée



Grand mur, un peu difficile, les appuis et prises sont chiches



ça c'est du gâteau mais attention aux
prises instables


Ils se font tout petits

Fenêtre sur Luzénac Ariège

Le vent s'engouffre et gonfle la voile
Je vais m'envoler...

Bien sûr je ferai "une ânerie" qui eut pu me coûter cher; sur une partie horizontale d'arête, je trébuche sur une pierre et tombe tête en avant. Une fraction de seconde, les 100 m, ou plus, de vide montent à moi et je freine à mort avec les mains. 


Ce ne sera rien que quelques zébrures, un genou gonflé mais je repars, repoussant douleur et blessure et l'arête sommitale s'offre à moi, je vois la croix, je n'irai pas plus haut, je suis à cheval sur deux vallées. Un lac solitaire, le plus haut, scintille, mais pour la baignade j'ai choisi celui que j'admire depuis le début de mon ascension

Croix en vue, 2671 m


Pic de l'Homme Mort (2668) et son lac (2563)


Arrivée à la croix, je vais m'offrir la détente. Et un peu  d'énergie, mais dans ces séquences passion, je n'ai jamais faim, je me nourris de mes émotions.



Les Pics Péric

Je vais suivre l'arête jusqu'à son terminus, soit (depuis le départ) près de 1 km de cailloux, balayés par un vent du sud de plus en plus déstabilisant. Effet de foehn semble t'il, descendu des Péric. Je pourrais encore gravir un sommet, j'en ai l'énergie, mais le retour sera long et des gros nuages d'orage envahissent le ciel. 


La suite de l'arête et le Pic de la Portella Gran
2766 m

A 9, 5 km de mon camion dont une partie hors sentier, il faut savoir se donner les chances de dire "je suis bien arrivée" en arrivant en vue du véhicule. Alors je trace ma voie, tout droit vers l'étang où je vais plonger avec délice. 

Façon Egypte
C'est un sommet
Façon salins
C'est du quartz















Le parcours n'est pas facile: des rocs amoncelés, des barres rocheuses, un torrent, véritable gorge, je louvoie au mieux de l'intérêt de ce qui reste de mes jambes. Et de ma main frein moteur efficace. L'arête du pic de Camporells déroule son austère face nord, aussi rébarbative que noire. Comment a t'elle pu me donner envie un jour ?


face nord : comment cette vue un jour put elle me donner envie ? 


Pourtant c'est une juxtaposition d'arêtes

Bien découpées et bien séparées par des couloirs
 (autant d'échappatoires)




La descente, en images:


Les lacs :2358 m, 2258 m et 2258 m (Estany Gros) puis Estany del mitg (à droite, au refuge)



Descente raide 



Un peu de désescalade : on aime !


J'arrive au lac qui frémit un peu sous le ciel d'orage et je me jette à l'eau, nage dorsale qui offre à mon regard les murs de roche où je m'ébattais il y a peu. Quelle joie...Il pourrait pleuvoir, tonner, je n'ai aucun vêtement de pluie mais revenir sous la douche, trempée, sur 8 km me semblerait un autre cadeau de la montagne. 

Baignade...sans image! l'APN ne nage pas


 L'orage va s'éloigner et bientôt je vais rallier la civilisation, deux troupeaux conséquents.


Estany Gros 2258 m
Echantillon de troupeaux


 Je les dépasse, les laisse loin derrière en prenant des raccourcis, je regrimpe péniblement les 150 m sous le vent violent et l'altiplano de la Serre de Mauri,  sous un ciel magnifique,  scelle presque la fin d'un beau périple, mon "Retour à la Montagne"  dont les 106 km de route seront le point d'orgue : descente effrénée, mon camion aussi manifeste sa  joie.


En remontant sur l'altiplano (150 m D+)

D'où je viens : mon trajet en arête




Sur la Serre de Mauri :2400m

Cette fois, je ne prendrai pas la piste forestière mais la piste rouge , descente abrupte direct sur mon camion.

C'est rouge !


En chiffres :

Dénivelé positif cumulé : 1090 m

Distance : 18.2 km

Longueur de l'arête : 0.8 km

temps de marche : 6 h 08 

Et la route : 210 km AR


le trajet, en bleu la variante de l'aller




14 commentaires:

  1. Cette "aventure" nous donne bien envie. Bravo à toi. Au plaisir de te revoir. Francis Marie.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ravie de voir ce petit mot; je vous encourage à y aller, sachez quand même qu'il y a une "voie normale". Caillouteuse aussi . ma voie "pas normale" est plaisante et n'est pas obligée de suivre l'arête au plus près ce que j'avais fait en octobre 2018, car elle est un peu impressionnante, pas sur l'arête mais ces grimpes répétées. J'espère qu'on aura le plaisir de se revoir. On ne s'oublie pas !

      Supprimer
  2. Une magnifique ode à la montagne ! véritable "chemin de Compostelle des cimes" où, j'imagine, tu as eu le temps de contempler, méditer (un peu durant tes courtes pauses), et surtout admirer à la fois ces immensités et ces beautés naturelles ! J'imagine aussi très bien la fatigue ressentie à la fin du pér
    iple ! En attendant, merci pour cette jolie balade et ces photos superbes ! P.D.S.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est souvent ce que je dis "Mon Compostelle à moi", et c'est ce que je ne ressens pas dans mes chemins de basse altitude. Sûrement parce que là haut je suis dans une autre dimension. J'ai fait de nombreuses pauses, mais de brève durée ce qui au total fait un long temps d'arrêt. La montagne c'est savoir s'arrêter et contempler. Oui la fatigue a été dense, les vendanges l'ont chassée! merci à toi pour t'être penché sur mes ascensions. AM

      Supprimer
  3. Comment a t'elle pu te donner envie un jour ? Pour que nous ayons le plaisir de te suivre et profiter d'un récit de haut vol. Quelle belle réussite.

    RépondreSupprimer
  4. Et vraiment étonnantes les photos des ruisseaux sans eau, comme pavé.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. classique côté Lanoux / Carlit. Je pense que tout le sol de ces vallées est ainsi fait, juste habillé de terre et de végétaux que l'eau emporte et met à nu; on pourrait voir des vallées pavées

      Supprimer
  5. j'aime beaucoup le site des lacs. Les sommets, je les regarde de la terrasse du refuge avec une bière sous le nez. Bravo pour cette escalade, ce magnifique texte et ces photos bien réussies qui montrent bien les difficultés. Merci Amedine. Guy V.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. désolé pour la répétition. C'est deux fois bien, très bien, quoi

      Supprimer
    2. Franchement, la terrasse du refuge et sa bière est ce qui m'a manqué au retour, j'avais emmené les sous pour...mais j'avais tellement de chemin et de route pour ce retour que j'ai préféré zapper, je n'aurais jamais eu le courage de repartir. Mais oui, rien que ça, la terrasse et le bière, ça se mérite, c'est chaud pour arriver et en repartir. Le reste c'est une histoire de folle...c'est la mienne. Je n'ai plus qu'à l'offrir à qui veut bien s'y pencher...euh...mal choisi le terme. Bises

      Supprimer
  6. Tu m’as donné des frissons en te lisant, nous n’avons jamais fait le pic des Camporeils par l’arête, nous l’attaquons souvent en redescendant du pic de l’homme Mort, c’est tranquillou ainsi. Bravo pour ta performance et pour ton récit toujours bien écrit. Tu mets en valeur la montagne, on a l’impression de randonner avec toi c’est très plaisant. Que la montagne est belle et attirante même pour les dinosaures….bises, Josy et Claude.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Par l'arête je ne crois pas que beaucoup le fassent, cela ne représente aucun attrait pour quelqu'un de normal; c'est assez vertigineux mais vous pourriez le faire avec moi, en passant au dessous de l'arête et un peu au dessus. Bises

      Supprimer
    2. Pourquoi pas, tu sais que c'est un de nos endroits préférés. Roxanne adorerait....

      Supprimer
    3. On se programme ça dès que je finis ces vendanges et ma "garde"

      Supprimer

Votre commentaire: