En ce dimanche matin un peu grisâtre, je prends sans grande conviction le chemin de l' Enfer.
Hier il faisait un temps étincelant et je n'étais pas là pour cause de vendanges.Aujourd'hui la saison 14 est finie et je peux me permettre le grand bol d'air.
Sauf que l'air est gris. Et que je ne pars pas tranquille.
Au Diable les mauvais pressentiments, allons en Enfer !
Le petit train siffleur va me conduire au sanctuaire de Nuria, départ des sentiers.
Justement sur la voie, deux isards randonnent et le petit train a beau siffler 3 fois, freiner, presque s'arrêter, le couple d'isards musarde. Tout le monde rit et s'étonne .
Nuria, 8 h du matin |
Silence rompu par l'angélus du monastère. |
Nuria, 1960 m tout en bas |
Je marche dans un paysage tout en douceurs, rondeurs et je me dis que ces collines qui n'en sont pas et ces montagnes qui n'y ressemblent pas ont quelque chose d'enveloppant, comme un ventre maternel.
Je réalise soudain que le Vierge de Nuria est la Mère de la fécondité.
Etonnant !Le lieu inspire même les athées dont je suis...
Je marche longtemps, sans me presser, dans un silence rompu seulement par le glissement d'une roche sous le pas d'un animal.Les seuls bruits qui me parviennent, avec le sifflement plaintif du petit train et celui impérieux d'une dernière marmotte.
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Mouflons femelles, aigle et mouflon mâle |
Au fur et à mesure que je grimpe, je revois mes projets à la baisse ! Quelle hérésie!
Quelques reliefs tourmentés annoncent les crêtes, là où la montagne se partage en deux versants abrupts, plissés, colorés, un rien orgueilleux. C'est le Pic de la Fossa del Gegant (du Géant), 2807 m, tourmenté.
Un entrelacs de minéraux.
Et j'atteins le Col des Neucreus (9 croix), 2777 m, chargé de mystères et de drames: ceux de la montagne, des orages, de la foudre, qui donnent des frissons d'inquiétude dans le dos. Si on y pense. Je n'y pense pas.
Je réalise qu'il fait froid et j'entreprends un strip tease pour mieux me rhabiller. Les gants sont de sortie.
Mais le paysage est sublime : enfin !Enfin je les vois ces lacs de Carança, au bout du monde et où j'étais allée au terme de 2 jours de marche voilà plus de 30 ans.
Etang des Truites |
Etangs Bleu et Noir |
Ciel sulfureux |
Le Pic d'Enfer n'est pas loin il y a du monde sur tous les sommets, alors j'avance.
Il y a un petit passage de grimpe avec les mains, sur du calcaire bien poli et pâle, agréable à escalader.
Un paysage grandiose et terriblement tourmenté, coiffé de brumes voyageuses et éphémères se dessine; je le lis. Je le reconnais.
Mes sommets d'hiver : les Bastiments et le Freser, que je parcours en crampons. Insolites vus d'ici.
Depuis les Bastiments je rêvais à l' Enfer, cet hiver.
Je le convoitais, le dessinais, l'évaluais, comme une inaccessible étoile.
Pic d' Enfer 2868 m |
Un paysage grandiose et terriblement tourmenté, coiffé de brumes voyageuses et éphémères se dessine; je le lis. Je le reconnais.
Mes sommets d'hiver : les Bastiments et le Freser, que je parcours en crampons. Insolites vus d'ici.
Depuis les Bastiments je rêvais à l' Enfer, cet hiver.
Je le convoitais, le dessinais, l'évaluais, comme une inaccessible étoile.
Pic Freser et Bastiments |
Les rares touches de couleur sont données par les lacs de Carança et d' Infern : les perles bleues d'un chapelet.
L'Enfer est très prisé : il s'est peuplé d'un coup d'une horde de Catalans bruyants, indépendantistes jusqu'au bout des doigts, qui emplissent l'espace d'une vaste clameur.
"Amb la bandera" |
Entre deux hordes je parviens quelques minutes à avoir pour moi seule un sommet empierré, rocailleux à l'extrême, calme, silencieux, nimbé de ouate et d'horizons diffus. Trois minutes de pur régal.
J'ai gagné mon paradis en Enfer. Et l'Enfer, cette fois, n'est pas sous terre, mais bien glacé, tout là haut, à 2868 m.
Je ne m'attarde pas, la nouvelle déferlante arrive.
Et je ne vois rien venir. Je suis juste à deux pas de l' Enfer!
Je marche vite, quand soudain une vague d'eau me cingle : la pluie, une pluie fine, venue du sud, cinglante, subite.
Le temps d'un nouveau strip tease précédant un enfouissement dans les vêtements de pluie et me voilà dans ce que j'ai toujours redouté et dont j'ai fait bien fi aujourd'hui : le brouillard.
Celui de la montagne, épais, cotonneux, opaque : je n'y vois pas à 20 mètres.
Et même pas peur ! Je suis attentive au léger tracé du chemin, sûre de moi, je dois bientôt rencontrer le bon GR 11, bien marqué, je vais y être, il sera là, à ma gauche.
Il y est mais...à ma droite ! D'ailleurs, la pluie, bizarrement a changé de sens ! La boussole me déboussole, je marche en sens inverse de ma route !!! (Vous savez que je suis allergique au GPS...)
Alors je panique, j'angoisse, je sors mon sifflet (instrument indispensable) et je siffle et je crie "Ajuda !" à un groupe de marcheurs catalans que j'entends en bas dans la ouate.
Je les rattrape enfin, c'est qu'ils marchent vite et ne m'attendent pas, ce qui ne se fait pas en montagne.
Des fantômes dans la brume. Ouf, sauvée.
Sauvée de quoi ? du froid, de la peur, de l'errance, de l'angoisse, que sais je ?
Je n'en serais pas morte , certes mais quelle peur!
Plus tard j'arriverai à comprendre mon erreur, à imaginer la stratégie que j'aurais employée si personne n'avait été là. Une option pour l'avenir.
Je leur emboîte le pas, tout en sachant déjà que je vais atterrir à ...70 km de mon camion, par la route.
(Une quinzaine de km par les sentiers)
J'ai le temps de trouver la solution...
On marche d'un bon pas sous la pluie qui redouble, on remonte à un col (la Marrana), on redescend sur des lieux familiers que je ne connais qu'en neige et on arrive au parking de la petite station de ski de Vallter 2000.Toujours plus fantomatiques.
Comment j'en suis sortie ? J'ai appelé un ami, pendant la descente, il a parcouru 100km pour venir me récupérer au village d'en bas...dans une voiture super chauffée, et m'a ramenée à mon camion, 70 km plus loin.
Quelle épopée !
En chiffres:
Dénivelé positif cumulé : 1200 m
Distance : 15 km