vendredi 17 novembre 2023

Py : "Parce que chez ces gens là, Monsieur..."

 Brel chantait ceci en 1965, et c'est ce refrain qui m'est venu à l'idée en me rendant sur un site comme suspendu au dessus du monde, dans un feston de dentelles de pierre à côté desquelles se défont doucement au gré du temps et du mauvais temps des murettes de pierres dont on se demande ce qu'elles pouvaient emmurer. Et que je nommerai "le Bonheur du Jour".

Py sous les moustaches du soleil


C'est vers ce site que je marche en ce matin gris perle et silencieux que le vent brutal vient secouer et repeindre en bleu.

"Le Bonheur du Jour"



Ma destination au zoom

Une petite excursion avec les mains sur un pic sans nom (1313 m), ourlé d'éboulis, habillé de ronces et genêts où je me fraie un passage déjà esquissé par les animaux et me voilà secouée, hérissée par le vent mauvais : je surplombe les gorges du Bareu auxquelles je rêvais dimanche dernier.




Py dans une échancrure de roche

Montée au pic 




Le joli brushing n'a pas résisté ! 1323 m



Panorama depuis le sommet

 La longue pente d'éboulis semble conduire direct au ravin mais se termine t'elle par une barre rocheuse, vrai Saut du Diable ?  (J'adore donner des noms en montagne)


L'éboulis 1280 m 


Je regagne le sentier : j'ai parcouru plus de 2 km de terrain agréable et connu, les forêts sont belles, une pluie de feuilles silencieuses m'enveloppe, le vent gronde dans les arbres et à travers la dentelle, les grands rochers s'habillent de lumière.



Le sentier qui conduit au "Bonheur du Jour" est un ancien sentier que j'ai visité dimanche dernier. Réhabilité par les Jardiniers des Montagnes que sont les chasseurs, conservateurs du patrimoine humain enfoui sous les broussailles, c'est une fine sente en dévers glissant mais, par places, on voit l'assise du chemin ancien soutenu par un muret.


Tantôt lisible

Tantôt un mince fil conducteur













700 m plus loin je franchis le Bareu (Breou dit on à Py), et le ravin sautillant garde des stigmates de "ces gens là", solides bâtisseurs et courageux cultivateurs. S'ils avaient monté des murettes jusqu'au sommet des montagnes ils en avaient tapissé le fond étroit des vallées jusques dans les moindres recoins et replis du terrain; même le ravin était endigué pour préserver la plus petite parcelle gagnée ,  on croirait voir le dessin des oasis.

Le Bareu calme entre son cours agité



Parcelle d'autrefois


Je marche sur un semblant de canal; la pente est abrupte vers la rivière proche

Je visite deux ruines très ruinées et j'entame la montée du sentier balisé par les chasseurs. 


Ruines d'un corral (ou pati, on dit ça ici)


Cabane del Mitg del correc de Bareu (ref claude Pideil)

C'est escarpé, je dois m'aider des mains, cela ne ressemble pas à un sentier paysan, tandis que se rapproche le décor qui m'a fascinée dimanche. Il devient presque à portée de mains et encore plus imposant.

Chemin balisé par les chasseurs
Toujours ce chemin, avec les mains à présent


Pour aller à la rencontre des ruines je dois redescendre dans la pente, il faut juste avoir le pied sûr et me voilà après des obstacles piquants, glissants et croulants sur ce qui dut être un chemin.

Au dessus de moi, une pente stérile hérissée de rochers griffant le ciel, au dessous de moi une pente abrupte plongeant sur le ravin qui se contente de gronder et en face, le versant ubac couvert de forêts où j'ai marché depuis Py.

Au dessus de moi


On se soutient comme on peut!

A l'air libre enfin, je peux lire le paysage. Et dire que je n'aimais pas bois et forêts en randonnée !


Et voilà, il se profile, mon perchoir

Balustrade pour ceux qui ont le vertige

Le chemin est très abimé et envahi de tels obstacles végétaux qu'un peu d'acrobatie s'impose , je ne suis plus en sentier de chasse et ce chemin qui fonce vers les murailles m'intrigue. Je le suis, dans les genêts jusqu'à la taille et me voici à un col : versant nord c'est le terminus du grand éboulis montant depuis "le canal perdu",  je pourrais m'offrir la descente en caillasse. Peu confortable, mais rien n'est confortable ici, hors sentiers.

Petite vire pour éviter les épineux du chemin



Le voilà le chemin ancien

et encore lui, son assise



Tel que je le voyais de la rive en face, donnant naissance à l'épopée de ce jour



Et au zom





La végétation n'est pas très carrossable



Mais quel travail "chez ces gens- là"

Seulement le chemin continuait sa route vers la muraille, dans quel but ? 


Je me rapproche, dans le taudis végétal

Car c'est une muraille.

C'est dans le col que je finirai mon parcours mais je l'ignore encore, je n'en rêvais pas autant

 Il me faut à présent utiliser les mains pour arriver à un autre petit col logé dans cette redoutable mâchoire. De la roche, une étroite cheminée et me voilà logée entre deux monstres de pierre : le vide ensoleillé d'un côté, le vide d'un long couloir sombre et empli d'arbres de l'autre (à la corde ça se descend, mais n'oublions pas, il y a la saignée des gorges en bas !). Dans ce goulet s'inscrit Py, étincelant au soleil et, cerise sur le gâteau, les onze coups du clocher montent jusqu'à moi, doublés par le "repic". Instant magique que cette larme de vie dans ce désert vertical....

Du 1er col, 1321 m, l'immense éboulis qui conduit au canal (article précédent)



Au 2nd col, 1335 m, voici mes gardiens : à droite

A gauche





Et Py en face

Et le Bareui et sa vallée dans mon dos




ET sur place une femme heureuse !


Quant aux monstres, ils ne s'escaladent pas. Je grignote vite fait un peu de carburant solide et je reviens sur mes pas. Le sentier des chasseurs va se terminer à un poste de chasse, déçue, je n'irai pas plus loin. Mais que la vue porte loin !

J'ai poussé au terminus de chasse, c'est un Poste. 1364 m

Mais quand même : je ne vois trace de parcelles ni de terrasses, mais que faisaient donc "ces gens là" ici autrefois ? Oh ils devaient bien cultiver quelques ares de sol ingrat, les murs ne poussent pas tout seuls ! Incroyable site...Altitude 1360 m. Donc pas de vignes.

Regardez les "ces gens là" : cela aurait pu être eux, tels les trisaïeux de mon ami Guy Vila, les Pacouill, habitant Py . Vêtus de sombre, droits et dignes; je crois voir mes grands parents. Ils étaient de cette trempe, ces gens là, noueux comme des ceps de vigne et solides comme les rocs de leur terre.


Collection privée Guy Vila


Vue d'ensemble du site "cultivé", à mon avis j'ai loupé des choses

Retour  sur le ravin. C'est là que me vient l'idée "d'aller voir..." et  ces idées là sont irrépressibles. Quand je dis "allons voir", ça sent l'aventure à plein nez. J'entreprends la descente du Bareu vers les gorges.  Les cultures ou les pâtures occupaient le fond de vallée, dans un souci d'utiliser le moindre recoin de terrain.


Les parcelles en bord du ravin de Bareu


 Un muret à flanc de pente me pose question : pour quoi faire ? certes pas de la déco ! Alors je l'escalade et c'est, je comprends vite, l'ancien chemin paysan, en un rien de temps je suis arrivée au chemin sur lequel j'avais accédé avec difficultés. 


Un muret de rien du tout, ça peut
être très bavard 

Et je reviens sur le site

Quand je fais ces recherches, en montagne j'ai toujours l'impression de construire un puzzle : il y a la période observation, on retourne en tous sens la question, et soudain le puzzle s'assemble comme par miracle !

Je rejoins le ravin, je louvoie entre les deux rives, pour mieux circuler mais c'est en rive droite, loin de tout, enfouies entre falaises et forêts que je découvre des pépites . "Parce que chez ces gens là, Monsieur, ..", oui chez ces gens là on allait débusquer au fin fond des bois, des falaises et des cours d'eau le moindre lopin aménageable ; et voilà que s'y loge un chemin ressemblant à un canal, deux ruines, des parcelles, des murs, c'est grandiose...


Le Bareu


Anciennes parcelles en bord d'eau


Vestiges


Un site d'anciennes parcelles près du ravin


Un canal je présume


Ruine de cortal


Le cortal adossé à la falaise


Parcelle au dessus d'un éboulis

Je vais sans m'en apercevoir cesser de prendre la moindre note sur mon carnet car je vais entrer dans un monde enchanté et presque effrayant. Je suis presque à l'entrée des gorges, côté amont cette fois. Que vais je faire ? Rebrousser chemin ne me tente en rien. Remonter le pierrier, s'il parvient au ravin...mais si les géants de pierre se lisent entre les branches, nulle trace de pierrier, il est suspendu sur des barres rocheuses. Plus tard les chasseurs me diront qu'il y a un sentier.

En face, l'éboulis que je pensais remonter

Il me reste les gorges. Un chasseur m'avait dit "on peut passer mais ce n'est pas facile". Me voilà toute seule et toute petite au pied de deux murs de falaises écrasantes  que cachent les arbres mais dont les cimes griffent le ciel, me voilà en haut du Bareu qui se jette dans le vide en une cascade que je ne vois pas, me voilà perplexe...quelques secondes : j'y vais !


Un feu d'or

La bête du Bareu (ombre entre rochers)



Entrée des gorges, le Bareu se jette dans le vide

Sur la rive droite la falaise est verticale et plonge dans le Bareu. 

Sur la rive gauche où je me trouve, la falaise fait un repli, une sorte de vire couverte d'herbe où court un très fin passage animal, de la terre ou la roche mise à nu; et je m'aventure avec prudence sur ce fil; ici pas question de glisser, de tomber, de faire un faux pas. Très concentrée, je n'ai pas peur, juste un frisson d'adrénaline. Je tente une descente à la corde mais un passage de barre rocheuse me freine. En compagnie je l'eusse fait. Je remonte à la corde et je continue la petite vire, à présent dallée.


Il veille sur moi...euh..



Passage étroit, en dévers, à flanc de falaise

Ne pas glisser



Assurage mais je remonterai


Pour suivre cette sente animale


Et je parviens à un très long couloir. Vers le bas, il me conduirait aisément à la resclosa, donc ma traversée des gorges serait terminée, pari gagné, joie sans nom; ma curiosité me pousse vers le haut, en terrain inconnu et j'aborde la pente : ah comme le piolet aurait été de bon aloi ! Je m'agrippe aux herbes, au moindre tronc, les cailloux ne pensent qu'à descendre, laissons les, et à grand renfort de bras, jambes et énergie je parviens à la sortie. 

Le couloir vers l'amont
Et vers l'aval


Je monte avec pieds et mains



Tandis que se profilent les habitants du coin

C'est un chaos rocheux en forêt, à l'aplomb des gorges, mais relativement carrossable, sous les rochers. Par contre, une élégante crête ourle le couloir; je m'aventure sur un "salto del caballo", assise, jambes de part et d'autre sur vide, mais je ne tente pas le diable, retour en marche arrière et contemplation. Face à moi se déroule le décor d'où je viens, grandiose vu sur cette face, avec son éboulis gigantesque, son couloir vertigineux, je bois à satiété un des plus beaux décors de Py.


Vue générale sur le site où j'étais bien plus tôt
 (à gauche de la grande falaise)

Le "salto del caballo"



Vue générale du site : le pays de "ces gens là" était derrière les murs


Il pousse élégamment dans le roc

J'ai faim mais je veux d'abord finir le circuit sauvage; il n'y a pas de sentier, j'étudie le relief sur  Géoportail et j'entame le retour en respectant la courbe de niveau, un étonnant sapin solitaire que l'on voit de partout me salue et enfin je plonge en pleine pente, dernier obstacle du jour, entre des aiguilles rocheuses, sur un puissant éboulis, ça y est le chemin souple et lisse m'accueille, le reste ne sera que formalité.

Le roi d'ici

Dernier casse pattes du jour



Et le sentier, vrai boulevard


J'ai faim mais je choisis mon restaurant : une ruine à l'écart du chemin, d'où le paysage est grandiose. Je suis si éreintée que je m'allongerais sur la terrasse pour dormir ! Mais là bas m'attend Nina ! 


Mon restaurant

Des randonneurs passent à deux pas, que savent ils d'ici ? qu'ils viennent de traverser un long canal enfoui ? (Le "canal pendu"); qu'un ancien cortal veillait sur la vallée de La Rotja ? Qu'il y fait bon au grand soleil et à l'ombre d'un arbre majestueux ouvrant une fenêtre sur le monde ? 

Et la fenêtre sur la Rotja


Plus tard à mon camion, je verrai arriver un groupe de randonneurs, ils ne me demandent rien, par chance, que leur eussé-je dit ? Ce que je vis (vivre et voir, passé simple ou présent), cela se raconte t'il sinon en ces lignes ?


Couleur sentier


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 PS : Un grand merci aux chasseurs pour leur convivialité (Louis et les autres), au Vice Président de la Réserve, Claude Pideil, chercheur infatigable dans ses montagnes natales, et à l'accueil de ladite Réserve fait à mes pérégrinations hors des sentiers battus, sur les traces de "Ces gens là..." qui me sont si chers.



En chiffres : 8 km

6 commentaires:

  1. Encore une belle aventure dans ce magnifique et vertigineux site de Py, auquel me relient d' indicibles souvenirs familiaux. Merci Amedine.

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    1. Ce ne sera pas ma dernière aventure à Py, mais je vais quitter un moment ces gens là auxquels je m'attache trop pour aller voir d'autres lieux, d'autres sites. 163 km au compteur pour écouter les contes de Py, mais bien sûr j'y reviendrai, on m'attend aussi ailleurs. Bises Guy, à bientôt

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  2. Comme quoi, l'aventure la plus belle reste celle où on trace son chemin 😁

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    1. Exactement, c'est ce que je privilégie, tu le sais bien, et j'en connais un qui est comme moi non ?

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