Bien que situé au-dessus du lieu dit Le Faubourg de Villefranche de Conflent, ce territoire est une partie de la vaste commune de Fuilla qui ne s'arrête pas aux eaux de la Têt, mais investit amplement sa rive gauche, la petite ville de Villefranche formant un îlot. Géographie cadastrale assez particulière. Quand je raconte que je randonne à Villefranche, je suis souvent à Fuilla. Une vraie usurpation d'identité !
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Le site des vignes et son point de vue magnifique |
Cette fois je veille à ne pas faire d'erreurs. Rendons à César...on connait la suite.
Je ne raconterai pas toutes
les recherches que j’ai faites dans ce secteur, à la recherche de chemins
disparus, elles sont condensées dans un petit ouvrage personnel.
Ce petit ouvrage, inachevé pour le moment, recense tous les chemins existants et abandonnés autour du secteur du fort, soit sur la commune de Villefranche et en partie sur celle de Fuilla pour certains départs de chemins. Avec plans, photos et extraits du cadastre de 1810.
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Le 11 novembre 2022, j’allais boucler mes recherches dans un secteur
particulièrement saisissant, dès mon arrivée je chutai et éventrai mon genou,
rude accident dont je sortis par mes propres moyens mais qui me valut un séjour
coriace aux urgences. Je ne remis plus ni pieds ni genoux en ce site, le 11 mai
2025, j’y suis, c’est là : mais…
Pour compliquer les choses, j'emprunte un chemin oublié, quasi disparu, porté sur le cadastre napoléonien dressé en 1810, le chemin Villefranche / Fort Libéria qui permettait d'aller travailler les vignes, mais peut être aussi d'aller bûcheronner et débarder le bois ou toute autre activité sur les hauteurs. Se rendre à Belloc ou à Campilles, pourquoi pas ? Le panel est large. Ce chemin, cadastré, conduit sans hésiter aux Forêts Royales de Nohèdes. Ce qui m'a fait penser, depuis le début de mes recherches à un chemin de débardage. Je l'ai retrouvé jusqu'à Campilles et sa morphologie, ainsi que son sol, évoquent sans hésitation un chemin d'évacuation du bois.
Ce chemin a eu son point de départ, ou d'arrivée selon le sens, tout en bas, détruit par la vie moderne, les canaux d'arrosage, les jardins, la voie ferrée, peut être aussi. Il a fallu toute ma persévérance et mon intuition pour le retrouver dans son intégralité Et je l'utilise parfois, par plaisir, en me glissant entre les interdictions et les végétaux! Donc m'y revoilà, maudissant l'oubli de mes cisailles car je suis déterminée à le remettre un peu en état.
Quelques images :
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Cet ancien chemin |
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Enserré dans les murs |
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Les piétons du chemin : les chênes |
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Très encombré |
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Il devient impraticable et ce sera encore pire |
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Il s'élève depuis les maisons du bas |
C'est presque en piteux état que j'aboutis à Fort Libéria et je continue le chemin jusqu'au Sentier Vauban bien policé. Direction les vignes de l'impensable ! Qui étaient travaillées par les habitants de Bel Loc. Comment je le sais ? Par la logique des chemins.
Qu'est ce qui ,me fait dire vignes ? Parce que ces cadastres de Fuilla comme de Villefranche, dressés en 1810 portent la nature des cultures. Et ici, du Ravin dels Horts en passant par Sant Père et bien en deçà, tout était "vignes". D'ailleurs dans ces terres ingrates rien d'autre ne pouvait pousser, hormis quelques oliviers épars. Celles dont je vais parler ne figurent pas sur ce cadastre, elles furent postérieures, mais nul doute n'est permis. Et si pas un cep de vigne ne subsiste c'est pour une raison très simple que la viticultrice que je fus connaît très bien. Imaginons les voyageurs qui remontaient la vallée de la Têt en diligence jusqu'à Olette et allaient au pas entre des coteaux couverts de vignes, de Ria à Sant Père, de Serdinya à Olette. Des chevelures de vignes en terrasses depuis collines ou falaises jusqu'aux abord de la Route royale....
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Fort Libéria |
Arrivée à la côte 784, je quitte Vauban et plonge dans la pente, pinède semi moribonde aux troncs enchevêtrés, mêlés à quelques chênes et autres végétaux peu accueillants; rien n'est accueillant ici. Je retrouve quelques traces du chemin en zigzags serrés que j'avais repérés. Soudain, un paysage verdoyant, comme un mirage, une prairie, une vallée, une petite route, apparaît comme au fond d'un puits. C'est la vallée de Fuilla, en bas, c'est plongeant, je ne suis plus très loin du bord de la falaise.
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Droit dans la pente |
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Envahie de pins |
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L'ancien chemin en lacets |
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Vestiges de ce chemin |
Puis la forêt laisse place à une lande rase caillouteuse en pente brutale et stérile, et enfin elles sont là, plongeant dans le vide : les terrasses.
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Fin de la forêt, début de la lande et ensuite, les vignes. Décor somptueux (vallée de la Rotja) |
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Amphithéâtre de terrasses |
Je retrouve à la fois ma surprise de 2022 et même le lieu précis de mon accident. Bien décidée à m'épargner afin de mieux visiter, je descends les 28 terrasses étroites, longues, épousant le relief comme un bel amphithéâtre. C'est grandiose car cela semble plonger dans le vide. C'est cette sensation de vide qui fait de ces anciennes vignes la perception de "vignes de l'impensable". Mais comment les paysans sont ils venus suspendre des parcelles dans le vide, en gradins sinueux, en un lieu si loin de tout et si malcommode ? Et à la fois, imaginer autant que possible le paysage d'autrefois relève de l'impensable.
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Les murettes ondulantes |
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Etroitesse des terrasses |
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Escaliers |
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Un chemin entre les parcelles |
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Il a de l'eau ce figuier |
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Etages de terrasses |
Le lieu sera si impressionnant, grandiose et escarpé, que je me contenterai de la moitié du secteur, soit 3600 m2 environ. Je reviendrai pour la suite, pour le double. A présent je connais les lieux, je visualise bien et pourrai étendre mes recherches avec les vues aériennes IGN.
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Partie non visitée |
Ces 28 terrasses, encombrées de végétaux (chênes, filaires, térébinthes, buplèvres) et autres, thym, ajoncs, sont de vrais gradins : on passe de l'une à l'autre par des escaliers alignés chacun face à l'autre, point n'est besoin de visiter la terrasse, on descend comme dans un puits, à la manière d'échelles, en une série d'escaliers de 6 à 8 marches, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. Seuls deux plans inclinés coupent cet alignement : comment se faisaient donc les vendanges ici ? Une seule cabane vigneronne, à mi parcours servait d'abri à ces vignerons venus de loin.
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Extrémité des terrasses, vue sur la route de Serdinya et le colline de Badabanys |
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et l'inverse |
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Vue plongeante sur le pont au zoom |
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Toujours somptueuse la vue de Villefranche |
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La même dans son décor |
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Cabane vigneronne |
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Intérieur de la cabane |
Mais d'où venaient ils ? Selon la logique du chemin d'accès, les travailleurs du vertige venaient de Bel Loc, commune de Villefranche, à 2.7 km d'ici : j'ai retrouvé et parcouru l'intégralité du chemin disparu. Pourtant la parcelle de 25 hectares au total dont environ 1 ha de vignes est sur la commune de Fuilla. Je reste persuadée, sans avoir rien trouvé, qu'un chemin plus hardi grimpait dans les falaises, peut être au moyen de marches.
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Le site et le chemin qui menait à Bel Loc (en blanc) |
Il est impressionnant de voir qu'un véritable chemin muletier ait été construit, avec ses murs, ses zigzags, ses passages de ravins, pour quelques arpents de vigne. Cela reste le côté mystérieux que cette montagne ne me livrera pas.
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Petite parenthèse, deux images de ce chemin de Bel Loc que j'ai retrouvé, légèrement nettoyé, et balisé, le 26 octobre 2022. Un travail de titan pour les bâtisseurs. Un splendide chemin à flanc de coteau qui mériterait restauration. Ce serait un superbe chemin de rando, mais c'est une autre histoire
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Aujourd'hui, 11 mai, j'essaie de descendre en dessous des terrasses, en gardant la mémoire vive de ma chute et de mon genou éventré. Je dois avouer que je ne suis pas très rassurée et finalement j'abandonne ma descente en rochers, la vue aérienne montre pourtant un site surprenant : serait ce l'accès direct que je me plais à imaginer depuis le bas ?
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Essayer de descendre là ? Euh...finalement non |
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Ce sera petite pause bien assise c'est plus prudent ! |
Parce que, juste au pied de la muraille rocheuse, se trouvent des séries de terrasses, toujours appartenant à Fuilla, anciennes vignes que j'ai visitées, "les vignes du Faubourg".
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Les vignes d'autrefois, en bas, en haut. |
Ce secteur est un puzzle dont les pièces s'imbriquent, il m'en manque juste une...une voie directe dans la falaise. Utopie sans doute...
Je renonce à d'autres investigations et je reprends la remontée : il fait très chaud, j'avais juste besoin d'apprivoiser mes craintes, d'aborder avec circonspection le site, avant de prévoir une autre visite de manière plus détendue. Mais peut on un jour être rassurée de se trouver dans pareil endroit ? Je mesure, à la faveur de cette épuisante remontée, ce que fut celle de 2022, avec une jambe quasi impotente, me hissant à la force d'un bâton et d'une branche de pin, pour soulager un genou éventré. Je ne suis pas adepte des secours quand on a encore un peu de vaillance. Et dans cette douleur, dans cet effort si pénible, un cadeau m'avait été offert, j'ai à ce moment là retrouvé les vestiges du chemin. Certes, dira t'on, cela me faisait une belle jambe, en cette circonstance !
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Le site aujourd'hui vue aérienne : on devine les amphithéâtres de terrasses (image IGN) |
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La visite du jour : image Mapy.cz |
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Vue d'ensemble (6 mars 2022) : le site des vignes, Villefranche et le Fort Libéria |
C'est bien sur mes deux jambes cette fois que je reviendrai à bon port, fatiguée certes mais enchantée et surtout, bien décidée à revenir.
Quand je vois de pareils trésors s'enfouir dans la ruine, la végétation et l'oubli, cela me peine et me donne envie de laisser une trace, une toute petite trace. C'est ma fibre paysanne qui parle, par le biais de ces modestes lignes . C'est si beau, juste un instant, de redonner une âme à ces vestiges d'un impensable passé.
En chiffres :
Dénivelé positif : 350 m
Distance : 7.97 km
Temps d'investigation et de marche : 3 h 15