Les jambes dans le vide, bien assise sur le parapet, au pied de la grotte, me voilà au restaurant d'altitude, 915 m, il est 13 h, le temps est radieux, tiède pour ce 6 décembre. Panorama ouvert sur les trois vallées (Cadi, Rotja et Têt), panorama surveillé par le sacro saint Canigou, que désirer de plus ? Je suis à mi parcours de ma superbe randonnée en un lieu déserté des humains, tout est pour moi ici. Et le plus beau, le plus étonnant reste à venir. Car ce parcours je le connais, je l'ai fait voilà exactement 4 ans.
C'est un chemin d'exception sous le magistral Roc Campagna et ses 3 dents pointues.
Entre Villefranche de Conflent et Serdinya. Pyrénées Orientales.
Un chemin que connaissent les chasseurs, un ou autre grimpeur et des adeptes de randonnée sauvage. Un chemin qui n'existe pas sur les cartes, qui n'est pas balisé, juste cairné, un chemin sur lequel je me suis aventurée voilà 4 ans, mue par ma curiosité et non par une connaissance du site. Ce fut musclé, aventureux; j'avais du jouer sur le repérage, la logique du terrain et même le débroussaillage.
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| La merveille du restaurant ! Et sa terrasse au soleil |
Ce jour, je découvre un chemin plus propre, plus emprunté, moins stressant mais je me suis "perdue" aux deux mêmes endroits. Vite maîtrisés mes égarements car j'ai une mémoire visuelle des lieux.
Cette fois j'ai pris le temps de savourer, rien ne me stressait.
J'ai même pris le temps de comprendre davantage certains passages. Et d'ouvrir la porte à de futures investigations.
Revenons au départ (460 m); la nouveauté s'inscrit d'entrée. Le chemin d'accès (donc le parking) est devenu interdit. J'irai donc à pied. Au bout de ces 800 m de piste, le début de mon sentier semble lui aussi barré par un portail. Oui, j'ai mes entrées secrètes mais devenues interdites; alors je bifurque, je grimpe une série de murettes et retrouve le sentier. Ce sentier suit le cours d'un ancien canal d'arrosage, le Rec Nou, très aérien. Vraiment plaisant. Je traverse le ravin de las Coves et rejoins le sentier dels Horts, ancien hameau bien ruiné. Le sentier monte très fort dans des bois de chênes verts agrémentées de murettes. De toutes parts, des murettes parlent d'anciennes terrasses. Dans un paysage stérile, aride, inhospitalier.
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| Vestiges du Rec Nou (le canal neuf) |
736 m, 2.24 km, je quitte le sentier pour aller rejoindre le ravin. Des murs racontent un ancien chemin, le passage à gué n'a guère bougé malgré la brutalité du ravin ici. Les parois sont percées d'orifices "les coves" (grottes). Le chemin soutenu par un mur est superbe, il court dans une pente ingrate puis se perd dans les taillis (j'irai l'explorer une autre fois). Force est de l'abandonner et c'est une pleine pente bien cairnée, rude et austère qui me conduit 100 m plus haut au chemin que je vais suivre jusqu'à son terminus sur plus de 3 km. Quasi en courbe de niveau.
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| Même chemin |
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| Le chemin de las Coves |
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| Le passage à gué |
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| Las Coves |
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| L'horizon s'élargit; je viens de la vallée |
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| Gros plan sur Els horts |
3 km ce n'est rien. Mais dans pareil relief, pareil site vertigineux, pareilles falaises, ce n'est pas anodin.
C'est le Royaume du chêne vert, des térébinthes, du thym et des lavandes, plus d'autres variétés piquantes, les ajoncs épineux.
J'ai conté ce parcours en détail voilà 4 ans. Je ne vais donc pas me répéter.
Cette fois, libérée de la recherche du trajet, je me consacre aux sensations. Et elles se bousculent. Il fait un temps magnifique, le panorama est splendide, tout en roches, en falaises, en pentes, en vide vertigineux. En couleurs et végétation arbustive.
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| Les dents du Roc Campagna (le plus haut est celui où j'étais il y a 2 semaines) |
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| Vallées du Cadi (gauche ) et Rotja; Massif du Canigó |
500 m en contrebas, la vie déroule son cours : la route, le Train Jaune, le ruban luisant du fleuve. Les vautours tournoient en silence et larges volutes. Pas un bruit ne parvient à moi, comme un film muet en couleurs et relief.
Je ne randonne pas vraiment, je flâne, je me gave. Depuis 4 ans j'avais envie de revenir.
Vu d'en bas le secteur n'est que falaises séparées de minces bandes vertes et obliques, les chênes, et de bandes grises verticales, les éboulis; on ne peut même pas imaginer un chemin dans ce dédale.
Et pourtant il y est.
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| Le décor vu de la vallée de la Rotja : Roc Campagna en haut |
Une bifurcation cairnée part vers les dents du Campagna; elle me tente mais je ne veux pas éparpiller de la fatigue, je me concentre sur mon chemin. Il pique à présent dans la pente descendante, prenant un aspect de sentier, (je le nomme "chemin neuf"), perdant sa cohérence d'ancien chemin muletier. C'est ce dernier que je veux retrouver. Dans ce fouillis il faut du sens de l'orientation et de la cohérence pour réussir. Un jeu de piste. Je sors les cisailles et le ruban, déjà voilà le mur du chemin muletier, j'ai gagné.
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| Vestiges |
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| Vestiges |
Gagné quoi ? La fièvre de la trouvaille. Il est ruiné, cassé, pillé par les arbres et les éboulis, clairsemé, je pique droit dans la pente, je n'ai pas le choix, un chemin animal y est bien tracé et les murets, obliques cette fois, pointent leur nez : logique, le chemin zigzaguait dans un pierrier. Il a été remplacé par le "chemin neuf" plus confortable, mais bien plus vertigineux. Ce pierrier continue sa descente folle, vrai fleuve de pierres qui plonge jusqu'à la route, quasi 500 m en contrebas. J'atterris (côte 887) sur le "chemin neuf".
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| Autre lacet |
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| Vestiges de lacets du chemin muletier |
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| Arrivée au "chemin neuf" |
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| Le parcours du pierrier jusqu'à la route |
Ce "chemin neuf" que je vais reprendre en entier à contre courant car ce parcours "neuf" est aérien, donnant sur le vide, vertigineux. Superbe. Juste un aller retour de 500 m et, de retour au fleuve, je vais entamer le plus beau des parcours sur le chemin muletier retrouvé.
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| Sur le "chemin neuf" : ne pas plonger ! |
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| Villefranche de Conflent |
Celui qui m'appelait depuis 4 ans de son chant des sirènes.
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| Trajet approximatif (en pointillés le "chemin neuf") |
Ah ce tronçon ! près de 1.5 km de voltige aérienne; je longe des falaises, je franchis des ravins, j'escalade des murailles, je monte des marches, je survole des murs, je jette un regard dans des alcôves, je me perds dans des ombres sombres et des sous bois inquiétants, je me perds même tout court, un instant avant que de traverser un arbre aux branches brisées (mais par quel inquiétant accident ??).
En images :
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| Vu de loin, le plus beau passage sur vide et la cavité |
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| Sur le passage ; on lit le trajet qui vient du pierrier |
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| Une cavité où passa l'eau il y a des millions d'années |
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| Le passage sur vide |

C'est le chemin muletier d'antan qui servit peut être à des fins de communication, ou agricoles, mais qui fut repris à des fins militaires.
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| Passage en sous bois |
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| En oblique taillé dans la falaise |
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| Le chemin va escalader |
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| Sur le passage en oblique |
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| et son lot de 13 marches |
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| Je ne sais même plus d'où je viens ! |
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| Faut pas glisser |
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| Habitée par les chèvres |
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| le chemin se devine |
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| Un peu encombré mais très aérien |
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| Vu dans un sens |
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| Ou dans l'autre |
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| Vers la sortie : le repère des chèvres |
La sortie se devine, c'est un long mur qui la supporte, elle est loin encore mais rassurante. Oui on se sent un peu petite et un peu seule dans ce décor où on voudrait conduire tous ses amis, tant on aimerait partager cet instant. Et pourtant je suis là, toute seule, survolée par les rapaces dans un silence sépulcral.
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| Le dernier mur : le chemin passait au-dessus |
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| Le décor que je viens de traverser |
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| Tel qu'on le voit d'en bas (dans la partie ensoleillée) |
J'atteins enfin avec regrets le "Sentier Vauban" une autoroute de randonnée. Je vais faire ma sieste en marchant en mode automatique, avant de piquer sur l'autre chemin muletier ruiné, aussi pentu que beau, aussi sauvage que discret, conduisant, un étage de falaises plus bas, jusqu'à ND de Vie et enfin la route, le plus gros danger du jour.
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| Trajet approximatif descendant sur ND de Vie |
Je boucle ainsi un périple de plus de 10 km qui, s'ils n'ont pas fait vaciller mon équilibre, m'ont singulièrement fatiguée. Serait ce donc l'apanage de l'âge ?
Peu importe, j'y retournerai, et bientôt cette fois, pas dans quatre ans...il sera alors trop tard.
En chiffres :
Distance : 10.2 km
Dénivelé positif cumulé évalué à 750 m environ
Temps de marche : 4 h 13
Articles reliés à ce trajet :
1er trajet, 2021 (clic)
Le Roc Campagna (clic)
Le trajet du jour : (à partir de points GPS)
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