samedi 31 mai 2025

Aragon, Espagne : Las roques del Masmut, 1035 m

 Ces roches et moi nous avons un point commun, c'est 3 lettres de notre nom. C'est un signe, pour moi qui suis arrivée ici par hasard. Les 3 lettres suivantes sont une divergence. En catalan, cela signifie muet, alors que je suis une bavarde invétérée ! Mais nous ne sommes pas en Catalogne; c'est l' Aragon et le nom provient d'un mot berbère, Masmuda, du temps de la très lointaine colonisation.




Ce qui me frappe, c'est en ce soir où je grimpe les presque 100 m de dénivelé du village de Pennaroya de Tastavins, où il n'y a pas davantage de vignes que d'eau dans les ravins, c'est la phénoménale couleur rouge de ce flamboyant Masmut.

En rouge à la tombée du soir (face nord)



Alors je décide d'y aller, en plein jour.

Et c'est parti pour 10 km de plaisir. Le chemin part du village, les enfants vont à l'école et, au vu des foulards, je ne sais plus si je vais au Masmut ou à la très ancienne Masmuda.


Pennaroya de Tastavins, le soir

 Rapidement je suis en pleine campagne : une falaise de conglomérats rocheux et d'anciens habitats troglodytes, des cyprès, des terrasses d'oliviers, puis de la garrigue, de la piste en alternance avec du sentier. Cela ne monte pas très fort, seule la température escalade, un groupe d'hommes me rejoint, je marche avec eux, sans trop bavarder, je les écoute, bain linguistique indispensable à ma culture, le catalan y est mâtiné. D'Aragonais.

Habitat troglodyte (ancien)


El Pont Xafat (le pont écrasé)


Autour du village


Le village s'éloigne

Le Masmut se dévoile

Arrivés à un petit col, nos routes divergent : la masse rougeâtre du Masmut est impressionnante et mon sang ne fait qu'un tour au vu de la forteresse crénelée d'une arête. Il y a un sentier me disent ils, tu peux toujours essayer de monter, mais pour descendre ?? Je leur réponds que je peux sauter ou utiliser ma corde. Mais aussi que je peux "juste aller voir...".


Face sud




Et je vais voir. Le sentier grimpe sec dans les plantes aromatiques, chênes verts et cailloux. La falaise se dévoile, juste un morceau...brrr...


Arrivée en haut j'observe et je vois un chemin tracé dans la roche, plus lisse, de couleur différente, le cheminement est évident. Certes, escarpé ! Mains et pieds sont en action, c'est très facile (pour mon petit niveau), mais j'ai la corde si...le sol s'éloigne à grande vitesse, je me retourne c'est impressionnant.

Il suffit de poser pieds et mains

Et encore mains et pieds


Et on y est.

Et me voilà en haut ...de quoi ? du premier étage. A présent, ce n'est plus de l'arête, c'est du plateau ascendant, parsemé de cairns, jongler avec l'arête est un jeu d'enfant ! L'arête est "molle", arrondie, formes courbes, conglomérat poli et lisse, mais sur la dorsale, on a le vide sous les pieds, plus de 150 m. Cela ne m'impressionne guère, je cours même sur le fil, et j'irais bien plus loin, tout au bout de l'éperon, mais je fais une fixation sur mon bâton abandonné tout en bas et que j'aimerais bien avoir. C'est idiot !

Une arête "molle"


 Vide abrupt
Un des couloirs


Le sommet style "chaise percée"
Le croisement en bas, d'où je viens


Là ou je devrais aller


Et où je n'irai pmas...je m'en veux encore, tout ça pour un bâton

Cela va me priver de l'éperon. J'oublie complètement qu'il y a une autre face, une arête opposée, une façade nord, tout aussi envoûtante. Le groupe d'hommes me regarde depuis le col et me crie "tu vas tomber !!". et moi je m'amuse.

Je décide d'aller chercher mon bâton et de remonter. La descente est aisée jusqu'à un point un peu plus coriace. Je maltraite un genévrier blanchi par les ans, lui mets ma corde au cou et je descends. Là je réalise qu'il fait très chaud . Remonter ? Beuhhh

La corde au cou du malheureux
Mais il ne faillira pas


Alors je reprends le chemin pour "el mirador" soit le belvédère qui va me raconter l'histoire de cette montagne "muette".

Depuis le "Mirador" ou belvédère

C'est bien sûr une histoire de mer peu profonde et chaude qui couvrit le site entre moins 250 et moins 65 Millions d'années. D'une montagne qui s'éleva ensuite, se plissa, s'éroda, se solidifia en rocs compacts et soudés, le poudingue ou conglomérat; classique dans cette région. Et puis, la suite, banale; érosion, émergence de formes dentelées et plissées, fossiles en "décoration". Rien n'y manque. Même pas le dinosaure qui fut exhumé dans les années 90 et dont un splendide musée honore les ossements d'origine (fossilisés) et la représentation grandeur nature de la Bête du Masmut. A voir absolument !

Fossiles originaux

Reconstitution 17 m de long
L'original pesait 20 tonnes













Ce qui me fascine ce sont ces saignées, ces colonnes. Et une sorte d'abri sous roche, à leur base.

 Je scrute la falaise, à la recherche d'un chemin et soudain je vois briller un métal dans la roche. J'ai compris ! Un site d'escalade, donc un accès.

Et me voici déjà revenue au petit col ; un cairn discret, à côté du chemin VTT m'invite à m'enfoncer dans les bois à l'écart de tout et je la tiens l'originalité . C'est un sentier bien agencé, qui longe la falaise, traverse l'abri sous roche, témoin d'une ancienne balme pastorale; d'ailleurs dans le secteur les ruines d'un mas se défont doucement alors que la végétation enfouit les murets des terrasses. Mais oui, le Masmut se penchait sur des terres agricoles en gradins. Jusqu'au rio sec. Tout en bas. Le Masmut lâche quatre confidences.

La ruine

Le rio seco tout en bas













Moi je suis envoûtée, sous la voûte végétale, non par la forêt de chênes verts mais par les replis de cette roche, ces colonnes séparées par des gouffres verticaux d'ombre bleue et rose, où il fait frais, silencieux, austère et où de petits figuiers se cramponnent à la roche dans laquelle coule insidieusement de l'eau.

Sous bois pas très frais :alzines ou chênes verts

Je m'enfouis dans une de ces saignées qui savent se transformer en torrents, ou ont su, par le passé : dégueulis de rocs et gravats, roche polie et luisante, oui des torrents liquides ont déboulé ici. Pour l'heure, des pitons de métal luisent sur les murs.


Abri sous roche



Mur de l'abri
Abri sous roche



Les falaises


Un des couloirs


Depuis l'intérieur du couloir


Petit figuier


Ne deviendra pas grand

le conglomérat de la roche mis à  nu






Impressionnantes falaises

                                                                                     
Depuis l'intérieur du couloir

Autre figuier














La chaleur s'intensifie au sortir de ces gouffres montant au ciel et je vais faire le chemin à l'envers, chaude remontée et descente solitaire jusqu'au village où je vais dégotter la maison de mes rêves : un café restaurant.

Pennaroya de Tastavins



Saint Michel



Autre lieu saint

Mais il est certain que je reviendrai, du Masmut je n'ai vu sans doute que le plus beau mais peut on juger de ce qu'on ne connait pas ? 

En chiffres 
Distance : 10 km
Dénivelé : 400 m environ

Situation du lieu

Plan large 


En rouge, delta de l'Ebre et le Masmut


Plan rapproché


Le Delta de l' Ebre et la situation du Masmut et de Pennaroya en noir






samedi 17 mai 2025

Serdinya, Conflent (66) , encore un Roc de l' Aliga

 Je fais référence au grandiose Roc de l'Aliga (ou de l'aigle) sur les hauteurs de Fontpédrouse que j'ai visité voilà quelques semaines. Un roc inaccessible et bien escarpé, normal, les aigles se perchent.

Cette fois cela se passe quelques étages plus bas, à partir de Serdinya.

Serdinya

Serdinya est emblématique car c'est à peu près dans le secteur que s'ancra en 2021 mon amour inconsidéré pour le Conflent, région des Pyrénées Orientales, vallée de la Têt.

J'avais ciblé alors, sur le secteur, les canaux d'irrigation, parcouru des km de canaux en service ou livrés à l'abandon, découvert leur environnement et rédigé quelques 196 pages de descriptif, plans, photos etc


Mon ouvrage sur les canaux de Serdinya


Depuis, j'avais abandonné Serdinya et "ratissé" le Conflent, de préférence toujours en rive gauche de la Têt.

Me voilà revenue ici sans réfléchir, un coup de tête ou un coup de coeur subit : ce sera le village abandonné dels Horts et le Roc de l'Aliga. Et cette fois, une rando sous l'égide de sentiers "civilisés".

Je démarre dans un matin éblouissant de lumière; Sedinya s'éloigne vite tout en bas, la pente du sentier est très prononcée. Un printemps étincelant, des oiseaux qui chantent, le cliché parfait! Les murs solides, les couleurs de la roche, le bleu du ciel, des fleurs et de l'herbe partout, la sécheresse passée semble un mauvais rêve, et je monte. Le thym est devenu fou cette année ! Je croise la belle ruine de La Guardia, déjà j'atteins le hameau de Marinyans. Les paysages me remémorent toutes mes recherches d'il y a 4 ans, un siècle, tant ma vie a été intense depuis.

La Guardia


Eglise de Marinyans, 12 e S, détruite en 1895 car
très ruinée


Prairies de Camp del Marc


J'aborde la superbe montée sur Els Horts; le sentier s'engage dans les falaises rouges, les pâtures vertes en terrasse dévalent jusqu'en leur lisière, terre de contrastes.

Le sentier ! il escalade la falaise entre murs et lacets, 8 en tout, bien raides, pavés, et beaux.

Les lacets du chemin



Les murs des lacets, sens montant


Côte pavée


Un lacet
Les murs des lacets, sens descendant


Els Horts est sur l'autre versant. Dans une débauche de thym, genêts et fleurs multicolores, une farandole de parfums, le chemin suit son cours, est taillé en falaise, ouvre sur le décor du Roc Campagna et ses environs austères et déjà, dans le vallon aux verts multiples, se devinent les ruines ocres dels Horts. L'aubépine emplit l'air de son âcre parfum. Une perdrix s'envole lourdement à mes pieds, ce sera le seul coeur battant animal du jour.

Chemin dels Horts taillé dans la falaise




Chemin dels Horts, passage en falaise




Arrivée als Horts

Je connais els Horts, je cible ma re visite sur le captage des eaux qui permit la vie ici; les maisons se défont doucement dans les terrasses envahies d'arbres, la vie s'est retirée, c'est une vie douce et immobile sous les frondaisons. On s'y sent bien. Un escalier vers le ciel, un rouleau de pierre ayant servi à moudre le grain oublié dans les ronces, une fenêtre sans toiture ni volets, un lilas éclos dans le néant, c'est Els Horts, "les jardins", et au milieu coule une rivière sèche, dans une gorge immensément profonde qui témoigne de torrents effrayants il y a des millions d'années. Que j'avais longuement et difficilement visitée il y a 4 ans. 


Canal amenant l'eau du Querllong

Bassins



La source captée

L'eau du canal (tout est à sec)



Rouleau en pierre pour moudre le grain


Je m'éloigne vers les hauteurs, un sentier sous le couvert suit le ruisseau de Querllong, direction le Roc de l'Aliga.

Je vais suivre cette vallée : le Querllong

 Le sentier, non balisé mais bien tracé, grimpe très fort dans les sous bois: j'ai juste l'impression que c'est moi qui me traîne, les mollets sont douloureux; en descente je comprendrai pourquoi : c'est raide !  Je monte, il fait chaud, le décor est superbe : fleurs, pelouses, arbres et sur ma droite une série de falaises creusées de grottes, rochers que je gravirais bien si la forme était là. 


En sous bois de pins
Borne 



Le site des falaises

Soudain je la vois : une balme, abri sous roche fermé d'un grand mur, alors mes jambes piaffent mais ce n'est pas le moment. Une autre fois. Je quitte le sentier pour celui de l' Aliga et ma surprise est grande. Ce n'est plus un sentier, c'est un chemin, une avenue, un boulevard qui eut une utilité passée conséquente : chemin de transhumance ? Chemin forestier ? En lien avec les marbres griottes exploités plus haut ? Très surprenant car sur la carte c'est un pointillé noir sans destination . Sur le terrain il poursuit sa route jusqu'à Rocafumada, le joli secteur des marbres griottes que j'avais longuement visité il y a....déjà 6 ans.

Un abri sous roche et son mur



Eb blanc chemin pour Rocafumada
En rouge, pour le roc de l' Aliga



Chemin muletier

Voici sur la gauche le Roc St Marc, je ne m'y rendrai pas car je suis attendue de façon très imprévue. Je me contenterai du Roc de l' Aliga, en suivant ce chemin muletier aussi inattendu que merveilleux. 

Roc Saint Marc


Même site avec Serdinya en fond



Le hameau de Flaça



Passage en sous bois 


Passage de ravin



Le chemin dans son décor

        
Le chemin
Passage d'écoulement des eaux : j'en compte 6
                                                                              











 Le Roc de l' Aliga sera une belle surprise. Je cherchais un roc escarpé, pointu, quasi imprenable et bien, contrairement à son peu lointain homonyme, 12 km à vol d'oiseau ...euh...d'aigle, il est en contrebas du chemin, sorte de plate forme rocheuse sans caractère. Mais ne nous leurrons pas : posée en équilibre sur son extrémité, j'ai sous les pieds exactement 200 m de vide absolu. Le roc est surplombant et ...je m'assieds !


Ravin du Bonàs vers l'amont, vers Rocafumada


Bouquets garnis


Chemin montant de Flaça au zoom


Roc de l' Aliga 1123 m

Le paysage aérien est somptueux, je ne peux m'en détacher. Je dirais presque que le Canigou trop familier fait pâle figure, malgré ses bleus rehaussés par la météo capricieuse.

Bien sûr il est partout : el Canigó

En bas, une vallée, celle du Torrent de Bonàs file jusqu'à Serdinya. Puis le hameau de Flassa, loin de tout, et son église remarquable. Sans compter les vallonnements descendant à Serdinya, toujours présent dans le décor. 


Le torrent de Bonàs vers l'aval, vers Serdinya


Seule, peut être aurais-je choisi un itinéraire de retour en boucle mais je suis attendue sur le chemin du retour, de façon impromptue et agréable. Alors je file bon train, ce n'est que descente à présent, Canigou droit dans les yeux, crêtes lointaines ourlées de nuages menaçants . Il fait chaud, un temps estival. Un gros caillou roule sous mes pieds, effarée je l'entends bondir dans la pente, je perds le son, je crois qu'il court encore ! 


Canigou

En peu de temps, je rejoins les Horts et mon visiteur imprévu, nous arpentons un peu les ruines qui lui sont également familières et, finalement, avant le chemin du retour, on cherche une bonne table de restaurant avec vue imprenable, dans le parfum du thym, sous la chaleur ardente du soleil. En bavardant comme les vieux copains que nous sommes on rejoint le village, j'aurai bénéficié de deux belles chutes sans conséquence, histoire de voir que les cailloux sont durs et que les sentiers bien tracés ne sont pas toujours une panacée !

Escalier vers le ciel : els Horts

Depuis notre "restaurant", terrasse ombragée et clim'.

La grande maison dels Horts
Le Roc Campagna



Dels Horts au Campagna, panorama

Une rando impromptue qui m'a donné un goût de revenez y car elle m'a ouvert des horizons multiples. Et comme je fais du Conflent ma destination de prédilection, je crois que je vais y prendre racine...enfin façon de parler, je bouge sans arrêt !


Et oui, je suis un peu pigeon voyageur.


En chiffres

Dénivelé : environ 600m

Distance : 9.8 km

Temps de marche : 3 h 15 (hors arrêts