mercredi 29 janvier 2025

Hérault, le Roc de Tras Castel

 Saint Jean de Buèges, à 18 km du Vigan est une petite commune de l'Hérault, bordée par la Buèges, affluent de l'Hérault. Cette rivière jaillit brusquement de terre quelques km en amont, à la faveur d'une exsurgence des eaux souterraines venues du Larzac. Saint Jean est entouré de crêtes calcaires d'altitude modeste mais impressionnantes et donnant envie d'aller s'y balader. Des sentiers ou d'anciens chemins muletiers sillonnent les redoutables pentes. Ce décor est couvert de végétation méditerranéenne où domine le chêne vert et abrite des grottes, avens et même galeries de mines . Le secteur recèle plomb, argent, zinc et même charbon. Pour l'heure je ne sais ce qui y  fut exploité.

St Jean dans son décor

Ce sont les hasards de la route qui m'ont ramenée dans ce lieu que j'ai déjà traversé et j'ai décidé de me poser à St Jean, attirée par un magnifique éperon rocheux qui se dresse comme une dent au-dessus du village. En ce samedi pluvieux, j'arpente les rues, avec ses magnifiques portes et escaliers,  les fontaines, les platanes classés Monuments Historiques, de même que le château du 12 ième S, en partie relevé de ses ruines par une association active. J'ai droit à la visite commentée, c'est superbe !

La château de Baulx


Quelques une des portes du village

Au dessus du château se trouve l'imposant Roc de Tras Castel (=derrière le château).

Le château et, en fond, Tras Castel

Le village est parcouru par une petite rivière, le Garrel, et abritait autrefois des élevages de vers à soie, des filatures et une population dense, près de 800 habitants (19 ième S), contre 200 aujourd'hui.

Bref un village chargé d'Histoire et des environs pleins de mystères aériens et souterrains, comme tous les lieux de causses.

Dimanche matin, le soleil est revenu et je démarre dans un matin frais, direction le château, puis la haute falaise de l'éperon rocheux, que je vais longer versant sud. Il n'y a aucun balisage.

C'est un versant aride, flanqué de somptueux éboulis, d'un sentier vaguement cairné, d'une végétation rase et épineuse, avec un panorama sur la vallée, ses versants escarpés, les sous bois épais, dans un calme envoûtant. On est loin du sentier de rando que j'imaginais. Les éboulis calcaires sont faits de rocs tourmentés, percés, qui aiment bien se dérober sous les pieds. Quelques cairns ornent cet univers rocheux.



D'immenses couloirs d'éboulis dévalent jusqu'à la piste, de vrais toboggans empruntés par les animaux pour aller s'abreuver à la Buèges




Le même vu d'en bas

Un couloir vu d'en haut

Sans encombre j'atteins le moment où il faut piquer droit dans la pente pour accéder au plateau sommital. J'émerge d'un encombrant petit massif d'arbres et me voilà sur un joli sentier logé dans le pierrier.


Je monte vers le bleu du ciel



Obstacles imposants



Chemin "pavé "

Les cairns sont imposants et les suivre est un jeu d'enfant jusqu'à l'aplomb sur un vide vertical et vertigineux : l'arête. Elle est grise, boursouflée, tourmentée, jonchée d'arbres, les cairns s'en éloignent, je m'éloigne des cairns, je marche sur le fil. Funambule sur un vide majestueux. 

Le départ de l'arête


Dans mon dos

Devant moi, le fil de l'arête




Du vide de part et d'autre, surtout à droite



Parfois un peu plus sportif (ici désescalade)


Faut pas trébucher!


Et la vue inverse


Point de vertige, le pas sûr et prudent, sur ce dos de saurien, pendant 500 m, avec quelques retrouvailles obligées avec le sentier, ils se chevauchent. Je marche, je sais que personne ne vient ici hormis les grimpeurs. Pas d'attrait touristique, le vide pour le vide n'a guère d'intérêt. Perso, j'adore. J'ai fui les arêtes prétendant que ce n'est plus pour moi et je me sens chez moi !

Ce calcaire est abrasif sous mes doigts, bien plus qu'à Villefranche où j'ai posé mes doigts, et soudain...



Soudain l'arête s'arrête net, une drôle de plate forme arasée et jonchée de petits cailloux accueille ma désescalade mais déjà j'ai compris. Quelque chose a vécu ici. 


La plate forme 


Incurvée vers le sud, moins abrupt

Mes yeux écument le sol et je trouve immédiatement des tessons, tessons de tuiles d'une facture inconnue, mais on est dans l'Hérault, et des tessons de poteries, récipients certainement. 


Je suis arrivée au bout du secteur "carrossable", mais avant de voir le terminus, je pose sac et bâton et je cherche comme un chien de chasse. Aussitôt je dresse une hypothèse : soit un château précédent celui d'en bas donc antérieur au 12 eme S d'où des tessons de cette drôle de facture, soit une tour de guet car la plate forme domine les deux vallées. C'est stratégique à souhait. J'étudie le lieu jusqu'au vertige  : aucun mur, aucune citerne (indispensable, mais ayant pu être comblée par les débris des ruines), cependant diverses petites plate formes s'étagent faces nord et sud, difficilement accessibles . Une chaîne mise en place par les grimpeurs me rendra bien service. 


Le village est en bas, 200 m en contrebas, le château aussi, tout semble miniature mais parfaitement agencé dans l'histoire que je recrée. Je passe un long moment à décrypter le site, à fouiller du regard la moindre plate forme, je me décide à gagner la proue, protégée du regard par des arbres. Une échancrure  dans la falaise paraît peu naturelle. Je suis transportée comme si j'eusse trouvé la 8 eme merveille du Monde. Suis je sotte....

En images

Au bout de l'étrave, la falaise qui descend verticalement,
le château et le village



Zoom sur le château de Baulx


Zoom sur le village



Versant sud plus "doux"


La brèche : naturelle ou pas ? 

La chaîne sur le vide : et je descends !

Je me tiens d'une main, aucun danger si on n'a pas le vertige
et qu'on se tient tranquille

Remontée à la chaîne


Il me faudra longtemps pour me détacher de ce lieu et reprendre le chemin à l'envers. Ma petite récolte de vestiges est destinée au château et à ses historiens !

Le retour se fait au maximum par le sentier bien tracé : fut il celui des grimpeurs ou des habitants du site ? je ne le saurai jamais.


Arête
ou sentier


Mon regard porte au loin : Pic St Loup, cultures dans la vallée, lapiaz au ras du sol, béance des infiltrations, une histoire souterraine qui commence ici



Pic St Loup, beaux souvenirs







Lapiaz

Le restant du retour va prendre une autre tournure : il y a le chemin par lequel je suis venue, bien repéré et puis l'autre, autres cairns, autre tracé, des sentes de grimpeurs que je finirai par perdre, mais peu m'importe, un tout droit magnifique dans une pente croulante et épineuse me conduira tout à fait en bas, là où chante la Buèges, là où se déroule une piste, là où commence le Siècle. Celui dans lequel je vis et que j'ai un instant oublié.

Le retour ? C'est droit devant !


PS : j'ai retrouvé mon guide du château, je lui ai remis mes trophées, il n'a jamais entendu parler de ce site haut perché, ma découverte l'a intéressé. Il va se renseigner. 

Et moi je reviendrai car d'autres aventures m'attendent là bas. Quelques repérages dans la muraille m'appellent, un sentier très ancien, peut être celui de la plate forme pourrait avoir ma visite, non porté sur les cartes, mais porté sur un fabuleux site tchèque que je consulte souvent, et puis...la Sérane, avec sa crête, ses pics, ses grottes, ses passages en falaises. Bref, j'ai trouvé un trésor !


Ici ? doit dans le mur


Et là? chemin muletier montant au Causse, pentes de la Sérane


Le circuit : 




En chiffres pour la rando du jour :

Point bas : 150 m
Point haut:  371 m
Distance : 5 km
Temps de marche : 2 h 07

Et la route, 400 km A/R




vendredi 17 janvier 2025

Villefranche de Conflent : grand bleu sur Pla d'Auçà

 Les randos se suivent et ne se ressemblent pas. L'opacité grise a cédé le pas au grand bleu étincelant, je modifie mes plans de rando; il faut que j'aille enfin rôder autour de ce Roc Campagna, 1134 m, aussi imprenable qu'une forteresse. 

Bien que situé dans le proche environnement de Villefranche de Conflent, il se trouve sur la commune de Fuilla (66).

Roc Campagna et Canigó


Roc Campagna vu de face

Vu depuis la route de Fuilla

On le voit de partout, il domine la vallée de ses gradins de pierre, il nargue les fortifications de Vauban, il domine la Têt aventureuse et sa voisine endiablée La Rotja, il scrute les villages s'étalant dans de fausses plaines vertes, il cause avec le haut Canigó peu enneigé, son face à face, et même ose lancer de furtifs clins d'oeil à la Méditerranée dans les lointains bleutés. Bref, un nid d'aigle abritant des vautours mais rarement un humain.

Dominant Villefranche

Autrement dit, tout pour m'attirer.

Cette fois je reste modeste et me dis simplement "je vais aller voir par où on accède au Campagna" au lieu de "je vais au Campagna".

Je démarre dans un matin froid et, pour me réchauffer, je monte tranquillement au Fort Libéria par la piste, cela me permet de revoir ces lieux qui me furent si chers. Des terrasses, une grotte, des orris en pierres. Voire décorés de marbres...

Joliment restauré



Quelques marbres

Fort Libéria dort encore sous le soleil, je ne fais que passer, à partir de maintenant ce sera ce beau chemin construit au 19 eme, qui a chamboulé le paysage originel et les chemins datant du temps des villages de Saint Estève de Campelles et de Saint André de Belloc,  les deux ruinés, hormis leurs églises réhabilitées. Le tour de Belloc est la rando classique et prisée des amoureux de beaux paysages et de chemins panoramiques. Je n'irai à aucun des deux sites, ce sera Pla d' Auçà.

Fort Libéria

Me voilà donc sur le "sentier Vauban", et ses 13 virages en épingle dont chacun est nanti d'une plate forme style voie romaine, certainement d'anciens postes de guetteurs. Un usage militaire c'est sûr.

Plate forme d'angle (image archives novembre 2021)


On le dit Vauban mais je le dirais plutôt Napoléon III qui fit agrandir le fort et sans doute construire, en plus des systèmes de défense bien spécifiques sur la rive opposée. En effet le cadastre de la 1ere partie du 19 Eme S ne porte aucun de ces chemins.

Ce chemin long de quelques km, offre une morphologie intéressante, outre ses plates formes savamment érigées. Un système efficace d'écoulement des eaux (le même que sur les sentiers paysans), en oblique, évacuant ainsi les eaux de pluie dans les pentes abruptes et les éboulis, des murs de soutien solides et construits en pierre calcaire taillée (venant peut être de la proche carrière), une pente régulière et efficace. Je ne l'ai jamais suivi jusqu'à son terminus, le Pla d' Auça peut être.

Pour canaliser l'eau (archives janvier 2022)


Cèdre du Liban

Fort Libéria (17 eme et 19 eme S)







Chemin militaire

 Des sentiers militaires adjacents se perdent dans les pentes infâmes, le "verrou" géographique de Villefranche, étroit goulet dans la vallée a une bien longue histoire inscrite dans la pierre et dans le paysage escarpé. J'en connais quelques tronçons. 

Dans ce décor escarpé se trouve un chemin militaire que j'ai parcouru ; c'est grandiose

Sur le chemin, absolument désert, je revois les lieux qui me furent si chers, chemins paysans, chemin de l'eau du Fort Libéria, chemin de débardage des anciennes forêts Royales et Impériales, l'ensemble aujourd'hui disparu que j'ai fait revivre au prix de beaucoup d'énergie et de passion. Au prix d'une ingrate blessure aussi. 

Cette montagne est une série de pages d'écriture, en ma mémoire. Sur lesquelles je ne pourrais emmener aucun randonneur car il faut savoir lire et surtout arpenter l'infâme maquis sous lequel gisent des tessons de trésors.



Les chênes d'ici

Les vallées s'animent dans une poussière de lumière blonde et un miroitement de vitres et toitures qui scintillent. Le silence est intense. Je suis sous le charme de ces lieux familiers et pourtant toujours sous mon regard neuf !

Vallée de La Rotja
Villefranche de conflent


Je parviens enfin à l'embranchement du raccourci permettant de rejoindre la piste pour le Pla d' Auça. Je ne me souvenais pas que ce raccourci fut également un chemin de facture militaire mais la structure se perd dans les taillis, je suppose un avant poste d'observation.


Roca roja et la plaine



Un peu moins lisible celui-ci

 Depuis mon passage le raccourci a été bien débroussaillé et est devenu un vrai sentier. Etrange chemin dans des chênes élancés et une marée montante de buplèvres ligneux dont je conseille à mes lecteurs l'article (en lien) efficace et humoristique. Une plante pas belle mais riche de vertus ! Et mise en évidence par un certain Pitton de Tournefort, (non un nom pareil ne s'invente pas), en 1694, qui l'affubla de son nom latin (beupleurus) issu du grec, la racine du mot venant de "boeuf". Tout ça pour dire qu'ils sont envahissants dans ce secteur de Conflent et je les ai maintes fois utilisés comme cordages pour me tracter ou me freiner, ceci n'étant pas mentionné dans leurs vertus !


Et buplèvres ligneux

Forêt de troncs graciles














Ainsi, submergée au vu de ma taille, je parviens à la piste qui n'est autre...qu'un chemin militaire. 






Massif du Canigou et colline d' Ambulla (ancienne moraine ? )


Franchissement d'un ravin













Le Roc Campana, véritable forteresse n'a pas eu besoin des militaires pour le créneler. On lui prête plusieurs sommets, 4, par ailleurs, imprenables. C'est déjà un sacré coup de frein pour moi.

En attendant, là haut,  ce superbe chemin militaire  bifurque : à gauche, un terminus boisé, autre poste de surveillance ? A droite, il se perd vers le Pla d'Auça que je ne ferai qu'effleurer, je reconnais les lieux, je remets mes pas dans ceux de 2020 et je m'arrête avant d'aller trop à l'ouest. 

Arrivée au Pla d' Auça

Puis "il fait faim !". Un repas frugal vite avalé et je pars en visite. Alors là...d'abord je vais à la rencontre du Campagna, totalement invisible; il est vrai qu'il est 120 m en contrebas. Je descends une pente d'herbes rases et piquantes, semée de chênes et je LE VOIS ! Une dent, des dents, pas un dentier quand même, mais des crocs puissants de calcaire gris, encombrés de chênes, et visiblement peu accueillants. Grr...

Peu m'importe, ce qui m'intéresse c'est par où on y accède et, de toute évidence, une pente de terre ocre et boisée fait le lien entre le croc et le plateau.


Le roc Campagna et son accès par la pente de terre ocre

 La vue depuis le sommet de la barre rocheuse qui me sert de perchoir, de belvédère et de vigie, est magnifique. Et oui, plusieurs centaines de mètres me séparent d'en bas, et en bas c'est beau.

Vallées du Cadi et de la Rotja, Canigó et Campagna

Les aiguilles sommitales



Plongée vertigineuse

Plus tard, je reviens sur mes pas et vais voir si à l'ouest il n'y a rien de nouveau. Je retrouve ce beau cortal qui vivait en mes souvenirs mais aussi un chemin qui plonge vers Els Horts, il y a de la balade à l'horizon, fut il en pente raide.


La végétation d'ici, peu agréable


Vestiges de la bergerie

Allez il suffira pour aujourd'hui, le Campagna m'attendra. D'abord je dois en trouver l'accès et cette fois, après quelques errances mais grâce au GPS épaulé par ma lecture du terrain , le voilà l'accès, des arbres clairsemés, une terre ocre, une photo pour étayer mon regard qui n'oubliera pas, et je repars, c'est fini pour aujourd'hui.

Dans la lumière vive de ce jour magique, j'entame les 7.8 km du retour, aucun ennui, c'est sûr, l'avenir dans ce grand bleu s'est inscrit.

Les déclivités d'ici

Campagna et Gallinas

En direction de la mer
Plaine du Roussillon



Massif d' Ambulla (il y a des constructions défensives du 19 eme S)
Au centre, le couloir que nous avions descendu avec un ami


Villefranche et Libéria

Et ce n'est pas les feux de Fort Libéria qui démentiront.



Fort Libéria 























En chiffres 
Distance parcourue : 15.8 km
Dénivelé positif : 800 m

Lien  sur le buplèvre  (en un clic)

Le trajet aller retour