jeudi 10 août 2023

Puig de Font Viva (2673 m, secteur Lanoux) par la Serre de Font Viva

 Un de mes vieux projets, le Pic de Font Viva, n'a pas le prestige de ses voisins Carlit, Coll Roig, Pedros et Coma d'Or. Mais sa position en bout d'un éperon qui domine deux vallées et l'étang de Lanoux en font un belvédère attirant. Par où le gravir ? Aucun sentier sur les cartes mais la voie d'accès évidente est la Portella de Lanos, 200 m en contrebas. Pourtant cette voie ne m'attire pas, j'ai toujours regardé les arêtes qui y conduisent. 

Pic de Fontviva, 2673 m (à droite) 

Cependant ce ne sera par aucune d'elles, un chemin s'est imposé à moi depuis l'étang du Passet (vallée du Lanoux), c'est une crête peu tourmentée, à cheval sur deux vallées, qui respire le bien être et la Solitude.

Remonter du Passet jusqu'à la crête est une gageure de plus de 500 m de haut, pleine pente et raide au possible. Bon pour ma hardiesse, illusoire pour mon âge. J'irai donc chercher ailleurs un accès, ce sera le problème à résoudre. 

Une partie de la crête vue depuis L'étang du Passet : 600 m de dénivelé

Sur cartes et vues aériennes, un  accès s'impose; heureusement je prends le soin de vérifier la veille et c'est niet ! Des barres rocheuses, des sapins, des pare avalanches, stop ! c'en est trop.

La carte me dit "contourne par Cortal Rosso" et en ce matin brumeux et froid, 5°, chaussettes aux mains en guise de moufles, j'entame la longue piste de Cortal Rosso à partir du Puymorens (1992 m), la brume à mes trousses ajoute au décor, le soleil se frayant un passage éveille couleurs et prairies, la cascade envoie sa musique changeante au gré du vent glacé, la mise en jambes est douce, 17 m de dénivelé en 2 km, qui dit mieux ? Dès que la cabane est en vue le paysage se déleste de sa couverture grise pour me permettre de choisir mon passage, car il est possible depuis le fond du vallon, mais...non. Trop d'arbres qui masquent la crête, trop d'incertitudes, trop peu de motivation. Tant pis, je poursuis la piste après visite de la cabane vide, propre, comme bâtie la veille (reconstruite en 1960). (2090 m, 3.85 km, 1 h)

Féérie de brume




Prairie de Cortal Rosso


Et cabane


Alors je continue la piste, la pente du côté adret ou solana est lisse au regard, impraticable aux pas. Du genêt en coussins épais.

Genêts purgatifs

 La piste semble interminable, elle a été construite pour les installations de captage d'eaux. J'arrive  à la gorge de la Rivière Cortal Rosso, un très joli torrent qui cascade au fond, et invite à la baignade mais pas dans l'ombre quand même. Testée, l'eau est à 6 ° !! 


La cascade et la végétation de falaise

Justement, avant de tester l'eau, quand la piste la retrouve, la montagne m'appelle de son cri silencieux destiné à mes yeux  : "Regarde ce que j'ai" et un magnifique mur, de l'autre côté du ruisseau est aussi incongru qu'un bar tabac ici ! 


Le muret vu du chemin


Je traverse et je pars à l'aventure : ce mur soutenait un ancien chemin, il est lisible sur 3 m et s'évanouit dans une savane d'herbes. 

 Je fonce ! C'est là que la rando prend enfin du sens, dans l'inconnu. L'inconnu c'est une savane d'herbes en courbe de niveau où file une mince sente animale, sur quelques 300 m avant que de se perdre dans la forêt naissante; je balise quelques arbres et je me retrouve dans ce qui fut sans doute une estive, le pourquoi de ce chemin (à 28 mn, 2150 m) .


Unique vestige du chemin
La suite du vestige : peu praticable

                                                                              






 




A présent, à moi, l'inconnu : c'est une pente végétale que je vais gravir : elle ne fait que 155 m de dénivelé, cette pente, sur un demi km, mais je zigzague pour éviter jeunes sapins, vieux troncs, rocs et marécages. Jusqu'à un terminal de rocs que je finirai de grimper avec aisance, des animaux viennent de terminer une vidange discrète.

La grande pente d'accès à la crête


Voilà dans quoi on marche


Et le final


Mon terrain de prédilection

 Et je débouche à 2311m, après 5.93 km et 1 h51 de marche effective, entre deux canines, sur un minuscule col avec vue imprenable sur l'étang du Passet, j'y suis ! Pari réussi. Je prends enfin un en cas, séchée d'inanition, surveillée par un isard solitaire. La harde y est mais cachée. Je mesure combien la montée de 606 m en voie directe eut été assassine !


2311 m, la crête, quel décor . 600 m plus bas étang du Passet

Me voilà donc sur la crête, je n'ai plus qu'à la suivre au plus près de sa ligne d'équilibre et du plus joli point de vue : ce sera côté Passet. Cela commence par des rognons rocheux pour une bonne mise en jambes. Pas solides ni sûres les jambes mais on va sermonner tout ça et peu à peu, elles vont se délier, les articulations s'assouplir et l'équilibre s'inviter...mon Dieu, quel discours je tiens, avec l'âge, quelle horreur...

La déclivité sur 600 m

Ce que je viens de gravir




Et le superbe Passet


Toutefois, le lièvre qui quitte son abri devant moi n'a pas l'air inquiet de mes "prouesses" et il court sans hâte. Le premier bon obstacle après cette grimpe sèche est une colline arrondie que je nomme "la Coupole", 107 m de montée avec un panorama élégant. 2418 m j'y suis.

La montée à la coupole


Même chose mais dans mon dos, ce que je viens de gravir





Une idée de la pente  et le petit étang de Fontvive qui se profile à droite


 Ensuite la crête va onduler paisible; à 2480 m le sommet se dévoile et l'arête qui va avec, noirâtre alors qu'ici tout est vert et gris clair, belles dalles de schistes ordonnées comme jeux de cartes au soleil.

2410 m, là où je vais en fond (droite)

Je marche, j'avance, je scrute, j'admire, j'écoute, je savoure, en un mot : le paysage, la lumière, les dizaines d'isards qui batifolent en roches côté Ruisseau Cortal Rosso, les perles d'eau de Fontviva et du Passet, la pente raide qui me séduit malgré tout, les ruines qui s'y étalent au grand soleil et la crête d'en face, Serre de la Portelle de Bac d' Hortell, un nom aussi long que le chemin aérien qui conduit, débonnaire, aux Coll Roig, 2500 à 2803 m, avant l'arête. J'irai, c'est sûr.

Juste quelques uns


Quel décor, de là haut !



Pic Pedros










Etang de Fontviva et les coll Roig



D'où je viens 
En fond vallée du Camcardos



Et où je vais

Une ruine de modeste cortal perché au milieu de nulle part, dans une pente raide est surprenante.

Je dessine aussi le profil de mon parcours, par tranches. C'est amusant et bon pour la mémoire. Altitudes, distances, un guide. Voici une brèche, les dalles se sont effondrées. 


La brèche

Ici la couleur change avec la lumière car cela devient vertical : un mur m'attend, qui m'évoque les Piques Rojas et que j'empoigne avec joie, j'attendais ça. Facile, le mur de 42 m qui m'amène à 2599 m, les prises sont bonnes, je me hisse sans mal.. Il y a des évitements, mais ils ne m'intéressent pas.






Une harde d'une cinquantaine d'isards court dans les dalles de la face Cortal Rosso. Un peu plus loin ce seront 28 m d'escalade, une petite cheminée comme je les aime.





Je conduis ça comme mon tracteur
ou mon camion !

La jolie rencontre, soudain ! Il a peur, il gratte le sol, il ouvre et ferme sa bouche comme un chat effrayé, il souffle, il est jeune et je suis peut être son premier humain ! Quel privilège...

Dans l'autre vallée c'est un peu moins sauvage, malgré des airs de chevauchée dans la Pampa.







Ensuite, grand moment de solitude, une énorme brèche semble couper le trajet, difficilement évitable pour un non isard. Comment contourner ces pavés ? Certes un confortable fauteuil sur vide invite à faire une halte mais ne croyons pas au chant des Sirènes, la chute peut être brutale !




Fauteuil


A 2656 m, la vue sur le Lanoux est splendide, superbe perle bleue sertie de l'argent de ses rives desséchées.


Première rencontre du regard.

 Quant à la brèche c'est une ridicule descente sur un petit col qui conduit au Pic. je rencontre les premiers humains et je vais explorer d'abord une petite arête aérienne qui conduit à un belvédère sur la Portella. Je nomme Eperon ce pic à 2650 m, et je rallie le col en vue du Pic de Fontviva. 


La descente en dalles, le col, 2635 m et le Pic de Fontviva à remonter








Et le joyau !

C'est une montée facile dont je longe la lisière de l'abîme.  Faite de grosses dalles empilées, celles ci  connaissent leur destin, plonger dans le vide, et laisser la cassure déchiquetée, c'est la règle. on ne s'y pliera pas ce jour et en quelques minutes j'atteins le sommet aussi discret que désert, avec vue imprenable. 2673 m, 8.96 km et 3 h 25 de marche. 


Pic de Fontviva et Carlit se dédaignant


Les grands sont là, de près ou de loin, les moins grands essaient de se rappeler à mes souvenirs, et les étangs, les couloirs, les arêtes. J'en ferai mon dessert au soleil après repas, j'en ferai mes rêves et mes souvenirs, j'en ferai même mes étonnements "j'ai fait ça ?". Tout me parle ici, bousculade de sensations, souvenirs et joies. Lointains ou proches, ils pullulent ces moments de grâce...Des hirondelles curieuses ou furieuses viennent raser mon turban, rien ne peut me déranger.



En jaune la rando du jour de mes 69 ans, délicieux souvenir de très forte grimpe



Une autre arête d'accès au Fontviva, pas facile en déclivité


Cela peut être un chemin d'accès.

Repas à l'ardoise



La cascade de mes délices mugit au fond de la vallée et vient jusqu'à moi.



Il est plus de 14 h lorsque je décide de rentrer, par la Portella, évidemment ; une descente agréable sur un sentier non balisé mais lisible, entre herbe et éboulis, 170 m plus bas je touche au col. 


Le chemin du retour, descente dans la vallée et captage des eaux vers une galerie


A présent je vais descendre par le sentier, ce sera long, mais la partie (3 km), avant de retrouver la piste, est magnifique : petites gorges, cascades discrètes, fleurs, éboulis, relief tourmenté au plus près de l'eau, dans un désert minéral à l'herbe rase.

La Portella de Lanós ou col, 2465 m

En route pour 8 km de descente

Magnifique poison mortel
Aconit

Désert minéral

Il y coule une rivière, en cascades

Je viens de là haut

La forêt embaume


 M'attend ensuite une vallée glaciaire à fond plat où paissent des chevaux et serpentent des ruisseaux, rien n'est ennui, tout est curiosité. 

Chemins d'eau dans la prairie


Indifférence équine. Dans ce secteur se trouve un captage d'eaux
 vers Coma d' En Garcia puis vers l'Ariège 

La piste est là, elle va durer 5.1 km, un peu ennuyeuse, il est vrai, mais encore je verrai quelques curiosités et puis la lumière, le plein soleil.

Retour sur la piste
 Le mur me sourit au passage, (la boucle est refermée), la cabane ruinée au toit effondré me fait l'aumône d'un coin abrité où me glisser et, sur la piste, les curieux vestiges de tuyaux capteurs d'eau, sans doute voués à l'arrosage des prairies en contrebas. 


Ancienne cabane et nouvelle, visible en bord de piste


Vue de face

Et de l'intérieur : "surtout, attends pour t'effondrer!'



Ils sont une demi douzaine des vieux tuyaux pas des canons

Oui il y a toujours une nouveauté dans un trajet connu. Il y reste tout ce que je n'ai pas vu, ni en mai 2016, ni aujourd'hui avec mon regard pourtant devenu acéré.

La prochaine fois....


Le regard acéré de Nina



En chiffres :

Distance : 17, 74 km

Dénivelé positif cumulé : 860 m

Temps de marche : 6 h 05

La route : 250 km AR

Le circuit


8 commentaires:

  1. magnifique rando. J'aime bien le secteur, même si je ne suis jamais allé sur les crêtes. Du bon Amedine. GV

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est un secteur où tout le monde peut trouver "chaussure à son pied" car tout y est beau, même si c'est assez désertique

      Supprimer
  2. toujours appétissant ce voyage dans nos montagnes. De beaux et jeunes mouflons sur ta photo ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne sais de quels animaux s'agit il, je nomme isards tout ce que je ne sais identifier. Je suis nulle en connaissance animale

      Supprimer
  3. Toujours le chemin le plus improbable et le plus ardu ... le plus beau aussi. Et cette passion du roc comme une gourmandise.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Jolie expression, comme une gourmandise, c'est vrai. Quant au chemin, je l'aime original, ce qui ne va pas toujours avec facilité

      Supprimer
  4. Voilà un récit que j'attendais avec impatience et tu ne déçois jamais tes lecteurs. La photo du Pedros sous cet angle pourrait aussi se nommer le Tres Punts. C'est encore un itinéraire original qui ta ouvre la porte d'un beau sommet loin des moutons de Panurge qui vont au Carlit en rang d'oignons. Bravo Amedine, tu assures grave ! Ludo

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et non, ce n'est pas le Trespunts, mais bien vu. Tu avais fait ce Pic je me souviens et j'avais toujours gardé cette idée en tête, tu vois je l'ai réalisé, loin des foules et des sentiers battus, ce que j'aime.

      Supprimer

Votre commentaire: