Il n'est que les mots du titre que j'ai empruntés à Amélie Nothomb. On est loin du thème.
Dans le secteur du Puymorens, aux confins ouest des Pyrénées Orientales, existent quatre crêtes orientées est / ouest, la crête du Tossal Mercader aux Trespunts (et Tossa Redona) la Serra de las Llosas, La serra de Fontviva et la Serre de la Portella del bac d'Hortell. Toutes culminent à plus de 2500 m et des vallées les séparent dans ce relief plissé. Mon projet est de les parcourir toutes les 4, j'en ai déjà deux à mon actif et j'ai souhaité parcourir dans l'autre sens celle des Trespunts car j'avais négligé le Tossal Mercader pour raison d'horaire avancé. C'est la plus au Nord et cette fois, j'ai opté pour le sens inverse de ma marche précédente. Ce sera ouest /est.
------------------------
En ce 14 août 2023, je démarre du parking (1968 m) surpeuplé de camping cars et de bovins les câlinant en donnant de la sonnaille et j'emprunte pour la première fois une piste qui monte au faite d'une montagne, presque au sommet du Tossal Mercader, dans une série de 14 lacets sur 5 km. Une pente régulière de 10%, bonne mise en jambes sous un vent du sud aigrelet, une piste qui intrigue les randonneurs car elle ne va nulle part. Je la suppose dévolue aux pare avalanches.
|
Presque au bout de la piste |
Seule dans le matin froid et venté, avec un panorama qui s'ouvre et dévoile des chapelets de sommets ariégeois, catalans et andorrans, j'avance.
|
Ce n'est pas de la neige, ce sont les schistes de la Serra dels llosers |
|
Le joli cylindre d' Escobes |
|
Graphismes montagnanrds et Etang de Pedourrés (Ariège) |
|
Porté Puymorens |
En haut de la piste arriveront deux marcheurs et un cycliste, on va tenir salon sous le vent du sud. Un magnifique sentier fonce vers les reliefs déchiquetés d' Ariège, on appelle ce sentier celui "de la cabane verte", il est à peine esquissé sur la carte, évoluant dans des pare avalanches. Il est attirant car escarpé et en lacets serrés.
Je quitte le salon et m'élance pleine pente vers le Tossal Mercader, 2547 m, (6.68 km), son antécime et sa cime battues du vent furieux. Dans une pelouse jaunie et échevelée.
Depuis un moment je suis affectée de tremblements, fatigue et mollesse, je les dois au programme "remise en forme" que je poursuis afin de perdre des formes mais je perds avant tout la forme. Je fais connaissance avec la galère des tremblements, des carences, du pas incertain, voire du presque vertige et de la suffocation. L'envie d'arête s'interroge . Justement, dès le Tossal, la voilà, l'arête, belle, descendante, faite de gros blocs pâles sur lesquels je vacille. Stupeur de trembler ainsi ! Angoisse de tomber aussi. Je la franchis pourtant.
|
Descente en arête |
|
Et l'arête descendue |
J'avais un projet de pic au nom étrange d' Esquifolaygue (2404 m), à 181 m en contrebas du Querforc; j'attends de voir son visage, j'ai déjà peur des 181 m à remonter. Quand je vois le secteur déchiqueté et accidenté, je renonce. On y va en dansant, pas en tremblant. Et même mieux, on n'y va pas du tout, par le Querforc, une falaise de 50 m de haut barre l'accès. J'ai bien fait de ne pas le tenter. Le passage est ailleurs.
J'arrive au Querforc, 2585 m, (7.8 km), la montée y est douce et rassurante, le panorama sur l' Esquifolaygue pas engageant et dans la pente, un isard solitaire est aussi malhabile que moi : il hésite, trébuche, cherche son chemin, son regard mort et pitoyable se lève sur moi, je ne bouge pas pour ne pas effrayer le presque aveugle qu'il est devenu et, avec des pas précautionneux d'infirme, il descend doucement vers la mort qui l'attend patiemment. J'ai le coeur serré.
|
Crête échevelée |
|
le sommet dans envergure du Querforc |
|
Plongée vers les "clotes du Querforc", cuvette d'éboulis |
|
Le pauvret |
|
Quelque part dans la barre rocheuse du centre le Pic d' Esquifolaygue 2404 m |
Aussi peu à l'aise que lui, je descends l'arête du Querforc, devant moi se dessine, superbe, une arête, 100 m en contrebas, qui va se redresser vers les Trespunts. 100 m de descente, que j'avais montés sans souci et en sens inverse : voilà que soudain, stupeur ! Je suis incapable de descendre.
|
Je ne sais pas descendre ! |
Je me trouve en surplomb du col, comment est fait ce surplomb ? Je ne vois rien. Je peste, je l'ai quand même monté non, sans souvenir de difficulté ? Rien. La seule difficulté je la connais, elle est plus loin. Je m'engage dans une cheminée, côté Coma d' En Garcia, je désescalade avec des jambes tremblantes comme des vrilles au vent, je remonte avec l'impression de sauver ma peau...ah c'est pas "un jour avec", aujourd'hui ! Allons donc voir côté Ariège si un échappatoire...et là, stupeur ! Une petite plaque tombale, discrète, accompagnée d'une boite qui laisse échapper des cendres blanches, me glace ! C'est un avertissement et un bon! On ne vient pas se faire disperser ici, on y meurt ! Sans nul doute. Deux jours après j'apprendrai que le défunt est mort en prenant des photos de ses copains. Il est tombé et s'est tué, voilà 8 ans.
|
C'est en surplomb ! |
|
J'essaie une cheminée ce n'est pas gagné |
|
Regrets... |
|
Et pourtant...j'aurais tellement pu . |
Il suffit pour aujourd'hui, le demi tour s'impose vite sans préavis et me revoilà au Querforc, je plonge dans la pente, chemin que je fis en juin 2021. Je sais la raideur de la pente, la pelouse de montagne cirée qui expédie au tapis, je sais les 431 m de dénivelé mais je vais bifurquer en cours de route : un long fleuve de roches tranquilles au moins ce jour, mais sans doute pas pour l'éternité, m'offre le chaos de son pavage monumental.
|
Le trajet de retour; en blanc site du petit étang caché Départ du haut à 2571 m |
|
La déclivité (1ere partie de la descente) |
|
Même chose en plus rugueux |
|
Cela me plait |
|
Les veilleurs attendent la chute : la mienne ? la leur ? |
Tout va bien, j'avance avec précaution mais avec une relative sûreté, l'ivresse des cimes s'est évaporée.
|
Mes jambes ont repris leur sûreté |
|
Je pratique l'alternance des revêtements de sol |
Vu de là, le passage qui m'a bloquée semble ridicule et il l'est. Je n'ai pas envie de remonter, je vais noyer mes regrets dans l'eau de la Basse de Mercader. (2286 m, 9.21 km). C'est qu'elle semble au bout du monde, sous cette chaleur, à l'abri du vent. Je sens déjà mon corps se glisser dans l'eau, se délasser dans la fraîcheur. Je n'en finis pas d'y arriver et soudain, la voilà devant moi, tout en bas : horreur, elle est d'un vert fluo repoussant sur un lit de rocs rougeâtres. Quelle algue a poussé jusqu'ici ? Toxique ? Ou non...je ne vais pas tenter le démon. A ce jour, mes pieds, jambes et genoux ont survécu. Mes regrets non. La montagne comme le reste souffre de chaleur et de sécheresse. En remontant après une semaine, j'ai eu peine à reconnaître le paysage jaune d'un faux automne; brûlée est l'herbe, brûlés sont les arbres, vides les ruisseaux, et les animaux paissent dans du jaune.
|
Tout caché le petit étang |
|
au zoom |
|
J'ai quand même vu plus vert en Ariège, par le passé |
Paradoxe, je pourrais me baigner dans du vert, si peu naturel. Je me restaure, me rafraîchis, me dore un peu au soleil puis je reviens tranquillement vers une Nina effarouchée : elle a eu de la visite aujourd'hui et je vais doucement lui apprendre à n'avoir pas peur des chevaux.
|
Retour : vallée de la Coume d'en Garcia |
Très visitée Nina : les chiens des voisins, les vaches du troupeau, les chevaux et les poulains ...mais, disent-ils, c'est quoi cette peluche aux yeux verts ?
En chiffres :
Distance : 12.06 km
Dénivelé positif cumulé : 650 m environ
Temps de marche : 4 h 06
Le trajet :
Excellent. Comme d'hab!
RépondreSupprimerMerci.
SupprimerDrôle de sortie assortie de drôles sensations ! La forme primant sur les formes, je suppose que tu n'as pas apprécié à sa juste valeur cette balade encore une fois assez "sportive !". Les espaces sont vastes et bien pentus, la végétation, rasante et réduite au strict minimum, révèle un climat assez rude dans ces contrées sauvages et les animaux aussi semblent en pâtir ; même l'eau, en retenues ou vive se révèle chiche à ces hauteurs ! Bref, je suppose que tu as connu mieux mais ta curiosité et tes envies d'espace nous ont encore une fois permis de découvrir des contrées pas si lointaines en définitive ! Merci encore pour ton partage et bonne récup pour d'autres sorties à venir !
RépondreSupprimerDisons que j'avais apprécié en sens inverse et ce n'est pas dit que je n'y retourne pas, pour ce fameux passage. Ce site des environs du Puymorens fait très "steppe", la sécheresse est frappante mais à cette saison c'est toujours rôti. Et comme j'aime beaucoup les déserts cela ne me dérange guère; c'est le manque d'eau qui me soucie le plus.
SupprimerUn très beau récit encore une fois. Nous en avons parlé, ce n'est pas un échec, ce n'est jamais un échec lorsque l'on prend le risque de s'aventurer loin de chez soi, et seule. Avec un partenaire tu serais passée, car rassurée. De nouveaux beaux récits nous attendent, l'été caniculaire commence à peine. Ludo (impossible de publier autrement qu'en anonyme)
RépondreSupprimerOui, ce n'est que le début de ma nouvelle remise en forme, si je veux continuer à voir encore avec les yeux et pas encore tout à fait avec les jambes. Mais je suis en rodage, quelques ajustements s'imposent...le déambulateur à moteur est en projet. Tu m'as donné envie de retourner aux Moulsut et Bésineilles où je pense être allée. Tu es créateur de projets !
Supprimer