Prémabule : il y a deux voies "normales" pour accéder au Carlit, 2921 m.
La voie la plus prisée, la plus ludique, face est, côté Bouillouses, qui termine par de la varappe facile et amusante bien que musclée. 900 m de dénivelé pour 16 km AR. Une voie très fréquentée.
La voie sportive, face ouest, côté Lanoux, par un sentier très pentu , un large couloir au sein de la montagne, qui demande énergie et équilibre. 1300 m de dénivelé et 19 km AR (sauf si on fait une halte en refuge). Une voie moins fréquentée...ça se comprend !
Et puis il y a une 3 eme voie, bien moins prisée, pas fréquentée, qui permet d'arriver au sommet de façon inattendue et aérienne : l'arête sud, réservée aux pieds (et mains) montagnards.
Où je vais vous conduire en ces lignes.....
Bien sûr il est d'autres voies d'accès, par le Castella et l'arête nord est, ou alors des accès sans intérêt pour la plupart, par des couloirs ! Qui me tentent.
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J'ai envie depuis que Marcel m'en a parlé, de
voyager sur l'arête sud. Marcel ne m'accompagne plus, je crois que ma vitalité l'a dégoûté !
Coincée entre deux périodes de vendanges, cette arête sud, je vais l'aborder avec de la fatigue dans mon bagage. J'arrive tard, le soir,au parking des Bouillouses mais à 7 h 35, je démarre. Tout est gris, ce matin, une brume basse rôde, toutefois je la devine fugace et pas épaisse.
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Les Péric et le lac des Bouillouses: 7 h 35 |
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Randonneurs du petit matin |
Je m'enfonce dans la forêt silencieuse et rencontre vite les premiers randonneurs occupés déjà à manger.
Je croise le chapelet de lacs silencieux et paisibles, léchés par la brume qui rampe en surface et soudain, une jeune fille solitaire jaillit du sous bois, bien chargée. On fait un bout de chemin ensemble, elle est suédoise donc nous conversons en espagnol:-)). Elle étudie à Barcelone, un Doctorat sur la pêche écologique, en anglais. Elle a dormi dans le bois et grimpe au Carlit. Ma balade la tente mais je la décourage ; elle est trop mal chaussée! De simples tennis pour une arête, je ne prends pas le risque! Même si elle dit pratiquer l'escalade.
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Brume sur le Noir (étang) |
Nos routes divergent et pour moi, cela devient l'inconnu. Le silence et la solitude tant aimés. Le paysage doit me guider car ce sera du hors sentier. Je longe l'étang Long du mauvais côté; demi tour, ça commence bien. Finalement le brouillard me dessert; je dois contourner la base du Tossal Colomer mais le gredin s'est caché, ce sera donc en "mode sanglier" (sous bois, massifs de rhododendrons et rocs , le tout enchevêtré) que je retrouverai le vrai chemin légèrement cairné.
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Le Tossal Colomer est caché |
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Etang Llat dans la brume |
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En mode sanglier dans ce fouillis |
Je me fie à la carte et au souvenir du chemin à l'envers un jour, avec Ludo. Ce trajet éprouvant m'a crevée ! Mais j'avance. Le chemin devient facile, prise de dénivelé régulière et douce. Le paysage est beau, frangé de la brume qui s'est levée, découvrant les lointains tout bleus. Je suis dans la Coume des Forats, pierreuse, rouge, blanche et ocre, émaillée de petits lacs.
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Sentier dans la Coume dels Forats |
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Derrière moi, les bleus cerdans |
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Je vais vers les montagnes derrière moi : l'arête sud |
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Un des petits lac des Forats |
Un ruisseau bondit de l'un à l'autre, des sources naissent dans la mousse, seules tâches vertes et laineuses . Le paysage est minéral, variant du granit au schiste.
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Rond et beau |
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Source |
Dans ce cirque austère dominé par la somptueuse arête où pas un humain ni un animal ne se promène, je me sens remarquablement bien. Je ne vais pas vite, je savoure. Je bois l'eau fraîche jaillie du sol. J'ai oublié mon carburant de fruits secs et du coup j'oublie de m'alimenter. Je ferai presque tout le périple presque à jeun. Insensé ! Je m'en apercevrai 7 heures plus tard...
Me voici à présent au coeur du cirque des Forats ; il y avait, je le savais, un parcours bien plus facile pour rallier ce lieu mais je l'ai ignoré, préférant mon parcours sauvage et solitaire.
Je trace ma route en courbes de niveau pour éviter la cuvette du cirque où gisent les débris d'un hélicoptère abîmé voilà 30 ans. Brrr
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Au fond : 2520 m |
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Le cône de déjection et "mon" couloir au milieu, tel une virgule qui tourne à gauche |
De là, les festivités commencent : grimper au Col des Andorrans; un petit 200 m de dénivelé, 100 m de cône de déjection, 100 m de couloir. J'aime. Le cône est glissant, le couloir encore pire, je m'accroche aux murs et j'arrive en haut, fatiguée et heureuse.
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Le Col des Andorrans 2749 m vu depuis l'arête |
L'arête est là, pas effilée du tout, large, épaisse, raide et hérissée. On dirait que je vais escalader le dos d'un géant hérisson : je mettrais presque mes gants. J'aime trop la roche pour en isoler ma peau !
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Vue d'ensemble de l'arête : photo Ludovic Peytavi Cette photo donne l'échelle car on y distingue de petits personnages |
Le paysage de l'autre côté, côté ouest, m'est familier, j'en connais les pics, les plis et le reste, les dessous qu'on ne voit pas. Qui furent mes terrains de jeux ces temps derniers.
A présent, je vais enfin au bout de mon rêve !
Et je prends la roche à bras le corps, les mains sont de sortie !
Mes ongles exceptionnellement vernis, souvenir d'une belle soirée, vont prendre une sale tête !
C'est alors que je rencontre le gendarme ! Mais non...c'est un tas de rochers très verticaux que l'on contourne habituellement. Mais comme personne n'est là pour me le présenter et qu'il est en civil comme ses voisins, avec ma témérité, je l'attaque de front : se "payer" un gendarme, quel bonheur ...lol.. Je comprends vite mais j'y suis, j'y reste : prétentieuse ! Et ça marche. Sauf que soudain, à la désescalade, un pas trop long me bloque. Le vide, le pas trop long ? Soyons modeste...le gendarme a gagné, je le repasse à l'envers. Et je prends le contournement, faut respecter les autorités. Toutefois, comme il m'attire, à mi pente, je m'y "colle" à nouveau et en progression latérale, je le franchis, le dépasse, c'est gagné. Il ne m'a pas verbalisée !
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Le gendarme une fois franchi |
Plus rien ensuite ne sera difficile. Une simple formalité que cette arête. Un enchevêtrement de rocs : je trace du regard une ligne médiane, sur la roche, évitant au maximum les évitements sinon l'arête n'a aucun intérêt. J'escalade, nez au mur, vérifiant les prises car le schiste peut être très instable. C'est très carrossable à condition de ne pas verser dans les fossés assez profonds , plus de 100 m. Sur mon chemin je trouve un petit orri décoiffé, aussi mignon qu'incongru ! J'en profite pour m'arrêter à son restaurant et grignoter, je n'ai plus de forces !
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Le Tossal Colomer dans l'échancrure de l'arête, côté Bouillouses (est) |
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Je viens de là bas (en bas à gauche puis l'arête) |
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Coume des Forats, d'où je viens Mais que fait ce pin dans ce désert végétal à plus de 2800 m d'altitude : il est fou ? |
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Les lacs du cirque glaciaire du Carlit |
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Un orri incongru ! |
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Versant ouest : le Lanoux et le lac du Forat |
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J'essaie de grimper au maximum sur la roche en évitant les "sentiers" |
La pente est très redressée et si je n'ai plus de forces, tant pis pour moi! Un couple est au balcon, me regardant grimper, c'est le sommet, ils se restaurent au grand soleil.
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Au balcon du Carlit, ils me regardaient grimper Les Ximeneas en 1er plan derrière eux |
La pente raide les cache et soudain je débouche sur la civilisation à la terrasse panoramique de ce vaste restaurant d'altitude ! Où je ne penserai même pas à manger. Quel contraste avec cette foule, calme pour une fois car elle travaille des mandibules !
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La croix est encore sciée au sommet |
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Belvédère sur la Coume des Forats d'où je viens A gauche le Tossal Colomer 2673 m |
Je ne m'attarderai guère et je file au Carlit de Baix habité par quatre randonneurs; ils digèrent et m'offrent un verre de vin. Je refuse, j'ai encore choisi de l'arête et celle ci elle est plutôt aérienne. Pas question de s'envoler.
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Le Carlit 2921 m vu du Carlit de Baix 2806 m |
Au lieu de faire le retour par la voie normale trop peuplée, trop bruyante, je pars vers la Serra del Castella et les hauts plateaux où veille une stèle. Celle d'Olivier.
Décidément mon chemin est jalonné de morts...C'est un altiplano, nu et ras, culminant à 2700 m, battu des vents, qui domine les chapelets de lacs du Carlit ou ceux du Lanoux. C'est magnifique.
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L'arête que je suis |
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Au centre le Castel Isard 2633 m au milieu de son chapelet de lacs |
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Le Lanoux |
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Autre aspect, vu depuis la crête des Puigs de Sobirans 2785 m |
L'arête est effilée, je la suis un moment puis je prends le sentier, plus sûr, je suis fatiguée, mon pied hurle de douleur, je change de pneus à l'altitude Canigou, près d'un joli orri. Le temps se gâte, la brume revient rôder et une petite angoisse m'étreint. Il faut absolument que je redescende, le sentier de retour est trop loin, je peux me perdre sur ce plateau . Alors je pique droit dans un entonnoir de pierres glissantes et instables et, mal chaussée, je dévale : 500 m de dénivelé. Changement de pneus indispensable! J'évite les névés et me calme au contact des ruisseaux, désormais la brume peut arriver...J'ai choisi ce parcours au feeling et j'ai bien fait ; il est le seul valable. Quel bijou, quel bonheur...Je le referai un jour, trop beau !!
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Vue de mon trajet le lendemain par beau temps |
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Gros plan : un trajet splendide |
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Détail : vers l'aval |
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Et au milieu coule un ruisseau né de nulle part, se jetant dans le Sobirans (étang) |
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Enfin sur le plancher des vaches ....2330 m, le Sobirans |
Me voilà au ras de l'eau, arrivée pour ainsi dire ...Je réalise que j'ai l'estomac vide, les pieds en feu...Je soigne ce beau monde et rentre d'un pas tranquille ..."Comme tu vas vite! " me disent deux catalans..(ah bon ??? !!!)...le regard de leur vieux petit chien épuisé qui demande à être porté et subit un refus me hante longtemps...J'ai envie d'aller le chercher et le porter, ce "Pépé" au regard suppliant qui ressemble tant à ma Nina..Je tais ma sensiblerie, cela ne me regarde pas...
Soudain dans la forêt, une immense clameur jaillit, faisant trembler les arbres et effilocher la brume : une espagnole fait une chute bénigne et tout le groupe hurle, rit, s'esclaffe, cela durera longtemps... C'est ainsi, chez eux...Les Français, à côté, ont toujours l'air d'être à la messe...
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Carlit, arête sud( à gauche)...ce n'est qu'un au revoir... |
Me voici arrivée, j'ai pris mon temps, 11 heures d'absence, 11 heures de régal.
Mais...c'est pas fini..Le point d'orgue sera le repas au "refuge CAF"...somptueux...Comme toujours...Nous sommes 50 à table...c'est tout dire !
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J'y reste !! |
En chiffres
Temps de marche...estimé à un peu plus de 9 h
Dénivelé positif cumulé : estimé à plus de 1050 m
Distance : environ 19 km
Original et splendide ce circuit pour atteindre le Carlit, il te ressemble ! Très belles photos notamment de brume, toujours de l'humour et de la fantaisie dans le texte, c'est un plaisir de te lire, on sent que tu te régales et tu nous régales. Jeudi nous allons essayer de faire les Pérics en partant de Font Grosse au dessus Des Angles... Quelle pêche Amédine, une forme Olympique !! Les Dinausores t'envient....
RépondreSupprimerLes dinosaures pourraient tenter les Péric par l'arête menant au grand : c'est un merveilleux parcours que j'ai fait en grande partie(l'arête) et que je referai en son entier. Pourtant ce jour là, qu'est ce que j'allais mal ! Régalez vous. Si je n'étais pas en vendanges je vous dirais RDV au sommet ! Bisous et profitez
SupprimerLes Dinosaures ont déjà fait les Péric par l’arête menant au grand, c’est la voie la plus belle et la plus aérienne, la plus facile est celle passant entre les 2 Péric. On peut aussi gravir le petit Péric par le sud où passer par les Camporeils et faire l'arête Est du petit Péric avant d’arriver au grand. Un jour peut-être on pourra faire les Péric ensemble ! Bisous.
RépondreSupprimerje suis montée au Grand Péric par l'arête, pas en intégralité , juste comme je me sentais épuisée sur le sentier, pour me motiver j'ai fait un tout droit et entrepris l'arête. Un régal mais j'étais vraiment mal ce jour là. Ensuite je suis redescendue sur la vallée de la Llose par une tartera, c'était superbe. Bisous et tous mes espoirs qu'on les fasse ensemble. Il faut aussi faire le Pic de Camporells par l'arête
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