mardi 16 décembre 2025

Conflent : perdu, entre Sant Père et Roc Campagna.

 Le Roc Campagna appartient à la commune de  Fuilla, alors qu'on le situerait logiquement sur Villefranche. Il surplombe la route à 4 voies menant à Serdinya, mais aussi le site de Sant Père peu connu sinon des cartes IGN...et de quelques avertis.

Le ver de soleil, matin glacé

Dans mon dernier article j'ai noté cette phrase : " Le chemin, soutenu par un mur, est superbe, il court dans une pente ingrate, puis se perd dans les taillis (j'irai l'explorer une autre fois)". 

Avec moi ça traîne pas, j'y suis ce matin, juste une semaine après. Il fait moins quatre degrés.


C'est là dedans que ça va se passer
Roc Campagna en haut

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J'ai mis mes pas dans ceux de la semaine dernière, remontée jusqu'au ravin de las Coves, remontée sur l'ancien chemin jusqu'au moment où on lui fausse compagnie pour rejoindre le chemin du Campagna.

Et le chemin vers son terminus "officiel"


La grande cascade du ravin














Moi je décide de poursuivre en sa compagnie, et cette compagnie est malaisée. Un chêne rabougri l'encombre, je le contourne, le tracé est délabré, et puis je stresse car je sais très bien qu'ici je suis hors civilisation.


Pour monter au chemin d'en haut, c'est 
à gauche dans la roche, moi, c'est 

Le campeur sur le chemin : le chêne













 

Même si l'autre, celui du Campagna, celui de ma belle sortie de samedi dernier est désert, il a le mérite d'exister; celui ci est oublié, rayé du monde. C'est troublant, envoûtant et stressant. Le chêne rabougri fait écran entre le monde et moi, rien ne laisse y deviner un chemin. Rapidement sa trace se perd. Il faut donc ouvrir les yeux et examiner attentivement le moindre vestige, notamment sa courbure qui induit le trajet. Donc, pour une fois, je vais travailler sur l'angle et l'arrondi de la courbe...et ça marche ! Par bribes, je retrouve quelques mètres et j'avance.

Chaque pas est incertain car le sol est abandonné à la nature, à son retour aux origines : ça glisse, ça roule, ça dévale, ça pique, je tiens mal mon équilibre.

La courbe est un indice




Il faut un oeil averti pour chercher le chemin
Cela demande des retours en arrière, ici il n'y a rien que le décor



Le chemin passait là

Vestiges épars




Tracé un peu plus évident



Vestiges


 Un grand désert minéral qui plonge vers la route, 500 m en contrebas, d'éboulis en barres rocheuses puis en anciennes terrasses; j'ai parcouru le terrain la veille jusqu'à la côte 650 m,  là je suis à plus de 800 m d'altitude; sous mes pieds il y a près de 200 m de mystère, faits de pierriers fins et roulants, de chênes verts clairsemées mais omniprésents. Univers pâle calcaire, vert soutenu, et bleu sombre de la vallée dans l'ombre. Les montagnes en face sont bleutées, et au dessus de moi, orangées, c'est beau, dénudé et sauvage. Le minéral calcaire est omniprésent, falaises, barres rocheuses, colonisées par les chênes.


Un des immenses éboulis descendant sur près de 400 m

Et puis, plus rien. Le chemin se perd, ou bien je le perds. Cette fois la courbe ou la rectitude n'y font rien. Je suis précipitée dans un relief tellement rocheux, escarpé et dangereux que je renonce. Avant que de comprendre qu'il pouvait s'arrêter là. 

Le chemin finit là , cela semble inextricable


Car la raison de ce chemin est évidente. Les terrasses cultivées sont à 200 m en contrebas, ici il n'y a que d'énormes chênes verts faits de plusieurs troncs issus d'un même tronc qui fut coupé voilà...tellement de temps. De gros troncs qui furent fins rejets, arbrisseaux, avant que de  devenir ces gros futs tourmentés issus d'un pied mère. Combien de temps, en ces terres arides, pour donner cela? On peut réaliser que ces arbres furent exploités voilà très très longtemps. Le site d'exploitation est magnifique. Mais il y a peu de terre, c'est de la roche.

Bouquet de chênes verts assez desséchés dans ce relief


Les résultats de l'abattage


Un des beaux chênes ayant repoussé


Ce fut un tronc, ce sont les rejets

Car la raison de ce chemin est évidente. Les terrasses cultivées sont à 200 m en contrebas, ici il n'y a que d'énormes chênes verts faits de plusieurs troncs issus d'un même tronc qui fut coupé voilà...tellement de temps. De gros troncs qui furent fins rejets, arbrisseaux, avant que de  devenir ces gros futs tourmentés issus d'un pied mère. Combien de temps, en ces terres arides, pour donner cela? On peut réaliser que ces arbres furent exploités voilà très très longtemps. Le site d'exploitation est magnifique. Il y a une terrasse qui a sans doute servi à stocker les billots de bois, mais aucune trace de matériel en fer ayant pu servir à l'évacuation. 


La plate forme entre chemin et  arbres

Le bois semble avoir été évacué par le biais des plans inclinés des éboulis. A la côte 650, la veille j'ai trouvé des fils de fer ayant servi à l'évacuation. Plusieurs, en parallèles; y avait il une plate forme de réception ? Peut être.

Ainsi mes randonnées sont aussi une gymnastique cérébrale ! 

Le Sieur Canigou ou Canigó

Et tout le secteur fut une gigantesque exploitation de bois, dans des sites imprenables et des conditions époustouflantes.

Ce décor que j'aime tant

Peut être les exploita t'on quand d'autres sites plus accessibles et plus denses furent décimés?


Forêts du secteur

Je reviens sur mes pas, rassurée  à présent, j'ai bien balisé mon retour et je déguste le paysage. Il fait un temps d'exception, chaud soleil et air glacé, un vrai mois de mai...en décembre. La magie de Noël ne porte pas la marque d'un chocolat de prestige. C'est ce paysage desséché, décharné, même, saupoudré de grands arbres disséminés, certains enracinés dans la rocaille. Un paysage figé, incandescent sous ce soleil estival. Un monde à part....que je quitte avec regrets, presque.


Je viens de quelque part là dedans


Une idée des pentes et du relief


De retour sur mes pas, je m'offre une escapade vers l'inconnu. Je gravis un petit sommet avec vue panoramique. Un sentier y a été tracé, nettoyé : et si je le suivais ? Il va me conduire à l'opposé de ce que j'imagine et ne fera pas dans la douceur. Des falaises plongent dans le ravin des Horts . Et bien le sentier plonge avec et ce sera une descente vertigineuse; c'est tout dire, le vertige viendra me chatouiller. Quelle descente, mais quel relief !  


Descente vertigineuse dans ce décor


Et son ballon suspendu (nid de frelons)



Une grotte



Plongée en falaises



Il veille



Le ravin fait un canyon, je reconnais les lieux, et, tranquillement, je vais partir à l'opposé de mon camion. Les terrasses de Marinyans, sa vaste ruine et son pressoir qui parlent de temps et de cultures disparus, la ferme de la Guardia, gardée par son troupeau d'autruches, oui, un monde nouveau est né ici.
Le mas de Marinyans




Au temps de la vigne

Au terme de près de 10 km, j'achève un très beau parcours, entre ciel et terre, entre monde d' hier et celui aujourd'hui. Et peut être déjà celui de demain...la révolte agricole gronde jusqu'aux portes de mon camion.


En chiffres

Distance : 10 km

Dénivelé cumulé : 500 m environ

Temps de marche : 3h30

Le trajet :



Les trajets du week end dans le secteur de Sant Père


En jaune le chemin décrit dans l'article
En blanc, de terrasse en terrasse
En orange, le trajet le plus musclé, de falaise en falaise  et j'y ai trouvé un chemin
(parcours non terminé)



jeudi 11 décembre 2025

Conflent : Le plus beau des chemins

Les jambes dans le vide, bien assise sur le parapet, au pied de la grotte, me voilà au restaurant d'altitude, 915 m, il est 13 h, le temps est radieux, tiède pour ce 6 décembre. Panorama ouvert sur les trois vallées (Cadi, Rotja et Têt), panorama surveillé par le sacro saint Canigou, que désirer de plus ? Je suis à mi parcours de ma superbe randonnée en un lieu déserté des humains, tout est pour moi ici. Et le plus beau, le plus étonnant reste à venir. Car ce parcours je le connais, je l'ai fait voilà exactement 4 ans. 

C'est un chemin d'exception sous le magistral Roc Campagna et ses 3 dents pointues. 

Entre Villefranche de Conflent et Serdinya. Pyrénées Orientales.

Un chemin que connaissent les chasseurs, un ou autre grimpeur et des adeptes de randonnée sauvage. Un chemin qui n'existe pas sur les cartes, qui n'est pas balisé, juste cairné, un chemin sur lequel je me suis aventurée voilà 4 ans, mue par ma curiosité et non par une connaissance du site. Ce fut musclé, aventureux; j'avais du jouer sur le repérage, la logique du terrain et même le débroussaillage.

La merveille du restaurant ! Et sa terrasse au soleil

Ce jour, je découvre un chemin plus propre, plus emprunté, moins stressant mais je me suis "perdue" aux deux mêmes endroits. Vite maîtrisés mes égarements car j'ai une mémoire visuelle des lieux.

Cette fois j'ai pris le temps de savourer, rien ne me stressait.

J'ai même pris le temps de comprendre davantage certains passages. Et d'ouvrir la porte à de futures investigations.

Revenons au départ (460 m); la nouveauté s'inscrit d'entrée. Le chemin d'accès (donc le parking) est devenu interdit. J'irai donc à pied. Au bout de ces 800 m de piste, le début de mon sentier semble lui aussi barré par un portail. Oui, j'ai mes entrées secrètes mais devenues interdites; alors je bifurque, je grimpe une série de murettes et retrouve le sentier. Ce sentier suit le cours d'un ancien canal d'arrosage, le Rec Nou, très aérien. Vraiment plaisant. Je traverse le ravin de las Coves et rejoins le sentier dels Horts, ancien hameau bien ruiné. Le sentier monte très fort dans des bois de chênes verts agrémentées de murettes. De toutes parts,  des murettes parlent d'anciennes terrasses. Dans un paysage stérile, aride, inhospitalier. 


Vestiges du Rec Nou (le canal neuf)



736 m, 2.24 km, je quitte le sentier pour aller rejoindre le ravin. Des murs racontent un ancien chemin, le passage à gué n'a guère bougé malgré la brutalité du ravin ici. Les parois sont percées d'orifices "les coves"  (grottes). Le chemin soutenu par un mur est superbe, il court dans une pente ingrate puis se perd dans les taillis (j'irai l'explorer une autre fois). Force est de l'abandonner et c'est une pleine pente bien cairnée, rude et austère qui me conduit 100 m plus haut au chemin que je vais suivre jusqu'à son terminus sur plus de 3 km. Quasi en courbe de niveau.


Même chemin
Le chemin de las Coves




Le passage à gué


Las Coves



L'horizon s'élargit; je viens de la vallée

Gros plan sur Els horts

3 km ce n'est rien. Mais dans pareil relief, pareil site vertigineux, pareilles falaises, ce n'est pas anodin.

C'est le Royaume du chêne vert, des térébinthes, du thym et des lavandes, plus d'autres variétés  piquantes, les ajoncs épineux. 

J'ai conté ce parcours en détail voilà 4 ans. Je ne vais donc pas me répéter.

Cette fois, libérée de la recherche du trajet, je me consacre  aux sensations. Et elles se bousculent. Il fait un temps magnifique, le panorama est splendide, tout en roches, en falaises, en pentes, en vide vertigineux. En couleurs et végétation arbustive.




Les dents du Roc Campagna (le plus haut est celui où j'étais il y a 2 semaines)



Vallées du Cadi (gauche ) et Rotja; Massif du Canigó

500 m en contrebas, la vie déroule son cours : la route, le Train Jaune, le ruban luisant du fleuve. Les vautours tournoient en silence et larges volutes. Pas un bruit ne parvient à moi, comme un film muet en couleurs et relief.

Je ne randonne pas vraiment, je flâne, je me gave. Depuis 4 ans j'avais envie de revenir. 

Vu d'en bas le secteur n'est que falaises séparées de minces bandes vertes et obliques, les chênes, et de bandes grises verticales, les éboulis; on ne peut même pas imaginer un chemin dans ce dédale.

Et pourtant il y est.



Le décor vu de la vallée de la Rotja : Roc Campagna en haut

Une bifurcation cairnée part vers les dents du Campagna; elle me tente mais je ne veux pas éparpiller de la fatigue, je me concentre sur mon chemin. Il pique à présent dans la pente descendante, prenant un aspect de sentier, (je le nomme "chemin neuf"), perdant sa cohérence d'ancien chemin muletier. C'est ce dernier que je veux retrouver. Dans ce fouillis il faut du sens de l'orientation et de la cohérence pour réussir. Un jeu de piste. Je sors les cisailles et le ruban, déjà voilà le mur du chemin muletier, j'ai gagné.

Vestiges

Vestiges 


Gagné quoi ? La fièvre de la trouvaille. Il est ruiné, cassé, pillé par les arbres et les éboulis, clairsemé, je pique droit dans la pente, je n'ai pas le choix, un chemin animal y est bien tracé et les murets, obliques cette fois, pointent leur nez : logique, le chemin zigzaguait dans un  pierrier. Il a été remplacé par le "chemin neuf" plus confortable, mais bien plus vertigineux.  Ce pierrier continue sa descente folle, vrai fleuve de pierres qui plonge jusqu'à la route, quasi 500 m en contrebas. J'atterris (côte 887)  sur le "chemin neuf".

Autre lacet
Vestiges de lacets du chemin muletier




Arrivée au "chemin neuf"




Le parcours du pierrier jusqu'à la route

Ce "chemin neuf" que je vais reprendre en entier à contre courant car ce parcours "neuf" est aérien, donnant sur le vide, vertigineux. Superbe. Juste un aller retour de 500 m et, de retour au fleuve, je vais entamer le plus beau des parcours sur le chemin muletier retrouvé.

Sur le "chemin neuf" : ne pas plonger !



Villefranche de Conflent


Celui qui m'appelait depuis 4 ans de son chant des sirènes.


Trajet approximatif (en pointillés le "chemin neuf")


Ah ce tronçon ! près de 1.5 km de voltige aérienne; je longe des falaises, je franchis des ravins, j'escalade des murailles, je monte des marches, je survole des murs, je jette un regard dans des alcôves, je me perds dans des ombres sombres et des sous bois inquiétants, je me perds même tout court, un instant avant que de traverser un arbre aux branches brisées (mais par quel inquiétant accident ??).

En images : 



Vu de loin, le plus beau passage sur vide et la cavité


Sur le passage ; on lit le trajet qui vient du pierrier


Une cavité où passa l'eau il y a des millions d'années



Le passage sur vide



C'est le chemin muletier d'antan qui servit peut être à des fins de communication, ou agricoles, mais qui fut repris à des fins militaires. 

Passage en sous bois



En oblique taillé dans la falaise
Le chemin va escalader


Sur le passage en oblique

et son lot de 13 marches

                                                                    

Je ne sais même plus d'où je viens !



Faut pas glisser
Habitée par les chèvres





le chemin se devine



Un peu encombré mais très aérien


Vu dans un sens 

Ou dans l'autre


Vers la sortie : le repère des chèvres


La sortie se devine, c'est un long mur qui la supporte, elle est loin encore mais rassurante. Oui on se sent un peu petite et un peu seule dans ce décor où on voudrait conduire tous ses amis, tant on aimerait partager cet instant. Et pourtant je suis là, toute seule, survolée par les rapaces dans un silence sépulcral.


Le dernier mur : le chemin passait au-dessus


Le décor que je viens de traverser


Tel qu'on le voit d'en bas (dans la partie ensoleillée)

J'atteins enfin avec regrets le "Sentier Vauban" une autoroute de randonnée. Je vais faire ma sieste en marchant en mode automatique, avant de piquer sur l'autre chemin muletier ruiné, aussi pentu que beau, aussi sauvage que discret, conduisant, un étage de falaises plus bas, jusqu'à ND de Vie et enfin la route, le plus gros danger du jour. 


Trajet approximatif descendant sur ND de Vie


Je boucle  ainsi un périple de plus de 10 km qui, s'ils n'ont pas fait vaciller mon équilibre, m'ont singulièrement fatiguée. Serait ce donc l'apanage de l'âge ? 

Peu importe, j'y retournerai, et bientôt cette fois, pas dans quatre ans...il sera alors trop tard.

En chiffres : 

Distance : 10.2 km

Dénivelé positif cumulé évalué à 750 m environ

Temps de marche : 4 h 13

Articles reliés à ce trajet : 

1er trajet, 2021 (clic) 

Le Roc Campagna (clic) 


Le trajet du jour : (à partir de points GPS)