mercredi 14 mai 2025

Conflent (66) : Fuilla, les vignes de l'impensable

 Bien que situé au-dessus du  lieu dit Le Faubourg de Villefranche de Conflent, ce territoire est une partie de la vaste commune de Fuilla qui ne s'arrête pas aux eaux de la Têt, mais investit amplement sa rive gauche, la petite ville de Villefranche formant un îlot. Géographie cadastrale assez particulière. Quand je raconte que je randonne à Villefranche, je suis souvent à Fuilla. Une vraie usurpation d'identité !

Le site des vignes et son point de vue magnifique

Cette fois je veille à ne pas faire d'erreurs. Rendons à César...on connait la suite.

Je ne raconterai pas toutes les recherches que j’ai faites dans ce secteur, à la recherche de chemins disparus, elles sont condensées dans un petit ouvrage personnel.


Ce petit ouvrage, inachevé pour le moment, recense tous les chemins existants et abandonnés autour du secteur du fort, soit sur la commune de Villefranche et en partie sur celle de Fuilla pour certains départs de chemins. Avec plans, photos et extraits du cadastre de 1810.

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Le 11 novembre 2022, j’allais boucler mes recherches dans un secteur particulièrement saisissant, dès mon arrivée je chutai et éventrai mon genou, rude accident dont je sortis par mes propres moyens mais qui me valut un séjour coriace aux urgences. Je ne remis plus ni pieds ni genoux en ce site, le 11 mai 2025, j’y suis, c’est là : mais…

Pour compliquer les choses, j'emprunte un chemin oublié, quasi disparu, porté sur le cadastre napoléonien dressé en 1810, le chemin Villefranche / Fort Libéria qui permettait d'aller travailler les vignes, mais peut être aussi d'aller bûcheronner et débarder le bois ou toute autre activité sur les hauteurs. Se rendre à Belloc ou à Campilles, pourquoi pas ? Le panel est large. Ce chemin, cadastré, conduit sans hésiter aux Forêts Royales de Nohèdes. Ce qui m'a fait penser, depuis le début de mes recherches à un chemin de débardage. Je l'ai retrouvé jusqu'à Campilles et sa morphologie, ainsi que son sol, évoquent sans hésitation un chemin d'évacuation du bois.

Ce chemin a eu son point de départ, ou d'arrivée selon le sens, tout en bas, détruit par la vie moderne, les canaux d'arrosage, les jardins, la voie ferrée, peut être aussi. Il a fallu toute ma persévérance et mon intuition pour le retrouver dans son intégralité Et je l'utilise parfois, par plaisir, en me glissant entre les interdictions et les végétaux! Donc m'y revoilà, maudissant l'oubli de mes cisailles car je suis déterminée à le remettre un peu en état.

Quelques images : 

                                                                                   

Cet ancien chemin




Enserré dans les murs



Les piétons du chemin : les chênes

Très encombré





















Il devient impraticable et ce sera 
encore pire

Il s'élève depuis les maisons du bas


C'est presque en piteux état que j'aboutis à Fort Libéria et je continue le chemin jusqu'au Sentier Vauban bien policé. Direction les vignes de l'impensable ! Qui étaient travaillées par les habitants de Bel Loc. Comment je le sais ? Par la logique des chemins.

Qu'est ce qui ,me fait dire vignes ? Parce que ces cadastres de Fuilla comme de Villefranche, dressés en 1810 portent la nature des cultures. Et ici, du Ravin dels Horts en passant par Sant Père et bien en deçà, tout était "vignes". D'ailleurs dans ces terres ingrates rien d'autre ne pouvait pousser, hormis quelques oliviers épars. Celles dont je vais parler ne figurent pas sur ce cadastre, elles furent postérieures, mais nul doute n'est permis. Et si pas un cep de vigne ne subsiste c'est pour une raison très simple que la viticultrice que je fus connaît très bien. Imaginons les voyageurs qui remontaient la vallée de la Têt en diligence jusqu'à Olette et allaient au pas entre des coteaux couverts de vignes, de Ria à Sant Père, de Serdinya à Olette. Des chevelures de vignes en terrasses depuis collines ou falaises jusqu'aux abord de la Route royale....


Fort Libéria

Arrivée à la côte 784, je quitte Vauban et plonge dans la pente, pinède semi moribonde  aux troncs enchevêtrés, mêlés à quelques chênes et autres végétaux peu accueillants; rien n'est accueillant ici. Je retrouve quelques traces du chemin en zigzags serrés que j'avais repérés. Soudain, un paysage verdoyant, comme un mirage, une prairie, une vallée, une petite route, apparaît  comme au fond d'un puits. C'est la vallée de Fuilla, en bas, c'est plongeant, je ne suis plus très loin du bord de la falaise.


Droit dans la pente

Envahie de pins



L'ancien chemin en lacets
Vestiges de ce chemin


 Puis la forêt laisse place à une lande rase caillouteuse en pente brutale et stérile, et enfin elles sont là, plongeant dans le vide : les terrasses. 

Fin de la forêt, début de la lande et ensuite, les vignes. Décor somptueux (vallée de la Rotja)


Amphithéâtre de terrasses


Je retrouve à la fois ma surprise de 2022 et même le lieu précis de mon accident. Bien décidée à m'épargner afin de mieux visiter, je descends les 28 terrasses étroites, longues, épousant le relief comme un bel amphithéâtre. C'est grandiose car cela semble plonger dans le vide. C'est cette sensation de vide qui fait de ces anciennes vignes la perception de "vignes de l'impensable". Mais comment les paysans sont ils venus suspendre des parcelles dans le vide, en gradins sinueux, en un lieu si loin de tout et si malcommode ? Et à la fois, imaginer autant que possible le paysage d'autrefois relève de l'impensable.

Les murettes ondulantes
Etroitesse des terrasses


Escaliers










Un chemin entre les parcelles



Il a de l'eau ce figuier

Etages de terrasses














Le lieu sera si impressionnant, grandiose et escarpé, que je me contenterai de la moitié du secteur, soit 3600 m2 environ. Je reviendrai pour la suite, pour le double. A présent je connais les lieux, je visualise bien et pourrai étendre mes recherches avec les vues aériennes IGN.

Partie non visitée

Ces 28 terrasses, encombrées de végétaux (chênes, filaires, térébinthes, buplèvres) et autres, thym, ajoncs, sont de vrais gradins : on passe de l'une à l'autre par des escaliers alignés chacun face à l'autre, point n'est besoin de visiter la terrasse, on descend comme dans un puits, à la manière d'échelles, en une série d'escaliers de 6 à 8 marches, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. Seuls deux plans inclinés coupent cet alignement : comment se faisaient donc les vendanges ici ? Une seule cabane vigneronne, à mi parcours servait d'abri à ces vignerons venus de loin.


Extrémité des terrasses, vue sur la route de Serdinya et le colline de Badabanys
                             

et l'inverse

Vue plongeante sur le pont au zoom
                                                                                  




Toujours somptueuse la vue de Villefranche
La même dans son décor


Cabane vigneronne


Intérieur de la cabane


Mais d'où venaient ils ? Selon la logique du chemin d'accès, les travailleurs du vertige venaient de Bel Loc, commune de Villefranche, à 2.7 km  d'ici : j'ai retrouvé et parcouru l'intégralité du chemin disparu. Pourtant la parcelle de 25 hectares au total dont environ 1 ha de vignes est sur la commune de Fuilla. Je reste persuadée, sans avoir rien trouvé, qu'un chemin plus hardi grimpait dans les falaises, peut être au moyen de marches.


Le site et le chemin qui menait à Bel Loc (en blanc)


Il est impressionnant de voir qu'un véritable chemin muletier ait été construit, avec ses murs, ses zigzags, ses passages de ravins, pour quelques arpents de vigne. Cela reste le côté mystérieux que cette montagne ne me livrera pas.

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Petite parenthèse, deux images de ce chemin de Bel Loc que j'ai retrouvé, légèrement nettoyé, et balisé, le 26 octobre 2022. Un travail de titan pour les bâtisseurs. Un splendide chemin à flanc de coteau qui mériterait restauration. Ce serait un superbe chemin de rando, mais c'est une autre histoire



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Aujourd'hui, 11 mai, j'essaie de descendre en dessous des terrasses, en gardant la mémoire vive de ma chute et de mon genou éventré. Je dois avouer que je ne suis pas très rassurée et finalement j'abandonne ma descente en rochers, la vue aérienne montre pourtant un site surprenant : serait ce l'accès direct que je me plais à imaginer depuis le bas ? 


Essayer de descendre là ? Euh...finalement non

Ce sera petite pause bien assise
c'est plus prudent !

Parce que, juste au pied de la muraille rocheuse, se trouvent des séries de terrasses, toujours appartenant à Fuilla, anciennes vignes que j'ai visitées, "les vignes du Faubourg".

Les vignes d'autrefois, en bas, en haut.

Ce secteur est un puzzle dont les pièces s'imbriquent, il m'en manque juste une...une voie directe  dans la falaise. Utopie sans doute...

Je renonce à d'autres investigations et je reprends la remontée : il fait très chaud, j'avais juste besoin d'apprivoiser mes craintes, d'aborder avec circonspection le site, avant de prévoir une autre visite de manière plus détendue. Mais peut on un jour être rassurée  de se trouver dans pareil endroit ? Je mesure, à la faveur de cette épuisante remontée, ce que fut celle de 2022, avec une jambe quasi impotente, me hissant à la force d'un bâton et d'une branche de pin, pour soulager un genou éventré. Je ne suis pas adepte des secours quand on a encore un peu de vaillance. Et dans cette douleur, dans cet effort si pénible, un cadeau m'avait été offert, j'ai à ce moment là retrouvé les vestiges du chemin. Certes, dira t'on, cela me faisait une belle jambe, en cette circonstance !


Le site aujourd'hui vue aérienne : on devine les amphithéâtres de terrasses (image IGN)



La visite du jour : image Mapy.cz

Vue d'ensemble (6 mars 2022) : le site des vignes, Villefranche et le Fort Libéria

C'est bien sur mes deux jambes cette fois que je reviendrai à bon port, fatiguée certes mais enchantée et surtout, bien décidée à revenir. 

Quand je vois de pareils trésors s'enfouir dans la ruine, la végétation et l'oubli, cela me peine et me donne envie de laisser une trace, une toute petite trace. C'est ma fibre paysanne qui parle, par le biais de ces modestes lignes . C'est si beau, juste un instant, de redonner une âme à ces vestiges d'un impensable passé.

En chiffres :

Dénivelé positif : 350 m

Distance : 7.97 km

Temps d'investigation et de marche : 3 h 15




10 commentaires:

  1. passionnant comme toujours ; Nicole B

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  2. Oui tu as bien fait de renoncer à descendre plus bas....pour le moment telle que je te connais Michel

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    1. Tu m'accompagnes la prochaine fois ? Je te montrerai le chemin; le vrai je veux dire .

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  3. Cimetière de vieilles pierres ? Je dirais plutôt paradis car elles contemplent la vallée non sans un certain dédain ! Vestiges d'un passé révolu, vignes qui, au prix de pénibles travaux devaient offrir un breuvage rustique mais sain que les autochtones appréciaient à la juste valeur des efforts fournis ! Les photographies aériennes imagent bien la complexité et la parfaite géométrie des terrasses anciennement cultivées ! Respect à nos anciens et merci à toi, Amé, de laisser ta petite trace écrite et documentée et j'imagine aussi aisément ta grande satisfaction d'arpenter ces lieux à présent devenus "un peu austères" !

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    1. Quel joli commentaire; même non signé, discrétion oblige j'imagine, alors que tout être huma

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    2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    3. Quel joli commentaire, non signé mais j'imagine la provenance, alors que tout être humain a droit à exprimer son ressenti. Hormis les femmes peut être, encore...pourquoi ne pas mettre une initiale, un indice, surtout devant un commentaire aussi explicite? Mais la Nature Humaine a des méandres que ma rectitude ignore...j'imagine qu'un S figure dans la Signature. Signé LiSon l'eSpiègle

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    4. Ah ah ah ! Vestiges de "déformation professionnelle !" Mais c'est vrai qu'à présent.... il y a prescription ! P.D.S ! 😉😜

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    5. Je plaisantais, la facture littéraire est à elle une carte d'identité. Lison en camion

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