samedi 29 mars 2025

Hérault : la grotte de l'Ours (Montagne Séranne) 3/3


 Episode 3 : la grotte de l'ours

Je ne savais pas grand chose, sinon que je ne l'avais pas trouvée et qu'elle était très difficile à trouver. Pourtant j'avais cherché. L'orifice en pleine falaise m'avait trompée, la grotte n'est pas lui.

La grotte de l'ours

Bien décidée à y mettre enfin le nez dessus et bien davantage, j'avais tenté une petite enquête. 

Saint Jean de Buèges, Hérault : le village est petit et les habitants rares. Le cimetière est très peuplé mais ici, point de langues déliées et pourtant ici, ils savent. Les rues sont désertes, l'église est le royaume du silence, seul le bar a des airs de forum. De plus les repas y sont excellents. Attablée devant une truite saumonée j'essaie de questionner quatre hommes. Deux savent mais ne veulent pas me parler. Quatre borborygmes et une indifférence plus tard, enveloppés d'impolitesse, je maugrée "vous ne voulez rien me dire ? Je me débrouillerai!". Ils s'en fichent, je n'existe pas. Ne fut ce la truite, je me serais barrée. Les ours ne sont pas dans la grotte, ils sont à table.

St Jean de Buèges - Hérault
















Je vais donc mettre d'autres moyens en batterie, je scrute la montagne, je prends des photos au zoom et je vais explorer internet, un peu plus bavard. Mais qui me serine "très difficile à trouver". Un ami FB m'envoie quelques documents mais je les ai déjà. Je réussis toutefois à localiser où je dois aller fureter et cette vire que j'ai empruntée est, à mon avis, la clé. 


Trajet approximatif

Dans ce dernier matin de mon séjour, je reprends le chemin du tout droit dans la montagne. C'est un vrai régal car cela ressemble à un matin de mai : air cristallin, résonnance des bruits, un motoculteur retourne de la terre, des oiseaux chantent, le paysage rayonne de lumière et de couleurs.


Mon pas est vif, je connais le chemin, le sous bois, la mare, la dalle, le roc du Midi qui me contemple et enfin les 200 m de pierrier. Qui n'est pas celui dit "de la mort". Je fais une rencontre incongrue : deux trous dans la roche du sol et un figuier campe à côté, nu mais orné de figues : il y a de l'eau. 

Une idée de la pente


Aujourd'hui je n'irai pas au bout du bout là haut
Ni au pic du Midi à droite (mes 2 précédentes randos)


Une cavité dans la roche

Et un figuier tout à côté en plein pierrier














De toute façon cette grotte n'est que la partie émergée  d'un immense réseau souterrain qui va jaillir tout en bas à la résurgence du Garrel. Et sans doute ailleurs aussi. C'est le fascinant mystère liquide du Karst.

Les altitudes filent sur mon GPS, j'ai le Diable aux trousses. La chanson du motoculteur monte jusqu'à moi, les bruits de la vie.

Et j'arrive sur le site, entre les falaises : là je vais mettre en batterie ma stratégie; j'ai analysé mes erreurs, trop de précipitation et d'impatience . Et bien je vais m'attacher au moindre détail. Un cairn discret, les griffures des bâtons de marche sur la roche, et mon instinct. Je sais qu'il y a des terrasses et qu'il faut monter et descendre. Maigre et précieux indice. Le site demeure muet et discret.

Secteur de la grotte de l'Ours: la falaise

Seule la vire a sa cohérence dans la roche et je l'emprunte. Je comprends de suite, j'avais voulu grimper sur la falaise et il faut poursuivre la vire qui suit son cours quelque peu hasardeux,  mais assez bref et dans un fouillis d'arbres elle est là, majestueuse ouverture ocrée, ma joie retentit! Pour les oiseaux et les falaises.

Et le chaos rocheux après la vire
On y trouve son chemin !


La vire













Telle qu'elle apparaît, bien cachée

Et quand on entre....quelle perfection...

Je pose mes affaires à l'entrée, je visite cette entrée à la forme parfaite et, munie du minimum vital : téléphone, frontale et lampe supplémentaire, je m'enfonce dans le temple de l'ombre, du silence épais et de l'obscurité. Des draperies, des couleurs, des rivières de calcaire, des débris au sol, sol très argileux et glissant, des gouttes d'eau qui rompent le silence, enfin le classique d'une grotte. Mais quand on est toute seule, le classique revêt une parure d'exception. Mes pas sont feutrés comme si je devais déranger la roche et les coulées figées.















C'est sépulcral .

 Dans le faisceau lumineux puisque toute lumière diurne a disparu, un étroit et bas tunnel s'élance dans l'obscurité. Sans hésiter, me fiant aux traces de pas, je m'allonge sur le côté, pieds en avant et je rampe vers....sous terre où on perd notion de distance, de temps, de tout. Je n'ai pas peur, juste un pincement au coeur. 



Et je débouche dans une autre grande salle où tout est également statufié. J'empoigne les solides stalagmites qui me servent à ne pas glisser, je crois que j'oublie de respirer pour respecter le silence. Mais quel silence ! Il est impressionnant car à nul autre pareil est le silence sous terre. Je ne suis pas sous terre, je suis dans une falaise. Il y a ce grand mystère au plafond, dans les puits, dans des orifices, dans des failles, dans d'étroits tunnels, il y a ce mystère de labyrinthes et d'eaux . Le mystère sans fond de ce puits qui s'enfonce sous terre, et où ne va pas l'amateur que je suis et qui me fait frissonner, un antre étroit et noir..... C'est curieux mais, au retour, ce tunnel où je dois ramper me stresse, et quand enfin se dessine, se devine une ténue lumière orangée, c'est quand même rassurant. 



Bien sûr la grotte a SA légende ou ses légendes. Un jeune garçon serait allé délivrer sa mère emportée et cachée par un ours dit l'une d'elles...










La sortie s'annonce

La fascination cesse, la sécurité me happe, mais cette aventure solitaire m'a profondément marquée, j'ai du mal à m'arracher, à quitter cet antre de silence. Le motoculteur continue sa chanson, les oiseaux m'accueillent, les bruits d'en bas me rejoignent, c'est fini. Une asperge sauvage, à l'entrée, est dubitative et lance une interrogation qu'on peut interpréter à l'envi!


Fini ? Je reviens sur mes pas, traverse un arbre, emprunte la vire et pars en visite. Mon instinct me porte plus bas , un cairn m'invite et au terme de quelques acrobaties je la vois ! Une autre entrée, basse, triangulaire Cette fois; je m'introduis et découvre, outre quelques draperies, un immense puits insondable. Un aven. Il est surtout important de ne pas y glisser ! Ma lampe ne parvient qu'à esquisser le vide. 

Vue depuis l'intérieur

L'entrée de l'aven


Voilà : un pas en avant et on disparaît à jamais...un gouffre...

Je bats en retraite, j'ai besoin de lumière, je retrouve le pierrier avec joie, le sentier sous bois et la mare d'eau glacée où je noie mon pied droit . En dégustant un solide en cas.

La mare, petite résurgence sans doute

Peu après, je décide de ne plus suivre le sentier mais une sente ténue, qui part à l'horizontale. Elle a une histoire, cette sente, car des murets se devinent. Les falaises sont proches, je vois briller leur blancheur, cependant le fouillis végétal les rend imprenables. Soudain, sur ma gauche, une sorte de pierre tombale bizarrement ocrée m'attire, je la rejoins et j'entre dans le domaine de la stupéfaction : un four à chaux est à mes pieds, semi enterré, je ne vois pas son entrée, mais sa position est originale . Un grand fleuve de roche figée, en forte pente de lapiaz profondément crevassé, descend, immobile, au gré de cascades , jusqu'au four à chaux où la cascade a été profondément entaillée, dépecée; il ne reste que des débris, le reste est passé à la cuisson. L'intérieur du four a cette couleur ocre typique . S'ils avaient voulu faire cuire tout le fleuve, ils y seraient encore pour des siècles ! 

Le fleuve de roche : roc du Midi en haut


Crevasses du lapiaz
en gros plan


Vers l'aval, tout au bout du fleuve se trouve le four


Au final, le fleuve a été exploité

Le final, exploité


Le four



                                                                                      
Détails du mur et des vestiges de cuisson



Le four voisine avec d'autres cuissons bien noires, les charbonnières et, continuant mon périple à travers oliviers abandonnés, je parviens à la route en longeant une ruine un peu étrange; il s'agirait d'une ancienne tour communicant par signaux avec le château. 

Oliveraie un peu abandonnée

Décidément, ce petit village que j'aime tant, s'il a une telle âme c'est parce qu'elle est riche de toutes les âmes de ce passé qui rôdent au dessus des taillis et s'enroule au flanc de la Séranne. Je n'ai plus qu'à reprendre la route, je suis riche de ces instants.

(Fin des épisodes.)

A bientôt pour d'autres aventures !

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Pour rappel : 1 er épisode (clic)

                      2 eme épisode (clic)

Le trajet : 


Trajet approximatif


En chiffres

Distance : 4.2 km
Temps de marche : 2 h 27 (visite de la grotte, 1 h)





mardi 25 mars 2025

Hérault : crapahut dans la Séranne 2/3

 2 eme épisode : La draille et le Roc du Midi

Après la dure rando de la veille, pas question de repos, mais un petit "décrassage" s'impose, en un lieu sur lequel j'ai flashé le 25 janvier. C'est un étrange chemin qui monte dans la pente pierreuse, en zigzags serrés. J'y pense depuis des semaines. Je veux juste aller voir, je m'autorise à faire demi tour à n'importe quel moment. 


Panorama depuis le roc du Midi (774 m)

Et c'est parti : je pose Max et Nina en bord de route (227 m) et je démarre. Il y a deux vignes à franchir, une est morte, l'autre non. Le chemin louvoie avant de piquer du nez dans la garrigue : que ça grimpe ! Un groupe de 4 personnes me précède, aujourd'hui c'est humanisé. Le sentier n'est pas indiqué ni balisé.

Sol de graves d'ailleurs cela se nomme Les Graves



Sentier d'approche de la montagne

Parois calcaires


100 m plus haut (et 0.8 km) le chemin tant attendu commence  : j'ai un doute. La montagne est une muraille rocheuse coupée de terrasses emmurées, on dirait les balcons d'un immeuble. Rien n'est cultivable pourtant dans cette roche. Et oui, c'est le chemin construit en étages, plans inclinés, virages serrés, on repart dans l'autre sens, on recommence, j'ai l'impression de revoir la tour de Pise de ma jeunesse. Je suis fortement impressionnée et il est hors de question de renoncer. C'est une draille ou chemin de transhumance.

Même chose mais surligné

Le chemin ou draille (morceau) 













Un chemin tel des étages

Végétation rabougrie, parfum du thym, roche d'un blanc éblouissant, quelques fossiles en ornement, des vestiges de calade, l'impression d'exception domine sur ce tracé. Je ne tarde pas à laisser filer le groupe, j'ai besoin d'avoir ce décor pour moi seule. Egoïsme ? j'ai tellement passé ma vie au service d'autrui qu'à présent je m'offre des instants n'appartenant qu'à moi.

La pente, sa végétation, son sol

Dentelles de roche



Un aspect du chemin de transhumance

Ce n'est pas une sculpture ! Trace de barre à
mine ayant servi à tailler la roche 


J'adore ces rivières de calcaire sculptées par l'eau de ruissellement



Le seul vrai arbre du trajet

Je compte les lacets, au final il y en a 21. J'ai l'impression de tricoter la montagne à chaque fois !

Un des 21 virages 


Le décor est superbe : le roc du Midi est grandiose, ses voisins aussi, les dentelles de pierre se rapprochent, sont à mon niveau puis au dessous de moi. Max semble accroché à la roche, tout petit, tout en bas. Une petite Nina y sommeille...Je veille sur eux. La vallée, les lointains, sont beaux.

Max le camion 

Altitude 610, 2.5 km

Soudain un cirque de montagne, grandiose, précédé par un gardien de roche m'accueille les bras ouverts. Je me statufie devant ce décor grandiose, falaises striées de coulées humides, arbres cramponnés comme des grimpeurs d'un 8 C+ figés pour l'éternité. J'écoute le silence, je rêve à arpenter ce cirque, quittant le chemin et allant jouer le vieil isard, mais je me contente d'escalader le gardien : tout en haut, sur la fine arête, personne à gauche, ni à droite, ni au dessus, encore moins en dessous, je me pose. Je suis bien en ce site incongru. Pourquoi grimper là ? Certes...Et pourquoi pas ? 


Une partie du cirque


Le gardien du cirque

La tête du gardien

L'encolure du gardien


La gardienne du gardien


Le chemin vu depuis mon poste de vigie




Le grimpeur de l'impossible




Retour sur le plancher des moutons


Je quitte mon perchoir et poursuis ma route, soit une voie pavée où il n'y a pas une once de terre.

altitude 750, 3.45 km, finalement c'est du beurre à côté de ma grimpe d'hier pour des chiffres similaires.

Et le chemin de transhumance débouche sur le Causse boisé et grisâtre, avec ses chênes dénudés. Les moutons terminaient là leur transhumance, s'égayant sur le Causse.



Le Causse

A présent je vais grimper au premier sommet sans nom. Le sentier est cairné et me conduit rapidement sur les lapiaz crevassés aux 804 m qui dominent un grandiose décor où le Pic St Loup redresse sa crête .

Lapiaz donnant accès au sommet : en fond le Pic St Loup

Ce sera mon restaurant dont le décor compense la frugalité du mets.


Dans le cercle, Nina et Max le camion


Des tapis de violettes et jonquilles se cachent au soleil, quelques oiseaux tournoient en silence.



Jardin de Causse





A présent je veux gagner le Roc du Midi  et ses 774 m. Je n'arrive pas à trouver le sentier, j'ose le GPS, surprise, le "vrai" sentier  a été désaffecté, le nouveau finit par se présenter à moi et il est plutôt sympa, entre lapiaz et Causse. De grands espaces avaient été épierrés afin de dégager des pâtures pour les moutons. Une vallée caussenarde présente son fond plat et vert, large et velouté, sans eau, bien sûr. Je vais la suivre, je veux voir comment ce fleuve d'herbe se jette de la falaise. Hélas, le val se rétrécit, s'embroussaille et, à quelques mètres du saut dans le vide, comme je ne suis pas un petit quadrupède je dois renoncer, les végétaux piquants barrent la voie. 

Rivière du Causse


et finit dans la broussaille
La rivière rétrécit

Je retrouve le chemin que je quitte en suivant des traces bleues délavées et des cairns, à travers le plateau pour gagner le Pic du Midi et ses 775 m. Ce sera le "waouhh" du jour ! 

Le chemin qui conduit au pic


Le waouh ! du jour. Au sommet très surplombant. Village de St Jean de Buèges et Roc du Tras Castel


La Séranne  et la vallée menant vers Ganges. Dans cette pente se cache un autre chemin de 
transhumance, désaffecté, que je veux parcourir


Mes deux amours : Max et Nina à l'intérieur

6.08 km pour ce surplomb rocheux donnant sur un vide effarant. Que vois je ? Le couloir et le pierrier que j'ai grimpés hier, (chaud me dis je, vu d'en haut), le village, le "tout petit" roc de Trascastel, les vallées, les lointains, sous un beau soleil; je suis gâtée.

Je n'ai d'autre occupation que contempler, garder l'équilibre surtout, sur ce vide démesuré. Mais me repaître de ce décor. Nul besoin de voyager loin pour se doper à l'enthousiasme. C'est ça la jeunesse !

Allons, faut repartir; ce sera même chemin, en sens inverse. Pas de variante possible.

Alors parlons de ce chemin de transhumance que je verrais bien classé Monument Historique. Le cadastre de 1835 n'en fait pas état contrairement aux autres; il en existe un d'assez proche, désaffecté, ne figurant pas sur les cartes actuelles et pourtant cadastré dit "chemin de la Coupette, de St Maurice à St André" ; 23 lacets perdus de quelle manière  aujourd'hui ? Ah il m'intrigue celui là. Donc celui du jour, non cadastré, fut il un chemin privé bâti par les bergers ? La somme colossale de travail pour ce faire est gigantesque. Le franchissement de ravins témoigne d'une solidité à toute épreuve. Le retour, avec la lumière de l'après midi sculptant le relief me permet une bien meilleure appréciation que la lumière diffuse du matin. 


Un des 21 lacets


Mur du chemin sur un ravin




Aspect d'un ravin vers l'aval


Voilà ce chemin (en partie) tel qu'il m'est apparu un jour de janvier depuis la rive d'en face!  Comment ne pas aller y regarder de plus près...



Et comment ne pas avoir envie d'aller voir son assez proche voisin disparu dans le temps et peut être dans l'espace ? Le chemin de la Coupette....y serai-je coupée du monde ? 

Ne pourrais je pas marcher en mettant de temps en temps mon cerveau sous le bras ? 

Saint Jean s'offre au pied du Trascastel redevenu géant dans un décor de vignes, c'est un morceau de Douce France Agricole après l'aridité de ce que je viens de vivre.

Retour à St Jean par la vigne des Graves

Et...qui m'attend ? 



Fin de l'épisode 2. Episode suivant : la grotte de l'ours

En chiffres : 

Distance : 10.6 km

Dénivelé positif cumulé : 654 m

Temps de marche : 4 h

Trajet :