Cet article n'est pas du voyeurisme, c'est juste un hommage rendu à ces victimes dont nous avons essayé de retrouver la trajectoire finale dans un paysage si paisible... Je me suis appuyée sur ma connaissance du terrain et sur des souvenirs de lecture. Ensuite un internaute m'a envoyé un document clé que j'avais lu, mais pas retrouvé. Merci à lui.
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3 juin 1967, il y a 57 ans, (j'ai 17 ans), il est à peine un peu plus de 21 h ( 22 h en Temps Universel) en cette claire soirée presque estivale lorsque les habitants de Py entendent un grand bruit et voient une boule de feu dévaler de la montagne. C'est un avion qui vient de s'écraser après avoir heurté un gros rocher avec son aile, en dispersant de nombreux morceaux depuis les hauteurs jusqu'à la rivière du Bareu.
Ils ne savent pas qu'il s'agit d'un Douglas - C54 Skymaster, immatriculé G-APYC, avec 88 personnes à bord. Celui-ci précisément :
A cette époque, les forêts ne recouvraient pas encore la montagne, les parcelles cultivées en terrasses étaient nombreuses et non enfouies sous le couvert végétal comme aujourd'hui.
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Années 60 |
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Aujourd'hui |
Les habitants vont se précipiter et assister à des images d'apocalypse qui hantent encore leur mémoire, il n'y a aucun survivant sur les 88 personnes (83 passagers et 5 membres d'équipage), les corps sont déchiquetés, on ne fera pas davantage d'évocation en ces lignes.
Le jour où en randonnant je me suis trouvée nez à nez avec un conséquent débris, un élément des 4 moteurs, j'ai été saisie, d'autant que depuis un moment, je sentais un sournois mal être en moi, je percevais le lieu comme pesant et oppressant. Alors je me souvins de l'histoire et je poursuivis mon chemin en faisant un réel effort. Je n'étais pas sur un chemin de randonnée, tant s'en fallait, juste sur un ancien sentier désaffecté. Je ne pensais jamais revenir ici.
Et pourtant. Mes amis Josy et Claude sont intéressés par cette histoire. Claude a baigné dans le milieu de l'aviation, je vais donc leur offrir la balade de l'avion perdu.
Il fait encore beau en ce matin de fin novembre, la montagne, grandement dépouillée de son feuillage, reste encore parée de flammes : hêtres, bouleaux, chênes et érables, taches de feu dans le gris ambiant des arbres nus. Au travers desquels il est aisé de lire le décor. Cela nous sera utile.
Nous quittons Py, un peu de gelée blanche luit sur le sol mouillé de la rive de la Rotja.
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1ere partie du trajet : en rouge |
Nous abandonnons le sentier balisé qui conduit à la Collada de Botifarra (beau parcours) et empruntons le val du Bareu, sombre, froid, bordé de terrasses, engoncé entre deux pentes resserrées , le lieu dit "Cireros" (cerisiers). C'est vert et gris, mousses et rocs. Rapidement on va rencontrer 4 débris dont une partie de 2 moteurs.
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Au bord du sentier de Ciréros |
L'avion a heurté la montagne quelques 200 m de dénivelé plus haut.
Claude, en connaisseur, examine avec attention les moteurs, et m'explique, car la mécanique, fut elle de moteurs d'avion, ça m'intéresse. Et oui...
Mon angoisse n'existe plus, on est trois à présent. Mais la violence de la catastrophe, évoquée par tous ces débris présents et à venir, ne me lâche pas, ni l'angoisse des ces 88 personnes, si elles ont eu le temps de...
Nous quittons la vallée, je sais qu'il y a encore quelques débris le long du Bareu, mais je veux amener mes amis sur le lieu du crash, en remontant les quelques rares vestiges que j'ai pu entrevoir.
C'est ainsi que nous remontons le Bareu jusqu'à ses gorges que je connais aussi, brèves et quasi infranchissables; un canal y nait, un autre y meurt, au gré des déclivités. Le Bareu naît à 2000 m et se jette dans la Rotja en aval de Py. D'anciennes cultures bordent ses rives jusqu'à grande altitude.
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Photo Claude Calvet |
Nous le quittons, il faut connaître le secteur pour trouver le mince fil qu'est le sentier qui monte sur Soteilles, un site sur une crête arrondie entre Val de Rotja et Val de Bareu.
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Le sentier ralliant Soteilles (Ph C Calvet) |
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Claude |
D'anciennes terrasses habillant la crête et plongeant dans les vallées sont impressionnantes. Je sais que quelques débris de l'avion y gisent mais je ne parviens pas à les trouver malgré mon acharnement.
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Verso (Ph C C) |
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Recto |
Alors nous continuons vers le Serrat de las Lenyas, lieu du crash. La montée sera agréable, en forêt évidemment et sur un sentier plus ou moins emprunté; un ancien balisage jaune, quelques points bleus ou multicolores de chasseurs et on monte entre les deux vallées, en crête. Les arbres dénudés permettent quelques jolis points de vue; on croise quelques cortals et un site d'ancienne forge à bras, reconnaissable à ses scories.
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2nde partie du trajet |
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Cortal à l'écart du sentier |
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Vallée de la Rotja |
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au zoom |
Le temps est doux, ensoleillé, la balade est un régal. Un vent léger vient à notre rencontre dans une pluie de feuilles blondes et on débouche sur la lande longue et en pente du Serrat de las Lenyas (colline des bois).
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1479 m Serrat de las Llenyas, Py dans la vallée. Vues vers l'aval |
Là tout change, un vent d'une rare violence nous assaille, venu du sud, très éprouvant. On n'ira pas plus haut, après la visite de quelques ruines face au sud, Roxane a mal à une patte, le demi tour s'impose. Le trajet de retour en plein vent serait trop éreintant.
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Grand cortal face au sud et à la vallée |
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Des "parents " inquiets ? Et un chien cabotin |
C'est ici que l'histoire de l'avion nous rejoint :
Ce 3 juin 1967, un avion anglais décolle de Manston, proche de Douvres, sud d'Angleterre à 17h 36, et le vol charter doit atterrir à Perpignan, avec survol de Chateaudun, Nevers, Clermont Ferrand, possibilité de détournement sur Carcassonne ou Marseille, et atterrissage normal prévu à Perpignan. Tout se déroule bien, la météo est bonne.
Le vol commence à infléchir sa trajectoire au niveau de Mende (Lozère) et quitte insidieusement le plan de vol, toujours en direction sud ouest; c'est ainsi qu'il se trouve au niveau de Prades (au lieu de Perpignan), où certains habitants sont surpris.
Tout ceci figure dans le plan détaillé en annexe en fin de récit, (Journal officiel de décembre 1968), dans le rapport d'accident.
Il a bien sûr amorcé sa descente, il est alors à 3 minutes du lieu d'impact, la vitesse étant à plus de 200 Km/h. Il passe ensuite sur Sahorre en basse altitude ce qui effraie quelques témoins, qui appellent la gendarmerie de Prades, il allume ses projecteurs au niveau de Py et l'erreur ne fait plus de doute.
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L'avion a survolé Py et viré |
Alors le pilote va tenter l'impossible, en virant à gauche; il remonte ainsi la vallée de la Rotja,
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La vallée de la Rotja, à gauche |
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Vallée de la Rotja ph C Calvet |
vire encore à gauche en ayant remis les gaz pour prendre de l'altitude et revenir en sens inverse mais cela ne suffit pas, il heurte à 290 km/h la montagne au Serrat de las Lenyas, sur le rocher de la Dent de Lion, 1160 m, (les coordonnées exactes sont données par le JO en annexe), et l'impensable se produit.
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Ici, il avait déjà heurté et commençait sa descente vers le lieu du crash final Serrat de las Llenyas vers l'amont |
L'aile se brise et se détache, l'avion poursuit sa course folle descendante de quelques secondes, à 300 km /h, survole Soteilles où s'éparpillent des débris, plonge dans une pente à 45 ° où il va semer train d'atterrissage, porte de fuselage, éjectant ainsi des objets de service aux passagers, bouilloire, jus de fruits, bières, et autres objets et s'écrase sur la rive droite du Bareu, après 220 m de dénivelé négatif et 450 m linéaires.
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Schéma : image Journal Officiel |
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Profil : image Journal Officiel |
Les habitants de Py sont en sidération, ces quelques secondes leur ont permis de comprendre qu'un accident aurait lieu, ils entendent un choc énorme, une boule de feu monte de la vallée du Bareu, surmontée d'un nuage noir et ils courent vers le lieu d'impact: pour ce faire il faut descendre vers La Fargue, remonter le chemin de Botifarra et bifurquer sur le ravin du Bareu par Cireros; ils ne peuvent approcher du brasier, la suite sera des images d'horreur dont la mémoire collective est encore emplie.
Le Journal Officiel de l'enquête relate quelques témoignages.
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Le Bareu |
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La rive où s'est écrasé l'avion |
Déchiquetés, quelques restes humains ont été projetés à 175 m de l'impact. Les passagers étaient tous attachés. Les restes du pilote ont pu être étudiés et la conclusion est une intoxication au monoxyde de carbone dans le poste de pilotage, ayant provoqué une altération qui a conduit à l'erreur humaine, erreur de navigation, d'ailleurs le poste de pilotage a cessé d'émettre sur Perpignan quelques instants avant l'impact. L'enregistreur de vol a été retrouvé et a permis le décryptage de l'accident de façon précise.
Le monoxyde de carbone était en quantité importante dans le corps du pilote; aujourd'hui, cette hypothèse de la cause de l'accident fait encore polémique.
Revenons à nous, en ce jour de 24 novembre 2024.
Nous virons de bord également et reprenons le chemin du retour par où nous sommes arrivés, pour être à l'abri du vent parce que nous n'avons pas d'autre chemin hormis la remontée du Serrat de las Llenyes.
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3 eme partie du trajet, retour. Dans les cercles, zones de débris |
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Végétation actuelle des terrasses |
Je me souviens avoir vu un petit débris à Soteilles sur le sentier : il n'y est plus, peut être quelqu'un l'a emporté ? Je m'écarte du sentier et quelques débris déchiquetés gisent au sol. Nous les observons sans les déplacer, ils ont droit à leur sépulture.
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Débris divers à Sotelles |
Sur la crête proche de Soteilles, nous décidons d'aller à la recherche de ce débris que j'avais vu, en 2023.. Ai-je rêvé ? Ma mémoire défaille t'elle ?
Soteilles bascule en face nord de manière assez douce d'abord, avec de larges terrasses et deux bâtiments ruinés, puis fonce dans la grande pente à 45° en terrasses plus serrées mais le relief est si escarpé que pour voir les suivantes, il faut à chaque fois descendre. On rencontre des ruines de bâti assez spectaculaires.
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1er cortal |
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2 eme cortal |
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Le 2eme cortal |
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Une idée de la pente qui plonge vers le Bareu, en terrasses jadis cultivées |
Et enfin je les vois, les débris : un éparpillement de grosses pièces que nous allons voir, à la fois par curiosité et à la fois comme un pèlerinage aux victimes, avec beaucoup d'émotion et de respect. Le ressenti des 88 personnes me hante, mais ont ils eu le temps de réaliser ?
C'est angoissant, émouvant, j'ai le besoin de toucher ces pièces avec délicatesse, je reconnais que seule, je n'aurais jamais pu. Les explications techniques de Claude dédramatisent un peu la chose et mes infimes notions mécaniques ouvrant sur la curiosité me font considérer tel tuyau, tel boulonnage de façon à évincer le côté émotionnel.
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Parties très rivetées |
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Moteurs |
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Tuyaiterie d'hydraulique semble t'il |
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Tubulures, rivetage , et même un interrupteur |
Ensuite nous amorçons le retour hors des lieux de l'accident, nous en parlons encore un moment et peu à peu la magie des paysages, des couleurs, des ruines se remet à habiller notre sortie.
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4 eme partie du trajet, le retour |
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Automne sur le sentier |
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Cortal de l' Endorneu |
Le secteur aujourd'hui a repris sa vie, la végétation ses droits, les cultures ne sont qu'un souvenir, et les multiples accidents d'avions des années 60 en secteur Canigou ne sont qu'archives, les progrès sont passés par là.
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Josy et Roxane |
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Cortal de l'Endorneu et Agulles en face |
Pour nous, une journée qui fut émouvante et belle tout à la fois.
Un pèlerinage, disais-je...
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Py, nous voilà de retour ! |
Le trajet enregistré par Claude Calvet. 9.1 km
Quel beau reportage ! Un lieu particulier qui ne laisse pas indifférent ! La beauté du site me persuade qu’il a été opportun d’y laisser les débris de l’avion. Ton récit reflète notre ressenti, merci pour cette journée émouvante et belle à la fois. Josy et Claude.
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