dimanche 20 mars 2016

Les "bunyettes"

En arrivant devant la salle du "Foyer", j'ai pris la précaution de reculer ma voiture un maximum, car le coffre allait se remplir...De quoi ? De 96 bunyetes ou (bougnettes) !
Le coffre allait se remplir mais la voiture serait pleine d'effluves qui allaient me griser au long des kilomètres...Tant et si bien que tout en conduisant je me verrais OBLIGEE d'y faire un sort.
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Mais revenons à cette salle....

Lorsque j'y pénétrai, c'était une ruche qui terminait sa journée de labeur. Cependant la concentration ne faiblissait pas. Une longue table recouverte d'une nappe, une armée de femmes (mâtinée de rares messieurs) , un drap sur un genou,  et des doigts qui s'agitaient, s'agitaient...Dans un brouhaha joyeux.

Au premier plan "un pâton"

Sur la table, vaguement cachés, les derniers pâtons allaient subir le sort commun à tous les pâtons : devenir bougnettes et "passer à la casserole".

Un pâton,  entre des doigts agile, prend forme

Les bougnettes, (les bunyettes) spécialité catalane de la semaine pascale, semaine sainte, et Mardi Gras, étaient, du temps de mon enfance, la tradition de chaque maison. C'était alors la maîtresse de maison qui préparait la pâte, ou bien le boulanger. Une pâte délicieusement parfumée aux zestes de citrons, bien pourvue en oeufs, huile, farine, sucre, eau de fleur d'oranger. Tellement bonne que nous, les enfants, en mangions des morceaux tout crus.

Une pâte qu'on laissait reposer sous des linges pendant de longues heures. On jugeait qu'elle était prête à son gros ventre de parturiente et à l'élasticité de sa peau aussitôt recouverte. Puis le couteau à grande lame  (celui du cochon sans doute) tranchait de longues lanières épaisses de quelques centimètres (j'adorais le faire pour la couleur, l'odeur et l'élasticité surtout). Ces bandes étaient ensuite découpées en rectangles (presque carrés) : les pâtons, chacun allant devenir une bougnette.

Ma famille au travail
Le vétéran, 94 ans, surveille
Ce pâton passait entre des mains expertes, féminines naturellement : il fallait étirer le plus fin possible, sans déchirer, sur le genou pour l'arrondi.


Les personnes moins expertes  utilisent des subterfuges pour un résultat probant. Actuellement. car on ne voyait pas cela dans nos chaumières ! C'était à qui travaillerait le plus fin, sans trous. Les malchanceuses notoires faisaient de lamentables "gruyères" dont on se moquait !




Puis on prenait délicatement le tissu de pâte et il allait dans la poêle où grésillait l'huile bouillante mais propre. Sitôt souillée, elle était remplacée.




Une fourchette nantie d'un long manche en bois fait l'affaire, mais...la tradition c'est la fourche en bois bien poli.



La tradition veut aussi que ce soit les messieurs qui cuisent, tandis que une armée d'abeilles féminines a un rôle bien défini : celles qui modèlent la pâte, celles qui transportent du genou à la poêle, celles qui récupèrent et sucrent les bougnettes cuites et enfin celles qui les rangent dans la corbeille. Ici c'est dans les sacs pour honorer les commandes.

Les messieurs sont à leur affaire
La cuisson obéit à des règles bien précises : maintenir immergée la bougnette qui s'obstine à flotter, la tourner et la retourner afin qu'elle soit dorée à point.

Sucrage (on peut aussi parfumer à l'anis ou la fleur
d'oranger en les arrosant légèrement)

Ici, c'est une association qui a fabriqué près de 1000 bougnettes comme chaque année. L'Association Sardaniste de Montesquieu des Albères (66). Cette association oeuvre dans la tradition et sur commande. Alors que dans ma famille on faisait de la pâte avec 5 kg de farine, ici c'est 26 kg qui ont été employés ! Et de 14 à 17h30, tout ce monde, comme une mécanique bien huilée (ce n'est pas un vain mot) a oeuvré  : 24 petites mains réparties en 2 groupes dont 12 "modeleuses" , 12 assurant transport, sucrage et commandes et 3 postes de cuisson.



Malheureusement, j'arrive au dernier moment et je ne verrai que les derniers pâtons et les trois dernières bougnettes : le tout dans un parfum sirupeux, huileux et grisant....



Une petite corbeille prête à la consommation.


Les 3 dernières



No coment : vous sentez ?

Il ne me reste plus qu'à récupérer la commande familiale, et charger les 8 sacs odorants et chauds dans une voiture qui va titiller mes papilles...Vous imaginez.....

Les commandes bien alignées 

Pour les travailleurs commence le fastidieux travail de rangement et surtout de nettoyage ...
Mes seuls mauvais souvenirs...On finissait très tard dans la nuit, alors...Tout était gras, tout collait, tout sentait, je crois même sous la peau !

Mais pendant de longs jours, on allait soulever le linge qui couvrait la "panière" la grosse corbeille de bois...Et la bougnette moelleuse fondait dans le gosier...

Une anecdote : le 24 avril 1794, en pleine guerre franco/espagnole, connue sous le nom "Bataille du Boulou" (inscrite sur l' Arc de Triomphe), le maire de Salses, commune du département , pour cause de pénurie d'huile, signait un arrêté interdisant la fabrication de bougnettes qui contribuaient à épuiser les réserves en huile et "étaient néfastes à la santé " !



19 commentaires:

  1. Hum ! cela me donne faim et me rappelle quelque chose. Surement pas des bougnettes, mais ça y ressemble par la forme et la couleur. Quand aux composants, j'en sais rien. Ma mère nous faisait cela de temps en temps. Mais recette de Montpellier ou du Lot, son pays d'origine. Je cherche le nom, si je trouve, je repasse un message. Bon appétit...

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    1. J'ai trouvé, c'est oreillette. Il semblerait que l'oreillette soit d'origine de Provence, c'est donc à Montpellier que j'en ai mangé.

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    2. Bugnes, burgnols et autres : tape "bunyetes " sur google et tu verras qu'in en fait sous de différents noms autour de la Mediterranée et c'est même une spécialité salée, en Aquitaine je crois, style pâté. J'ai cherché pour savoir de quand ça datait mais rien trouvé. Bises de ce 1er jour de printemps gris à périr

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    3. Oui et même aurelheta en occitan

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  2. Quels que soient les noms donnés à ces délicieuses réalisations et bien au-delà de ces appellations, vous savez ce que me procure ce magnifique reportage ? Les traditions qui se perpétuent et qui nous ramènent à notre enfance qui a forgé notre vie ! Dans ma famille pour les fêtes pascales nous faisions des "monas" qui sont des brioches moelleuses parfumées à la fleur d'oranger ! J'en pleure de joie tant les souvenirs sont nourrissants de bonheur ! Merci

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    1. Le monas ne sont elles pas natives d'Afrique du Nord ? Il me semble que ma tante qui y vivait jadis en parlait. Tant mieux si cela éveille en vous d'heureux souvenirs: le but de mon blog est de créer du sourire, de l'émotion , de l'humour, un peu de soleil dans le quotidien qui est souvent grincheux et morose.

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  3. Toutes les régions ont leurs spécialités pour Pâques mais, celle-ci je ne les connaissais pas !
    Et la façon dont tu en parles me fait baver !-:))))
    Elles ressemblent à nos merveilles ou oreillettes (suivant les coins) les ingrédients sont à peu près les mêmes mais, à la vue la texture semble différentes. C'est beaucoup plus fin.
    Voilà c'est malin, maintenant j'en ai envie.
    Gros bisous Lison.

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    1. ben voilà ! C'est gagné ! Donner envie, faire saliver...-))) Bisous

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  4. Excellent et très vivant le reportage ! Jamais goûté, ni même entendu parler de ces bougnettes, mais ça fait drôlement envie ! Il ne reste pas un sac non attribué ? ;)

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    1. hélas non mais en 2017 je te fais un envoi ! Je t'assure vari de vrai ...même si c'est fragile. bisous, comment va ton doigt ?

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  5. Miam, miam !!!
    Merci de ce partage gourmand ;)
    BISOUS, bonne semaine

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  6. Oups !!!
    J'ai oublié les CÂLINS à tes Félins ;)

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  7. Mais dis donc, Lison, c'est que tu nous en fais baver d'envie !... :-) Je crois bien que j'adorerais manger ces bougnettes... Un sac pour moi aussi, l'année prochaine ! :-)
    Gros bisous, et une belle fin de journée.

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    1. L'an prochain les blogueuses amies feront un voyage organisé jusqu'ici:-)) Bisous

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  8. Você deixou todos com água na boca! hihihi
    Espero que as próximas gerações mantenham essa tradição deliciosa.
    Beijos
    Adri
    Cafunés para os gatinhos!

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    1. oui, comme on dit ici aussi "ça met l'eau à la bouche". je pense que les prochaines générations maintiendront, avec quelques changements et un peu moins de tradition car c'était dans chaque maison. maintenant ce sont plutôt des associations. Caresses à tes chats aussi et je t'embrasse Adri

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  9. oh joli reportage amedine, c'est tjs plaisant de voir des photos de la famille...c'est maman qui est à l'origine du projet tu te doutes bien!!!d'habitude y a guillaume! j'ai vu un sac avec tante aline!!!;-) bisous laurence

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    1. Je n'avais pas vu ton commentaire, désolée : c'est très bien que maman garde cette tradition. Un jour peut être tu relèveras le défi ou alors Guillaume. Tante aline avait 6 sacs à son nom !!! Bien sûr un seul pour elle. Gros bisous

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