Ou le portrait d’un personnage atypique, un de ces personnages
que l’on ne rencontre
Camille a le pas lent du vieux citadin sur une promenade de
front de mer mais l’ambition, l ‘endurance, et le désir du grand montagnard qu'il a été toute sa vie.
Peu après le départ qui a eu lieu à 6h25 |
Au delà de ses forces et de ses limites bien des fois.
Au lieu de vous raconter ma randonnée avec lui, c’est sur le
décor minéral et sauvage de celle ci que je me dois de conter ce personnage.
A 75 ans bien sonnés, Camille est addict. Addict de la
montagne, à laquelle il consacre bien 300 jours par an. En tous lieux des Pyrénées et par tous les
temps, en toutes saisons.
Infatigable marcheur, il compense par la durée sa lenteur et
est capable de marcher de son pas lent 12 à 15 heures par jour. Voire davantage.
De franchir d’impressionnants dénivelés par sa seule volonté
et de réitérer le lendemain. Si ce n’est plusieurs jours de suite.
Son double handicap ne l’arrête pas. Rescapé d’un terrible
accident de la route, il a une jambe
appareillée de l’aine à la cheville pour pouvoir marcher même au saut du lit et
une main quasi morte. Comme les deux sont opposés, cela lui vaut d’admirables
contorsions pour s’asseoir, se lever, charger ou décharger son sac, le tout en
un temps fou.
J’ai connu Camille en montagne, dans l’aube laiteuse d’une
matinée de gel et de neige.
Assis sur le pare choc d’un capharnaüm nommé voiture, son
domicile itinérant, un petit homme sec, engoncé dans une montagne de vêtements,
coiffé d’un bonnet, le visage tanné et buriné, me regardait de ses petits yeux
couleur lilas.
Camille est issu d’un surprenant parcours. Qui a forgé, son
endurance, sa dureté envers lui même comme envers autrui.
Camille est né dans un milieu très fruste, il y a plus de 75 ans. Orphelin de mère
à 4 ans il a été élevé par des grands parents aimants, à la campagne, dans les
années 30. On ne se targuait pas de psychologie en cette époque. Cette grand
mère a modelé le personnage : on ne s’appesantit ni sur soi ni sur autrui.
Enfant brillant dans un milieu fruste ( et très
particulier que je ne peux décrire ici) , il a acquis à la force des poignets
une solide formation de botaniste au prix d’études universitaires (doctorat),
mais aussi de climatologie et géologie ( c’est dire si les parcours en montagne
avec lui me captivent !).
Il a passé toute sa vie à enseigner au Maroc, arpentant déjà
les montagnes avec des étudiants . Et des étudiantes qu'il épuisait sans pitié !
Sa science est aussi discrète qu’énorme.
Estanyol : 2336 m |
Le pas lent mais inusable Et moi...,j'attends... |
De sa vie nomade au Maroc il a gardé l’habitude de
l’itinérance, de la nourriture énergétique et frugale, du rythme de la nature.
Il fréquentait davantage les Berbères que les coopérants.
Dans le village où il a sa maison, au pied des Pyrénées, il
vit seul, n’a ni amis ni famille. Un solitaire.
Col d'En Bernat 2616 m |
Il vit dans une intense solitude, au service de sa passion,
la montagne, au delà de ses forces bien des fois.
Comme s’il cherchait à s’y ensevelir à jamais. Une quête
forcenée….
Il n’a de mansuétude pour personne, ses jugements sont
féroces et sans appel.
Ainsi je suis une trouillarde à ses yeux car j’ai peur…des vaches, des orages, de la brume, des
chiens errants et des sentiers peu lisibles, en montagne.
On vient de quelque part là au fond et de plus bas encore |
Et on va bien plus haut encore |
Notre première rando commune fut un test où il me poussa
dans mes derniers retranchements, afin de me juger digne de l’accompagner.
Anormaux à ses yeux implacables sont ceux qui encombrent
leur vie de chats, chiens, vignes, jardins, enfants et petits enfants à garder.
Anormale suis je aux yeux de cet égocentrique .
Conciliabules en crêtes et flore d'altitude |
Rare: dans les schistes pousse le pavot des montagnes |
L'un...fait pipi et l'autre nous observe : on en a vu des dizaines, ce sont les isards |
Son égoïsme frôle la perfection, son avarice aussi, même si
à mon contact il a appris à mettre son argent au service de sa passion :
camion, vêtements, sacs, etc…neufs , ou presque. Car il s’apparente à un
clochard des montagnes.
Mais…Camille ne jette rien . Comble t’il un grand vide
affectif ? Le même qu’il comble en marchant sans cesse ?
Camille a une conception de l’hygiène particulière. Il vit
avec le soleil, n’est jamais à l’heure légale, a une nourriture et des
compléments alimentaires qui occupent une heure et demie de petit déjeuner à son réveil mais lui
permettent cette immense endurance.
Au sommet des Neucreus 2798 m Frontière franco espagnole |
Quant à l’hygiène tout court….il revendique haut et fort ses
conceptions. Disons qu’il vaut mieux le précéder que le suivre….
Que de conversations déjantées et de fous rires en montagne.
Cependant je le soupçonne de certaine perversité voire
machiavélisme à mon égard et j’ai appris l’espace de quelques heures à museler
ma générosité, ligoter ma sensibilité, verrouiller mon altruisme, cultiver un
égoïsme, bref à imiter Camille. Et même à jouer les avares !!! Intéressantes expériences!
Camille aime partager ce qui est à autrui et garder férocement ce qui lui appartient : ainsi il va de mon vin muscat. Cependant un jour de grande hypoglycémie en pleine ascension, il préféra me tancer et me laisser sombrer plutôt que de m'offrir quelques dattes. Ce que je lui rends bien, autrement !L'avarice peut aussi s'apprendre !
Camille aime partager ce qui est à autrui et garder férocement ce qui lui appartient : ainsi il va de mon vin muscat. Cependant un jour de grande hypoglycémie en pleine ascension, il préféra me tancer et me laisser sombrer plutôt que de m'offrir quelques dattes. Ce que je lui rends bien, autrement !L'avarice peut aussi s'apprendre !
Cependant, voyez vous, je l'aime bien ! Toujours de bonne humeur, jamais médisant, il est malgré tout très attachant ce gros égoïste ....
Et surtout, surtout, je l'admire...
Comme tant de randonneurs qui le rencontrent, car affable et souriant, il cause avec tous.
Et surtout, surtout, je l'admire...
Comme tant de randonneurs qui le rencontrent, car affable et souriant, il cause avec tous.
Retour : il choisit la vallée sauvage de la Valleta Naissance de la rivière |
Qui se jette dans le vide, sitôt née |
En un fabuleux plongeon |
On descend par un mystérieux sentier muletier Affaire à suivre... |
La cascade de la Baillette (ou Valleta) |
Je viens de lui donner congé, je ne randonnerai plus avec lui ; il m’épuise, parfois avec un certain plaisir comme pour montrer qu’il est inégalable et les randonnées avec lui me laissent courbatue et épuisée pendant 2 jours alors que j’en fais d’aussi rudes sans lui. Croyez vous ? Il s'en fout ! "la nuit porte conseil " me répondit il comme si c'était une lubie de fillette !
Schistes et marbres au pied de la cascade |
Infernale descente dans ces pentes sans sentier ou juste une esquisse |
On descend dans les éboulis vers le fond de la vallée : dur dur! |
Tranquille, Camille, à petits pas incertains |
Et puis ? Et puis il me reste encore 6 km de piste affreusement défoncée
Et deux heures de route ...
A lui aussi mais il s'en fout ; demain il sera sur un autre pic, sans moi.
Et frais comme un gardon !
En chiffres:
Temps de marche 10 h
Temps de rando 11h pour moi, 12 h pour lui.
Dénivelé : 1300m
Longueur : 19 km
enfin frais... façon de parler hihi.
RépondreSupprimerDis donc, quel courage...
bisous
Laurence
Oui, j'apprécie ton humour discret et efficace! Bisous
SupprimerTout un personnage Camille
RépondreSupprimerJe ne sais pas si je l'aurais suivi moi qui m'arrête partout pour la photo, j'aurais fait le quart de votre randonnée!
Merci pour ce partage très touchant!
Bises
Mais moi aussi je m'arrête partout pour la photo, et je regarde, mais je marche plus vite: avec lui je pourrais écrire même mes mémoires en marchant. Mais il me dit toujours "on n' a pas le temps !" quand je m'arrête. Bious
SupprimerGénial portrait dans la plus sauvage des vallées des P.O. Je crois que ce personnage cultive l'art d'inciter les autres à aimer le repousser. Ta patience est admirable, au delà des dénivelés ou des heures de marche, la patience n'a pas de prix.
RépondreSupprimerA 100% de ton avis. Là je pars en vacances mais pas question qu'il me rejoigne ! Dussè-je mentir effrontément mais que n'ai je pas appris avec lui ? je sais faire. sais tu , toi qui connais mon amour de la montagne qu'il parvient à m'en dégoûter ? A bientôt
SupprimerTout est impressionnant là dedans : l'homme, toi, les paysages, ton récit, tes photos...
RépondreSupprimerMerci Belle Pastelle qui fais de si beaux portraits...autrement...
SupprimerEt bien quel personnage ! Finalement la solitude des montagnes lui convient bien. Sa lenteur s'explique peut-être par les problèmes physiques que tu as expliqués, qu'il compense par une remarquable endurance. Je te comprends, pour marcher à plusieurs, il vaut mieux être au même rythme. Sinon certains s'épuisent à vouloir suivre ou d'autres à ralentir. Belle balade en tout cas, et avec un monsieur qui connait autant de choses, ça doit être intéressant.
RépondreSupprimer"Il suffirait de presque rien" comme chantait Reggiani pour que nous fussions au diapason.
SupprimerUne randonnée plus courte à thème floral. Ou dans la longueur juste une paire d'heures en commun et puis chacun sa route..Car il est passionnant. Double face.
.
Quel curieux personnage, tu as eue bien du courage !!!!
RépondreSupprimerTu es mignonne sur cette photo on dirait "Mado la niçoise" une humoriste que j'adore
Bonne continuation et bon courage pour tes futures randonnées et merci pour le message ce matin je suis vite allée retirer mon linge !!! A bientot gros bisous. Pascale
Ah bon, moi ma préférée est celle du billet "cambre d'ase" (le précédent). Peluche m'attendait mais s'éloignait au fur et à mesure du sulfatage. Pas bête ! Ensuite il est venu pour une de ces séances de grattage !!! Bisous
Supprimersi il t'epuise change de partenair ou randonne seul
RépondreSupprimerJ'adore randonner seule, il le sait mais parfois j'accepte de lui faire plaisir car sa solitude lui pèse et avec moi il se sent bien. Mieux que moi en tout cas. Mais seule, tu sais bien que c'est ma préférence. Ou avec des gens agréables. Il a ça de bien qu'il ne se fâche jamais et ne boude jamais, même si je râle. Et ça c'est déjà beaucoup.
SupprimerTrès beau portrait! Personnage extraordinaire, extravagant, attachant sans doute mais invivable semble-t-il; tu as eu cependant de la chance de le rencontrer!
RépondreSupprimerCamille n'a besoin de personne, il poursuit sa quête ....pour atteindre l’inaccessible étoile
Je suis ravie de savoir que je ne suis pas la seule à avoir peur des vaches.
Bonnes vacances
Nicole
Merci; je pars lundi en Espagne pour tenter un 3000m sans Camille qui voudrait bien venir. Ah non, les vacances c'est pour mon chat et moi ! dis, à 3000 ya pas de vaches je crois ??? Bisous à vous 2+fifi
SupprimerPas de vaches à 3000m, mais parfois des mouches.
Supprimermado je suis passe a tresserre ce matin vers 7h30,je n'ai aps vu ton fourgon ,je suis reparti
RépondreSupprimerMon fourgon est en réparation chez le garagiste et à 7 h 30 j'étais sur mon tracteur à Montesquieu en train de sulfater une vigne....La femme invisible, tu connais ça. je suis toujours occupée à qque chose
SupprimerJ'ai beaucoup aimé ton récit ! Ton Camille est en effet un sacré personnage .... remarquable mais très attachant car très émouvant ! A mon avis cet homme là cache son jeu ! Peut-être un tendre déçu par une femme et qui reporte son absence d'amour par un amour démesuré de la montagne !!! Un homme fragile .... ne le laisse pas tomber ! Un gros bisou ma randonneuse ...
RépondreSupprimerUne femme ? jamais connu, il ne s'en cache pas.. il a verrouillé tout amour. je crois qu'il m'aime bien mais à sa façon. L'absence d' une mère ce doit être lourd à porter. Je ne le laisserai pas tomber. Juste la rando avec lui je laisse tomber. il viendra passer 2 jours pour les vendanges. Tout le monde l'aime bien. Bisou, belle dame
SupprimerJ'aime beaucoup cette histoire, tu la racontes si bien
RépondreSupprimerCe personnage particulier est très "attachant", je trouve.
Il me fait penser à vieux cavalier aujourd'hui décédé qui vivait ainsi (le doux parfum du cheval en plus : D ), un "cow boy" solitaire qui parfois se joignait à moi pendant mes randonnées et me ralentissait.
Il avait le même défaut, le partage n'était pas son fort.
Ton billet est superbement illustré.
Gros bisous Lison.
Caresses à la Tribu du Sujet.
On ne peut pas ne pas l'aimer. On ne peut pas ne pas râler. mais il ne se fâche pas;, ne boude pas, et encore à midi m'a envoyé un sms depuis un ignoré pic d' Ariège. mais JE NE LE VEUX PAS en mes vacances !!! Comme l'an passé. Les vacances c'est pour moi : restaus; sommets, nuitées, Lison, cafés, vie à mon envi ! Bisous, ma belle.
SupprimerFiquei pensando... e se ele passar mal, que vai ajudá-lo, sempre sozinho.
RépondreSupprimerAcho que ele iria me chamar de covarde por pensar assim hehehe.
beijos
Adri
Sim, pensar nessa coisa, covarda estas, como eu ! Mas tem no seu saco o meu nome e telefono e eu sei onde quer estar lançado no vento da montanha depois da sua morte. Beijos Adri
SupprimerIl te faut écrire un livre chère Lison!
RépondreSupprimerUn vrai plaisir de lire et regarder - tes aventures dans la montagne!
Passe une bonne semaine!
Je t' embrasse!
Je le ferai, avec les commentaires de mes lecteurs / lectrices. sinon il manquerait quelque chose. Avant l'âge de Camille car le livre serait trop gros. Bisous ma Géli
SupprimerJe viens seulement de lire ce reportage, et le portrait
RépondreSupprimerd'un solitaire-nomade. Bizarre ce bonhomme, dont
la force intérieure le pousse à une solitude extrême.
Forcément habité par un égoïsme total. Il ne peux
que vivre seul. Personne ne le supporterait à temps
complet. Mais pour une virée en montagne, ça doit
être passionnant. Tu raconte tellement bien, Lison !!
Et puis tu as su illustrer ce reportage de la plus
jolie façon. Je t'embrasse bien fort avec toute mon
amitié. Bonnes vacances en Espagne. ELZA
J'aime ta lucidité... un beau périple... mais profite de ta capacité à assumer la solitude et l'amour de ces randonnées parfois périlleuses.. ce personnage est à la fois très attachant et en même temps tellement égoïste que pour l'heure il vaut mieux que tu choisisses la liberté d'aller à ton rythme. Merci en tout cas pour ce partage captivant et si bien illustré.
RépondreSupprimerBisous et bon week-end ainsi que bonnes vacances
De l'excellent Amedine ! Quant à Camille, un personnage rocailleux comme les pentes qu'il gravit. Aurai-je pu l'apprécier ?
RépondreSupprimerPassionnant ton récit ! Un personnage atypique et attachant mais invivable au quotidien ! Son enfance et sa vie au Maroc ont fait de lui un solitaire, un vrai montagnard égoïste ! Il devait lui rester quand même un peu de sensibilité et sa culture devait compenser sa rusticité. Très émouvant Camille, on aurait aimé rencontrer.
RépondreSupprimerBravo pour ce reportage captivant.
Effectivement très attachant ce monsieur, malgré ces airs de bourrique je l'aurais sans doute haï pendant un bref instant.
RépondreSupprimerMDR Chris....
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