Batère (Corsavy) : nuit au Col de la Descarga (1393 m) qui ne voit plus passer le moindre minerai depuis 1987, univers familier depuis l'époque romaine. Seuls chasseurs et touristes viennent ici.
Pic de Gallinàs, en fond |
Avec Claude, Josy et nos vans, après l'averse nous saluons de quelques bulles rosées la bienvenue à Max, mon nouveau van, et la nuit démarre, calme en ces lieux. Josy et Claude, mes partenaires de quelques randos que je retrouve toujours avec joie.
1 h du matin, un vent tempétueux secoue mon gite et j'ai peur sous ces assauts furieux. Je n'ose par partir; malgré mon goût pour les tempêtes j'ai peur, alors je vais lire pendant deux heures, un de ces rares livres que l'on lirait en marchant, en dormant, même en conduisant tant c'est beau.
Le thème en est l'abandon, thème familier et récurrent dans ma vie.
Matin calme, ensoleillé, glacé, on démarre : je n'ai que des vêtements d'été, j'empile les couches, pensant m'en débarrasser, des chaussettes habillent mes mains.
Batère, d'abord, refuge de montagne, un petit morceau de l'immense logement des mineurs. La visite que nous en ferons est encore plus sinistre que l'abandon du bâtiment.
D'ici nous gagnons le Col de la Cirera (1731 m) : une grande page d'histoire sur notre droite, les anciennes galeries à droite, les carrières à ciel ouvert, les vestiges de forges antiques, une panoplie couleur feu et sang, même le chemin rectiligne raconte l'évacuation du minerai, dans un paysage aux verts multiples et à la somptueuse lumière matinale. La mer s'étale au loin dans notre dos, noircie par les ombres des nuages.
Côté mer : Tour de Batère |
Côté montagne, symphonie de verts |
Au col, il faut choisir, les parcours sont au nombre de trois, même quatre, évidemment le plus dur fera l'unanimité, il est aérien, escarpé, prometteur de sport, fatigue mais beauté. Je le connais bien et j'ai un doute sur mes capacités, comme à chaque fois.
Site de Batère : bâtiments des mineurs |
Ancien site minier : galeries fermées |
Avant le Col de la Cirera |
Et c'est parti, pour du velours vert en forêt, savourons le, c'est l'unique faux plat du jour.
Sans transition c'est la sévère montée d'un pierrier très pentu, que j'ai savouré en glace, en froid, de toutes les manières, je le redoutais, finalement le caillou nous va, et le paysage dans notre dos s'ouvre, les plans se multiplient et s'éloignent, le silence s'étale, le bleu du ciel se strie du couloir aérien, les dentelles de roche ont planté du gris dans tous les verts réunis, France et Espagne se marient avec la mer et le Gallinàs nous regarde approcher avec les yeux gris de tous ses cailloux.
La sévère montée |
Josy et moi photo Claude Calvet |
2015 m, c'est fini de la dorsale, le petit col a toujours sa porte ouverte sur un nord bleuté, dentelé de montagnes et festonné de nuées, il fait froid, on fait une pause énergie à l'abri.
Josy, Claude et Roxane |
Si on monte lentement, c'est pour monter sûrement, on n'est plus de la jeune espèce et surtout on est en visite, alors on observe, on noie nos regards dans les moindres recoins, mes amis découvrent et moi aussi, chaque voyage dans ce secteur est comme le premier.
Après le petit col on bascule face sud, pente vertigineuse, rochers, gispet, tout ce qui peut glisser, blesser, abimer dans les abimes.
Mon lieu préféré : la face sud |
2051 m, voilà le point clé : un cairn naturel ou chaque caillou fait sa demi tonne est la porte vers le pic de Pel de Cà, du Gallinàs ou du demi tour par grand vent. Calme plat, on ne fait que passer, Claude n'a même pas pausé une seconde.
Pic du Pel de Cà 2105 m en fond |
Nouvelle grimpe dans un relief où le vert s'est envolé et le gris sagement posé au sol. Des pierres dressées servent de cairn, l'arête ouvre sur le vide des canals où s'abima un avion postal Casablanca-Toulouse, à 10 mètres de la crête, en mars 1938.
Claude et une des nombreuses "fitas" ou pierres dressées |
Pavage romain |
La crête qui conduit au Gallinàs |
Le Gallinàs tout en haut |
- L’INDÉPENDANT du 26 mars 1938 :
« Six des huit victimes de la catastrophe
aérienne du Pic des Cinq Croix ont été ramenées à Corsavy. Les sauveteurs
durent descendre les corps à la corde à travers couloirs et cheminées d’une
montagne impraticable, dans la neige et sous la bourrasque glacée ».
Nos avis concordent.
Nous montons, lentement, sûrement, j'attends avec impatience la crête pour le "waouhh" inévitable de mes amis qui découvrent ce que je connais bien. Roxane de blanc vêtue, ne s'épargne pas les km supplémentaires en allées et venues.
Le ciel reste serein, le vent glacé, faible, et mes couches de vêtement ne me quittent pas, j'ai froid.
Voici la crête, la vallée du Riuferrer, le site d'El Faig, les sommets de la crête des Tres Vents(2731m), le grand bassin de réception des eaux, les longs et fins névés, le ciel comme strié de rayons de soleil et le parfum des genêts qui gravit 800m pour nous saluer. Sans oublier le "waouhh" attendu !
Roc Nègre (2714 m) et sa crête |
Montée en pavés |
En dalles |
Selfie sur la roche escarpée |
Montrer les lointains |
Défier le vide |
Ou contempler |
La pente se redresse, le pic rond et discret s'avance vers nous...euh, hélas non, il faut l'atteindre et les signes de faiblesse arrivent chez les Dames : la faim ! Je me restaure en marchant, sinon je n'y arriverai jamais. Josy refuse mais crie de temps en temps "j'ai faim !" en essayant de hâter le pas. Claude, imperturbable, photographie, et Roxane multiplie les aller retour. Elle aussi a faim et connaît le contenu des sacs depuis l'inspection matinale et le mot clé : "poulet".
La plaine du Roussillon 2000m en contrebas |
Ciel étrange |
Je savais le final dur, chaque fois il m'éprouve, quand je pense que j'ai marché voilà 5 ans jusqu'au Roc Nègre (1353 m de dénivelé positif et 20,5 km), en serais je encore capable à présent ? L'été dernier j'ai quand même gravi 1700 m de dénivelé, le corps humain révèle des étonnements à soi même.
Du fond de la vallée du Riuferrer, le parfum âcre et entêtant des genêts purgatifs remonte jusqu'à nous, accompagné par le vent glacé. 700m de courant ascendant, c'est spectaculaire.
Genêts purgatifs |
Nous voilà au sommet 2461 m : un gros cairn, une discrète borne, un abri de pierre quasi monoplace, un point de vue imprenable, un vent glacé, un drapeau catalan, un solide casse croûte en priorité sur des roches abritées, face à la mer (mais oui), la brume qui caresse les sommets, mais nous laisse déjeuner en paix, que demander de mieux ? Roxane va d'un poulet à l'autre, ne grappille que des miettes, les os sont interdits. Elle a son repas que nous ne lui disputons pas, mais en bon chien, elle sait que la gamelle des autres est plus captivante.
Au sommet |
Pique nique abrité (ph CC) |
Repus, on visite, on ne fait que ça; on a bien mis le temps de marche imparti pour monter (3 h 15), mais hors visites, on est surtout là pour ça, mes amis découvrent et ne pensaient pas battre leur record actuel de dénivelé. Bravo à eux, ils m'ont suivie sans rechigner.
Le cabanon du sommet |
Derrière nous les derniers contreforts du Canigó |
La brume emprisonne puis relâche les sommets, coiffe le noir Pic du Canigó (2784 m), un vacarme de cavalcade nous surprend, figés, Roxane se précipite et aboie, mais on ne voit strictement rien, on eut dit un envol de parapente. Etait-ce un unique coup de tonnerre ? L'esprit des âmes naufragées des défunts ? Cela me glace un peu...
Pic du Canigó |
Le temps se gâte, il est rare que ce secteur soit épargné par la brume à la mi journée; on entreprend sans tarder la descente, effectivement, la brume vient glaner nos restes au sommet, mais elle fera chou blanc, pas un os ne traîne.
La descente erst sympathique, paysage immense face à nous, douleurs bien installées dans les articulations mais pas bien assurés, on poursuit nos conversations, nos rires, notre humour, nos anecdotes et mieux : nos rêves et projets, apanage de la jeunesse. On va saluer le Cincreus, tant qu'à faire, énorme cairn pour un modeste sommet.
Sire minier et historique de la Pinosa |
Un peu de géographie |
Les 3 Reines du jour |
Versant sud, mon site (et ma photo) préférés : ph Claude Calvet |
Une pause ravito avant la descente immense du pierrier: on est si bien, à l'abri, qu'on a du mal à décrocher et à remettre en marche nos membres endoloris. Pourtant, ce sera vite oublié, la descente est sévère, nous sommes attentifs, et, 200m plus bas, on retrouve le tapis de velours vert du faux plat jusqu'au Col de la Cirera. Roxane décide alors d'aller explorer la forêt, ce sera une pause un peu bruyante ponctuée par nos vains appels; la coquine reviendra muette, sans aucune explication à nous fournir.
La dernière ligne droite s'annonce alors: nous longeons les exploitations minières, avec un passage obligé près d'une très ancienne bergerie ruinée et une source.
La vaste bergerie |
Nous visitons un terril et son panneau explicatif (ils sont très bien faits ces panneaux) et nous parvenons à nos véhicules où une petite collation sera la bienvenue avant 50 km de route, au terme d'une journée de Bonheur aux multiples étiquettes : convivialité, partage, humour, rires, mais aussi grande consommation de paysages; sans oublier un somptueux effort physique !
Les bulles c'était hier : baptême de Max, mon van |
En chiffres :
Dénivelé positif cumulé, environ 1100 m
Distance parcourue : 14, 7 km.
En rouge et jaune, le trajet, aller / retour |
Ça sera encore un énorme WAOUH pour ce récit pétillant, j’ai revécu la rando avec un immense plaisir. Un inoubliable bivouac et paysages à couper le souffle, tu nous gâtes et on en redemande….. Claude va se régaler de te lire. Merci pour ce reportage hors du commun. Josy et Claude.
RépondreSupprimerMerci Josy, c'est très sympa mais c'est à la hauteur de notre moment ensemble, et ce sera aussi beau à Tavertet où la rando commencera par une sévère...descente !!
SupprimerTu as su sublimer notre superbe journée de rando en montagne sur les pentes du mythique massif du Canigou. Tu nous as guidé de mains de maître…plus exactement de mains et de pieds de maîtresse ! Merci encore pour cette rencontre au sommet, amicale joyeuse et très sympathique qui ne demande qu’à être renouvelée. Bravo enfin pour ce récit captivant et particulièrement bien écrit. Bises de Claude.
RépondreSupprimerMerci Claude, c'est à réitérer c'est sûr, de toute façon, tu es le boute en train de toutes nos sorties et c'est un régal. Bises et à la suivante !
SupprimerC ' est délicieux de lire Amedine ! sans le froid et les efforts et avec les photos toutes en progression ...merci encore Lison !
SupprimerMerci cher (e) Anonyme
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