samedi 12 mars 2022

Villefranche - 66 - Le jour d'après : Ambulla et ses trésors

 Ambulla ou Ambouilla ou En Bullá est l'un des trois massifs face à la montagne de Villefranche. Sur la commune de Corneilla du Conflent.



Chacun est séparé de l'autre par une vallée; le massif d' En Bullá, 813 m, est séparé du massif de Badabany (793 m) par la vallée du Cadi, et le massif de la Serre, 775 m, se trouve au delà de la vallée de la Rotja.

Aujourd'hui, je change de rive, je passe en rive droite de la Têt, je change de commune, ce sera Corneilla de Conflent, je change d'objectif, je ne cherche rien qu'à me reposer, observer, aujourd'hui, je monte à En Bullá pour me décrasser de ma rando d'hier mais surtout pour regarder mes pérégrinations d'en face et étudier le trajet du chemin perdu depuis un bel observatoire.

La montée est hyper plaisante, j'ai la pêche, la montée est régulière et bien "balancée", le paysage beau et surtout nouveau, je plane !

Un chemin muletier bordé de beaux murs style militaire (et pour cause !) monte dans cette partie dans l'ubac, boisée, rocheuse, escarpée, coupée d'éboulis, murettes et filets dits "pare pierres".

Le sentier et ses murs

Le paysage est ailleurs : derrière moi, Villefranche s'éveille au soleil doré. 

Cultivait on quelque chose dans ce terrain ? Et oui ...de la vigne...C'est surprenant. Je ne le sais pas, pendant ma rando. Je pense que c'est le domaine des bois et de la pierre. Erreur...La Garriga d'en Potis produisait du vin.

Soudain, surprise! Je croise un cours d'eau, modeste et bondissant, le Canal de Bohère. Il ne figure pas sur le cadastre napoléonien car il fut débuté en 1864 après plus de 30 ans de tergiversations et de querelles entre villages. Quelques ouvrages racontent sa très tumultueuse histoire.


Le canal de Bohère

Le décor est dans mon dos, Villefranche et la vallée, et sur ma droite, toute la montagne escarpée, terrasses, falaises, et mes chevrettes qui s'activent.  De l'autre côté de la Têt, ce décor où j'aime tant évoluer; si je n'en connais pas le moindre recoin, j'ai bien redessiné le paysage sous mes pieds et mains effrontés !  De la vallée monte le vacarme, bientôt j'entrerai dans le grand silence. Celui que j'aime.



Je me repais du panorama, je cherche à y décrypter mes souvenirs, j'y étudie mon futur, qu'il fut proche ou lointain.
En images la montée sur ce sentier où la rudesse du terrain calcaire voisine avec la fraîcheur et l'humidité du secteur ravin.

Un site plein de grottes et de chèvres sauvages



Les voilà mes copines les chèvres

Davantage zoomées


Mon champ d'investigations (randos précédentes)



Une des grottes


Pas l'embarras du choix : elles sont inaccessibles


Je ne pouvais que laisser errer mon regard dans ces paysages où j'ai tant marché. Vus d'ailleurs, cela  m'apporte un plus mais vus de l'intérieur comme j'ai pu le faire, c'est un lot d'émotions très personnelles.


On va s'enfoncer en forêt

Puis le sentier vire dans la forêt, dans l'ombre froide et humide du Bac de la Trancada, je longe un ravin sans nom,  qui parle pourtant: terrasses, murets barrant son cours, oui il était domestiqué comme tant de ses confrères. Les oiseaux de printemps s'en donnent à coeur joie. 695 m d'altitude.



En forêt



Le ravin et le sentier, au milieu d'anciennes cultures
ici c'étaient des terres.

Facéties d'un tronc qui cherche encore son chemin

Ainsi je débouche au terme de ce sentier, sur un plateau à 700 m d'altitude, un peu "encagé" troupeaux d'été obligent. Entre le Camp del Gascó et El Serrat.

La plateau

Un sentier reposant : ne pas chercher son chemin, suivre le tracé, le balisage, les panneaux. Je peux avaler du km dans ce terrain où rien ne semble devoir arriver. Justement à ma droite un sentier indique "Point de Vue. Bergerie". Je suis venue pour du point de vue et si je dois encore monter, cela en est le prix à payer. Pas très fort, le prix. 

Une haie de pruneliers sur ma gauche

Prunelier sauvage ou Epine noire 
(Prunus Spinosa)
Propriétés nombreuses, système digestif notamment













La bergerie romane ? Allons voir. Là c'est la découverte ! Un bâtiment rectangulaire qui ne paie pas de mine, au toit recouvert de mousses et d'herbe. Toutefois un panneau pédagogique avertit le promeneur qu'il va voir quelque chose de beau et, dès le seuil, c'est "waouhh"!

En images :

Extérieur (9m x 4 m x 3 m haut)

Etudiée par les archéologues, cette construction est datée pré romane. Elle servait à entreposer le lait de la traite et à fabriquer des fromages. Un bijou architectural.

Quand on voit ça....





Le plafond

Vers la sortie
























Je reviens sur mes pas, destination le point de vue, à 760 m m'arrache un second "waouhh", oui mon vocabulaire est pauvre ce jour. Mon cerveau fait relâche!
le site est protégé par une balustrade en bois, sous les pieds, un surplomb de  300m de vide. Là c'est le décor dans toute sa splendeur. Il n'y a pas de son, juste des images, là haut.
Je vais passer du temps à étudier mon parcours d'hier, vues aériennes doublées du cadastre en main et c'est très parlant : c'est ici, sur ce perchoir rocheux que "les pages blanches de mon livre d'hier se couvrent de certitudes" et que je sais enfin que j'ai réussi.
Le voilà : et à la maison, après d'efficaces recherches j'aurai enfin la preuve qu'il s'agissait d'un chemin de débardage, descente des bois venus des forêts Royales. La preuve me viendra du nom qu'il porte tout en hait : "chemin de la Tira". La tira est "la piste qui sert à transporter des troncs d'arbres" (Lluis Basseda, Toponymie Historique de Catalunya Nord). 

La seule réponse que je n'ai pas est " en ai je fini avec ces recherches là haut ?".

En jaune, le chemin de débardage
En bleu, à peu près, la canalisation d'eau
Cercle blanc : Eglise St Etienne



En images depuis mon perchoir :


Le plus beau décor et la vallée de la Têt

Du Massif d'Embulla, le Massif de Badabany
 puis de la Serra, sur cette rive




Qui s'étire et fait le gros dos ?

Le Roc Campagna et son piémont où je me suis frayé un chemin sur le sentier militaire

Fort Libéria et sa redoute


Anciennes terrasses de Sta Eularia et la réserve de rocs taillés

Au zoom, pour l'extension de Fort Libéria au 19 eme

Et tant d'autres choses que je découvre, les carrières de marbre et de talc, toutes proches, St Etienne au loin sur son perchoir, le Canigou plus sinistre que jamais...Je décide de rentrer par la Redoute.


Je retraverse le plateau et sa vaste étendue où gisent quelques ruines d'anciennes bergeries. Il y a partout des tas de cailloux, vestiges d'un sévère épierrage par le passé, afin de pouvoir cultiver. Sur le cadastre napoléonien de 1807, aquarellisé, écrit d'une jolie plume à la calligraphie anglaise,  les géomètres ont dessiné le paysage avec des mots : Terres, Vignes, Friches.

Très morcelé, le paysage était une imbrication de parcelles verdoyantes, à 700 m d'altitude, sur fond de Canigou aux mille visages. Selon l'heure, le jour, la saison. Des alignements de bornes, comme de petites sépultures, jalonnent le terrain. Aujourd'hui, ce sévère plateau austère, partage sa vie entre chênes et plantations de cèdres, sous lesquels d'anciennes cultures sommeillent puisque de gros tas de cailloux en sont les témoins muets.

Nature des cultures 1807

Belle calligraphie à l'anglaise

Ruines de cortal sur fond de Canigou

Epierrage ancien

Plantation moderne de cèdres

Un des chemins du plateau, entre chênes verts et cèdres, très poétique

Chemin faisant, toujours en suivant un balisage parfait, je bifurque vers la Redoute. Un bijou de petit édifice militaire construit au 19 eme siècle pour renforcer les défenses de Villefranche et sa vallée puisque Une invasion pouvait se faire par le plateau, invisible depuis Fort Libéria.


Capture d'écran Géoportail

Un sentier grimpe sur le point culminant du secteur à 813 m : je suis surprise par le côté miniature de cette forteresse, ses fossés étroits et profonds, sa contre escarpe toute faite de pierres sèches. Il semble même qu'une carrière soit située 20 m en contrebas. On peut y voir un muret de chargement.

Le fortin possède une petite casemate un peu sépulcrale mais à l'architecture superbe : 

Fossé et talus de contre escarpe en pierres sèches


Fossé, profond et étroit



Intérieur

A présent je pense pouvoir descendre, j'ai TOUT vu et même au-delà. Mais...c'était sans compter avec les merveilles de la Nature. Certes le sentier militaire avec ses 8 épingles est beau, parmi les éboulis, les sols arides et les pins de Salzmann. Je compte les lacets, j'observe les murs, les bas côtés rocheux pour voir s'il y a des traces de taille de rocher, je m'approche du ravin sans nom, je vais clôturer la boucle lorsque une ouverture à ras du sol, protégée mais non fermée par une grille m'intrigue. J'entre alors dans une grotte, où ma lampe est nécessaire. Je m'aventure, délestée de mon sac, et sur plusieurs dizaines de mètres, je découvre le décor noir, bleuté et nacré, scintillant, de ce boyau ciselé, travaillé, au plafond empli de cavités. Il n'y manque qu'une chose, les stalactites qui ont été pillées, jusqu'à la plus petite. Leur coupe est belle avec des cercles concentriques de couleurs dégradées. Quelques chauves souris dorment de leur sommeil hivernal. Tout au bout du boyau, une sorte de cascade pétrifiée jaillit d'un orifice haut perché, inaccessible. Alors je pense au réseau Lachambre qui parcourt cette montagnette d' Anmbulla, sur deux étages souterrains et 26 km. Réseau découvert en 1981. J'y ai pensé, en randonnant, à ce "gruyère" sous mes pieds... Mais quand le "gruyère" se pare des images empruntées sur Internet, alors des mots plus poétiques s'imposent.  Merci Sandra Ole...

Images Sandra Ole, Site Wikiloc :


Le réseau Lachambre (du nom du découvreur, 1981)
26 km







Mon réseau fut  plus modeste et m'enchanta...

Ma rencontre qui doit être liée à ce réseau, est très modeste, mais se retrouver dans le noir et découvrir sous le faisceau de la lampe ces jeux de couleurs, de mouvements figés pour l'éternité, entendre ce silence sépulcral, avoir cette pointe d'angoisse qui se bat avec la curiosité, c'est un moment exaltant malgré son peu de valeur. La valeur, c'est mon ressenti, et il est grand.... 


Sépulcral, silencieux et angoissant




Le plus beau et pas abimé






Draperies



Une colonnette



Comme dans la pub "je me sens un peu coincée"
oui mais pas dans du chocolat 


Le terminus, si c'en est un, est un ruisseau pétrifié et
humide jailli de l'étage au dessus


C'est rassurant, ce trou de lumière



Brisures de stalactites



Je n'ai plus qu'à m'extirper de ces superficielles entrailles de la terre et regagner mon véhicule du pas rapide et cadencé d'une belle et riche balade pleine de petites trouvailles, éclectiques et prenantes.
Allez, une nouvelle porte vient de s'ouvrir...A bientôt...





En chiffres :
Distance : 10.8 km
Dénivelé : 450 m environ


En blanc le trajet en boucle
En rouge la partie aller retour




4 commentaires:

  1. Toujours de belles découvertes, je ressens ton émotion et ton exaltation dans le texte. L’architecture de la bergerie est remarquable, ta grotte impressionnante et le canal encore en état. Le sentier militaire plairait à quelqu’un… bises.

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    1. On pourrait se prévoir cette même rando prochainement, ce serait sympa, avec pourquoi pas? petit bivouac. Et le lendemain changer de rive et aller faire un tour du côté de Bel Lloc et l'autre chemin militaire. Pas le grand compliqué que je garde pour les beaux jours de printemps. Bises

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  2. Supern tu découvre toujours des choses insolites, bravo et merçi

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    1. je me régale et j'aime bien partager mes trouvailles

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