Episode 3 : la grotte de l'ours
Je ne savais pas grand chose, sinon que je ne l'avais pas trouvée et qu'elle était très difficile à trouver. Pourtant j'avais cherché. L'orifice en pleine falaise m'avait trompée, la grotte n'est pas lui.
La grotte de l'ours |
Bien décidée à y mettre enfin le nez dessus et bien davantage, j'avais tenté une petite enquête.
Saint Jean de Buèges, Hérault : le village est petit et les habitants rares. Le cimetière est très peuplé mais ici, point de langues déliées et pourtant ici, ils savent. Les rues sont désertes, l'église est le royaume du silence, seul le bar a des airs de forum. De plus les repas y sont excellents. Attablée devant une truite saumonée j'essaie de questionner quatre hommes. Deux savent mais ne veulent pas me parler. Quatre borborygmes et une indifférence plus tard, enveloppés d'impolitesse, je maugrée "vous ne voulez rien me dire ? Je me débrouillerai!". Ils s'en fichent, je n'existe pas. Ne fut ce la truite, je me serais barrée. Les ours ne sont pas dans la grotte, ils sont à table.
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St Jean de Buèges - Hérault |
Trajet approximatif |
Dans ce dernier matin de mon séjour, je reprends le chemin du tout droit dans la montagne. C'est un vrai régal car cela ressemble à un matin de mai : air cristallin, résonnance des bruits, un motoculteur retourne de la terre, des oiseaux chantent, le paysage rayonne de lumière et de couleurs.
Une idée de la pente |
Aujourd'hui je n'irai pas au bout du bout là haut Ni au pic du Midi à droite (mes 2 précédentes randos) |
Une cavité dans la roche |
Et un figuier tout à côté en plein pierrier |
De toute façon cette grotte n'est que la partie émergée d'un immense réseau souterrain qui va jaillir tout en bas à la résurgence du Garrel. Et sans doute ailleurs aussi. C'est le fascinant mystère liquide du Karst.
Les altitudes filent sur mon GPS, j'ai le Diable aux trousses. La chanson du motoculteur monte jusqu'à moi, les bruits de la vie.
Et j'arrive sur le site, entre les falaises : là je vais mettre en batterie ma stratégie; j'ai analysé mes erreurs, trop de précipitation et d'impatience . Et bien je vais m'attacher au moindre détail. Un cairn discret, les griffures des bâtons de marche sur la roche, et mon instinct. Je sais qu'il y a des terrasses et qu'il faut monter et descendre. Maigre et précieux indice. Le site demeure muet et discret.
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Secteur de la grotte de l'Ours: la falaise |
Seule la vire a sa cohérence dans la roche et je l'emprunte. Je comprends de suite, j'avais voulu grimper sur la falaise et il faut poursuivre la vire qui suit son cours quelque peu hasardeux, mais assez bref et dans un fouillis d'arbres elle est là, majestueuse ouverture ocrée, ma joie retentit! Pour les oiseaux et les falaises.
Et le chaos rocheux après la vire On y trouve son chemin ! |
La vire |
Telle qu'elle apparaît, bien cachée |
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Et quand on entre....quelle perfection... |
Je pose mes affaires à l'entrée, je visite cette entrée à la forme parfaite et, munie du minimum vital : téléphone, frontale et lampe supplémentaire, je m'enfonce dans le temple de l'ombre, du silence épais et de l'obscurité. Des draperies, des couleurs, des rivières de calcaire, des débris au sol, sol très argileux et glissant, des gouttes d'eau qui rompent le silence, enfin le classique d'une grotte. Mais quand on est toute seule, le classique revêt une parure d'exception. Mes pas sont feutrés comme si je devais déranger la roche et les coulées figées.
C'est sépulcral .
Dans le faisceau lumineux puisque toute lumière diurne a disparu, un étroit et bas tunnel s'élance dans l'obscurité. Sans hésiter, me fiant aux traces de pas, je m'allonge sur le côté, pieds en avant et je rampe vers....sous terre où on perd notion de distance, de temps, de tout. Je n'ai pas peur, juste un pincement au coeur.

Et je débouche dans une autre grande salle où tout est également statufié. J'empoigne les solides stalagmites qui me servent à ne pas glisser, je crois que j'oublie de respirer pour respecter le silence. Mais quel silence ! Il est impressionnant car à nul autre pareil est le silence sous terre. Je ne suis pas sous terre, je suis dans une falaise. Il y a ce grand mystère au plafond, dans les puits, dans des orifices, dans des failles, dans d'étroits tunnels, il y a ce mystère de labyrinthes et d'eaux . Le mystère sans fond de ce puits qui s'enfonce sous terre, et où ne va pas l'amateur que je suis et qui me fait frissonner, un antre étroit et noir..... C'est curieux mais, au retour, ce tunnel où je dois ramper me stresse, et quand enfin se dessine, se devine une ténue lumière orangée, c'est quand même rassurant.
Bien sûr la grotte a SA légende ou ses légendes. Un jeune garçon serait allé délivrer sa mère emportée et cachée par un ours dit l'une d'elles...

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La sortie s'annonce |
La fascination cesse, la sécurité me happe, mais cette aventure solitaire m'a profondément marquée, j'ai du mal à m'arracher, à quitter cet antre de silence. Le motoculteur continue sa chanson, les oiseaux m'accueillent, les bruits d'en bas me rejoignent, c'est fini. Une asperge sauvage, à l'entrée, est dubitative et lance une interrogation qu'on peut interpréter à l'envi!
Fini ? Je reviens sur mes pas, traverse un arbre, emprunte la vire et pars en visite. Mon instinct me porte plus bas , un cairn m'invite et au terme de quelques acrobaties je la vois ! Une autre entrée, basse, triangulaire Cette fois; je m'introduis et découvre, outre quelques draperies, un immense puits insondable. Un aven. Il est surtout important de ne pas y glisser ! Ma lampe ne parvient qu'à esquisser le vide.
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Vue depuis l'intérieur |
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L'entrée de l'aven |
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Voilà : un pas en avant et on disparaît à jamais...un gouffre... |
Je bats en retraite, j'ai besoin de lumière, je retrouve le pierrier avec joie, le sentier sous bois et la mare d'eau glacée où je noie mon pied droit . En dégustant un solide en cas.
La mare, petite résurgence sans doute |
Peu après, je décide de ne plus suivre le sentier mais une sente ténue, qui part à l'horizontale. Elle a une histoire, cette sente, car des murets se devinent. Les falaises sont proches, je vois briller leur blancheur, cependant le fouillis végétal les rend imprenables. Soudain, sur ma gauche, une sorte de pierre tombale bizarrement ocrée m'attire, je la rejoins et j'entre dans le domaine de la stupéfaction : un four à chaux est à mes pieds, semi enterré, je ne vois pas son entrée, mais sa position est originale . Un grand fleuve de roche figée, en forte pente de lapiaz profondément crevassé, descend, immobile, au gré de cascades , jusqu'au four à chaux où la cascade a été profondément entaillée, dépecée; il ne reste que des débris, le reste est passé à la cuisson. L'intérieur du four a cette couleur ocre typique . S'ils avaient voulu faire cuire tout le fleuve, ils y seraient encore pour des siècles !
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Le fleuve de roche : roc du Midi en haut |
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Crevasses du lapiaz |
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en gros plan |
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Vers l'aval, tout au bout du fleuve se trouve le four |
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Au final, le fleuve a été exploité |
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Le final, exploité |
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Le four |
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Détails du mur et des vestiges de cuisson |

Le four voisine avec d'autres cuissons bien noires, les charbonnières et, continuant mon périple à travers oliviers abandonnés, je parviens à la route en longeant une ruine un peu étrange; il s'agirait d'une ancienne tour communicant par signaux avec le château.
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Oliveraie un peu abandonnée |
Décidément, ce petit village que j'aime tant, s'il a une telle âme c'est parce qu'elle est riche de toutes les âmes de ce passé qui rôdent au dessus des taillis et s'enroule au flanc de la Séranne. Je n'ai plus qu'à reprendre la route, je suis riche de ces instants.
(Fin des épisodes.)
A bientôt pour d'autres aventures !
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Pour rappel : 1 er épisode (clic)
Le trajet :
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerComme dirait un célèbre inconnu ( un certain lenine) , où il y a une volonté, il y a un chemin ! Et la peau de l'ours ne saurait y résister 😉
RépondreSupprimerJ'espérais déjà vendre la peau de l'ours sur le Bon Coin, mais finalement je n'ai trouvé que la grotte dans le bon coin....
Supprimerune belle aventure jusque dans les profondeurs de la terre !
RépondreSupprimerMerci Michel, tiens au fait, je pense que cela ne te déplairait pas
SupprimerQuel plaisir de découvrir ces magnifiques images et ton récit, c'est passionnant. Je te félicite pour tes exploits sportifs et te remercie pour nous en faire profiter avec talent.
RépondreSupprimerMerci beaucoup
Supprimermerci pour ta reportage; c'est très touchant comme toujours... Lilly Bisous
RépondreSupprimerMerci Lilly, bisous aussi
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